Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

aménagement du territoire (suite)

Les doctrines de l’aménagement et la ville

Durant la première moitié de ce siècle, la plupart des doctrines ont été hostiles à la ville. On a étudié l’histoire de ce désaveu et noté ses origines morales (pour les prédicateurs chrétiens, la ville est un lieu de tentation et de débauche). Vers la fin du xixe s., le mouvement se complique : la vie urbaine est condamnable parce qu’elle est artificielle et coupe l’homme de la nature. On retrouve cela à l’arrière-plan du mouvement d’Ebenezer Howard en faveur des « garden-cities » ; les villes nouvelles que les Anglais créent à partir de ce moment sont des anti-cités.

La méfiance à l’égard des villes est, en matière d’aménagement, également sensible lorsque les problèmes se posent à l’échelle d’une nation. Les géographes et les démographes français ont condamné pendant un demi-siècle l’exode rural et la dépopulation des campagnes. L’idéologie du retour à la terre a été la première à s’imposer lorsque, durant la Seconde Guerre mondiale, les préoccupations d’aménagement se sont fait jour. Cela marquait à la fois une incapacité à comprendre les mécanismes sociaux et économiques du monde moderne, et la force des préventions contre la civilisation urbaine.

L’idéologie du retour à la terre n’a eu qu’un temps. D’autres lui ont succédé, qui ont continué à faire prévaloir les attitudes hostiles à la ville en matière de géographie volontaire. Mais les vues se sont nuancées. Les recherches de Colin Clark ont montré que l’exode rural était la conséquence normale de gains de productivité qu’il était difficile de condamner et contre lesquels on n’avait pas à lutter. Les travaux des champs ne peuvent occuper qu’une petite partie de la population des nations modernes. On ne condamne plus que la croissance des villes les plus importantes : ce sont les plus inhumaines (c’est la doctrine qui a prévalu en France à la suite des publications de Jean-François Gravier, immédiatement après la dernière guerre). On souhaite aussi le développement d’agglomérations au paysage à demi rural (c’est surtout dans les pays anglo-saxons que ce souci se remarque).

Face à ces doctrines hostiles à la ville, on a vu naître depuis une quinzaine d’années des courants d’inspiration opposée. Les agglomérations se sont étalées au point de ne plus ressembler aux villes de jadis : elles sont faites de lotissements monotones ou de grands ensembles qui ne se prêtent guère à l’épanouissement des personnes, et elles ont tous les inconvénients de la ville, sans présenter aucun des avantages qui naissaient traditionnellement de la multiplicité des contacts et de la richesse de la vie de relation. Les tares de l’organisation spontanée de l’espace ne viennent pas, pour les tenants de cette doctrine, de la prolifération des villes, de la croissance de trop grandes agglomérations, mais bien plutôt de l’imperfection croissante des êtres urbains. On cesse, du coup, de lutter contre le gigantisme. On défend les cités au riche passé. Ainsi, tout un courant s’est dessiné depuis 1960 pour éviter que Paris ne se trouve progressivement privé de ce qui alimente sa croissance.

L’aggravation des pollutions vient de mettre à la mode une dernière famille de doctrines d’aménagement : celles qui se donnent pour but de sauver les équilibres naturels. Il n’y a pas là d’idéologie antiurbaine systématique : la ville est encore plus menacée que la campagne par les perturbations de l’environnement, et, en luttant pour un milieu propre, on défend à la fois les espaces ruraux et les noyaux urbains. Mais, dans la mesure où la ville s’étale à cause de l’automobile, qui est responsable de la plus dangereuse partie des pollutions citadines, le mouvement s’inscrit contre une certaine forme de gigantisme urbain, contre une certaine conception de l’existence qui est celle des grandes métropoles des pays industrialisés.

Les doctrines de l’aménagement sont souvent motivées lorsqu’elles touchent aux villes par des considérations un peu simplistes ou par des réactions sentimentales. Mais on voit vite que de telles attitudes ne suffisent pas à inspirer des plans cohérents. Il faut plus et moins si l’on veut parvenir à un équilibre harmonieux : moins, car, dans la plupart des cas, le problème est non pas de nature morale, mais de nature économique, et la doctrine devient difficilement applicable lorsqu’elle ne s’appuie pas sur des considérations de coûts et d’avantages ; plus, car les grands principes sont impuissants à justifier les décisions dans nombre de cas ; le choix n’est pas entre les mesures qui iraient contre la nature et des mesures qui la protégeraient : il se situe entre des politiques qui protègent et détruisent à la fois, mais selon des modalités différentes. C’est pour cela que l’aménagement s’appuie aujourd’hui sur un corps de connaissances précises. On ne prend pas parti pour ou contre telle chose. On propose des mesures qui tiennent compte de la complexité des enchaînements directs et indirects en matière spatiale. Pour limiter la croissance des agglomérations les plus importantes, il ne suffit pas de bloquer leur expansion par une série d’interdictions ; il faut prévoir l’accueil ailleurs des éléments qui auraient été les grossir ; il faut trier les centres qui seront les plus capables de bénéficier des aides accordées. I,’aménagement du territoire suppose une connaissance précise des mécanismes qui président à la réalisation des équilibres spontanés, de manière à choisir les points d’intervention stratégiques et à réaliser les opérations aux moindres coûts.


Aménagement et science régionale

La multiplicité des approches scientifiques de l’aménagement montre la difficulté que l’on éprouve à percer tout à fait les mécanismes que l’on veut maîtriser. Pour tout ce qui touche aux déséquilibres régionaux, on a fait appel très tôt aux travaux des spécialistes, car les problèmes qui se posent à cette échelle ne suscitaient guère de prises de position sentimentales.