Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

aménagement du territoire (suite)

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le thème du déséquilibre régional s’est renforcé avec insistance : peu de nations ont une croissance harmonieuse. On s’attarde sur les zones de détresse, qui viennent retarder, par leur masse, des ensembles par ailleurs dynamiques (on pense au Mezzogiorno italien). À l’échelle du globe, on découvre le tiers monde et les difficultés du démarrage chez les peuples sous-développés.

Depuis quelques années, les problèmes des grandes agglomérations passionnent l’opinion des pays avancés : on revient par-là aux préoccupations des aménageurs anglais du début du siècle, à ceux qui rêvaient de villes nouvelles. Mais on ne cherche plus à créer une cité idéale : on essaie d’abord de comprendre les maux qui frappent les villes actuelles, puis d’analyser leurs faiblesses, afin de les rendre à la fois plus accueillantes à l’homme et plus douces à la nature.

L’aménagement du territoire, c’est la réponse à ces déséquilibres multiples ; il est rarement apparu à ceux qui l’ont prôné à ses débuts comme devant conduire à des opérations de caractère global. Ils estimaient nécessaire de corriger des mécanismes défaillants et de faire face à des problèmes que ne connaissaient pas les sociétés traditionnelles. Rares furent ceux qui se montrèrent capables de saisir le problème dans son ensemble. C’est de cela que proviennent les doutes et les hésitations que l’on remarque dans tous les pays et sous tous les régimes en matière d’aménagement. On ne sait quelles options préférer. On puise dans un arsenal varié de mesures et de règlements, sans savoir l’efficacité que l’on peut en attendre et sans prévoir les conséquences lointaines des actions menées. La politique d’aménagement du territoire est ainsi faite d’approximations successives et de brusques volte-face, lorsqu’on prend conscience de l’inutilité des décisions arrêtées antérieurement. Il y a peu de domaines où l’on ait consommé plus de recettes au cours des vingt-cinq premières années de l’après-guerre. Les difficultés sont plus visibles dans les pays capitalistes. Dans les États socialistes, on insiste volontiers sur la permanence des objectifs et sur la volonté d’aboutir à une organisation rationnelle de l’espace. Mais l’examen des cadres législatifs et des actions menées révèle là aussi de nets revirements et, parfois, l’aveu de l’impuissance à maîtriser des évolutions pourtant condamnées.


Objectifs de l’aménagement : démocratie et doctrines

Pour comprendre les politiques d’aménagement du territoire, il faut savoir pourquoi sont retenus tels ou tels moyens d’intervention. Mais il faut d’abord connaître les buts qui ont été choisis et déterminer les raisons qui les ont fait retenir. C’est là un problème difficile, auquel on a apporté, selon les lieux, des solutions très diverses.

Pourquoi ne s’adresserait-on pas aux intéressés ? N’est-il pas plus simple et plus raisonnable de demander à l’ensemble de la population ce dont elle a besoin, ce dont elle rêve et ce qu’elle est disposée à sacrifier pour parvenir à l’aménagement souhaité ? On voit tout de suite l’avantage d’une telle démarche : elle évite à l’aménageur de procéder à des choix difficiles, elle laisse à l’ensemble des citoyens la responsabilité de l’organisation de leur cité, elle les rappelle à leurs devoirs politiques.

Mais les difficultés sont multiples. Demander à ceux qui en supporteront les conséquences les principes généraux des actions d’aménagement paraît très facile, mais à qui s’adresser ? aux élus ? aux électeurs ? à l’ensemble de la population ? Est-on certain d’obtenir la même réponse dans tous les cas ? Il arrive d’ailleurs très souvent que les représentants officiels ne désirent pas s’engager dans des domaines où ils sentent mal les préférences de ceux qui les ont désignés. Il faut alors consulter la population. Mais on s’aperçoit bien souvent qu’elle n’a pas d’opinion ferme. Cela est d’autant plus fréquent que les problèmes affectent des ensembles plus larges. On peut trouver à l’échelle d’une ville des positions nettes au sujet des décisions à prendre : on sait où il convient de laisser des espaces verts, où il faut faire passer des voies rapides. Mais il est rare de rencontrer des gens qui soient capables d’exprimer des souhaits cohérents en matière de politique régionale ou nationale : doit-on limiter la croissance des grandes villes ? favoriser les régions périphériques ? faire des investissements élevés en zones rurales ? Chacun répond en fonction de ses intérêts particuliers ou ne répond pas, s’il ne se sent pas concerné.

Que valent d’ailleurs les souhaits manifestés ? Les sociologues ont effectué en ce domaine des recherches critiques dont les résultats sont révélateurs. Très souvent, les gens interrogés expriment comme une opinion personnelle ce qui n’est qu’un cliché largement diffusé dans le milieu. Les indications obtenues traduisent plus directement le conditionnement social qu’une réflexion individuelle. Les questionnaires le révèlent souvent. En posant la même question sous deux formes différentes, l’une très classique dans son libellé et qui appelle le stéréotype, et l’autre qui oblige à tenir compte des éléments originaux de la situation, on obtient deux réponses dissemblables. Que valent donc les résultats des enquêtes menées auprès d’un large public ? S’agit-il d’une méthode réellement démocratique ? Certains recommandent de ne tenir aucun compte des indications ainsi retenues, puisqu’elles reflètent le parti pris qu’a fait naître le conditionnement. Mais, à les négliger, ne risque-t-on pas d’ignorer des besoins bien réels ?

Comme les options en matière d’aménagement sont souvent confuses, comme beaucoup d’individus y sont indifférents, comme les avis qu’ils donnent sont mal motivés, il arrive que les politiques d’intervention ne soient justifiées que par des considérations de doctrines. On ne se préoccupe plus de savoir ce que désirent les gens, ce dont ils souffrent et ce qu’ils aiment. On détermine ce qui est bon pour eux, on impose ses vues. Est-il besoin de dire que c’est la procédure la plus utilisée ? Elle s’appuie sur une tradition ancienne en ce qui concerne l’aménagement des villes. Il y a eu de tout temps des gens pour rêver à la cité idéale.