Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

genre (peinture de)

Peinture s’attachant à la représentation des scènes tirées de la vie familière, de la chronique des mœurs, ou de tout autre sujet réjouissant comme les tabagies, les foires, les repas champêtres, les rencontres galantes...


Sous diverses formes, intimiste, gaie ou caricaturale, la peinture de genre est d’abord d’essence réaliste. Elle a valeur de témoignage. Souvent teintée d’allusions politiques ou moralisatrices, elle obéit aux normes sociologiques de chaque époque. À l’aube du xviie s., elle se diffuse dans toutes les écoles d’Europe et entre alors en conflit avec la peinture officielle des tenants de l’Académie. À la suprématie des sujets héroïques ou idéalisés s’oppose la simplicité des thèmes réalistes de la peinture de genre. Cependant cette dernière ne sut pas toujours se renouveler. Les innombrables répliques illustrant une scène au goût du jour, les petits tableaux de facture précieuse au métier par trop glacé ont fait juger péjorativement la formule du « genre ».


Les origines

Dans l’Antiquité, l’artiste égyptien ou étrusque attache aux représentations des scènes de la vie quotidienne une transcendance symbolique religieuse ou magique. Ainsi, les fêtes, les jeux, les récoltes, les banquets, thèmes éternels dont héritera la peinture de genre moderne, répondaient jadis à un rituel souvent fort éloigné de toute préoccupation profane. Cette correspondance entre le mystère et la réalité tend à se rompre à l’époque romaine ainsi qu’à la fin du Moyen Âge. Le xve s. est riche en représentations profanes, naturalistes et pittoresques. Les scènes de la vie sculptées sur les portails des cathédrales ou peintes sur le parchemin des manuscrits conquièrent droit de cité en s’insérant avec hardiesse parmi l’iconographie sacrée.

Déjà, Giotto* présente une servante filant de la laine dans l’Apparition de l’ange à Anne, peinture à fresque à l’Arena de Padoue (1303-1305). Dans ses Allégories du bon et du mauvais gouvernement, peintes au palais public de Sienne, Ambrogio Lorenzetti* décrit des scènes réalistes : ses paysans autour d’une ferme annoncent déjà Bruegel. Ce sont au contraire des scènes de la vie courtoise qui sont dépeintes dans la Composition de la Sainte Écriture, manuscrit enluminé en 1462 pour Philippe le Bon. Robert Campin* (?) nous montre saint Joseph fabriquant des pièges à souris dans son retable de Mérode, tandis que Jan Van Eyck* unit naturellement l’ordre terrestre et l’ordre céleste dans le panneau de Sainte Barbe (1437, Anvers), où de multiples figures s’affairent sur un chantier de construction. À la fin du xve s., chez Jérôme Bosch*, observateur passionné et satirique du monde, l’interprétation des scènes du Prestidigitateur ou de l’Enfant prodige reste riche de contenu symbolique ; la singularité de ses inventions n’est pas sans rappeler la passion de Léonard* de Vinci pour les études de grotesques.


Le xvie siècle

La collusion entre les thèmes sacrés et profanes se généralise au xvie s. Le vocabulaire réaliste de la peinture de genre s’enrichit. Dans les pays du Nord, le tableau de mœurs à vocation moralisatrice apparaît en Flandre avec Quinten Matsys*, dont le Banquier et sa femme (Louvre) ouvre la voie au « genre » proprement dit, typiquement flamand, à demi satirique, qu’illustreront Jan Matsys*, dans un sens caricatural, ou Jan Sanders Van Hemessen (v. 1500 - apr. 1563), expressionniste avant la lettre. Les représentations de « joyeuses compagnies » et d’« assemblées musicales » de Hemessen, de Jan Cornelis Vermeyen (v. 1500-1559), de Pieter Pourbus (v. 1523-1584) recouvrent parfois des thèmes religieux désormais accessoires.

En Hollande, Pieter Aertsen*, sensible au maniérisme, crée les premiers tableaux de cuisines, comme les Faiseurs de crèpes (1560, Rotterdam), véritables motifs de genre qui influenceront Vélasquez. Lucas* de Leyde et Cranach* en Allemagne illustrent l’humanisme nordique issu d’Érasme : mise en garde contre la folie humaine dans la Courtisane et le vieillard (musée de Besançon), de l’école de Cranach, peintre de l’iconographie protestante.

Rompu à l’humanisme italianisant et formé par ses lectures d’Ovide, d’Érasme et de Rabelais, Pieter Bruegel* l’Ancien engendre l’esthétique et les formes de la peinture de genre. Peintre des paysans et du « burlesque », il s’écarte de la fièvre maniériste de la fin du xvie s. et retrouve ses sources d’inspiration dans les proverbes flamands et le terroir national. Il élève la peinture de genre au rang d’un humanisme accompli et transcende ses contemporains ou imitateurs, comme Hans Bol (1534-1593), auteur de tableautins de kermesses. La peinture de genre se hausse avec lui à un niveau poétique et naturaliste sans égal, et le « siècle de Bruegel » invente une dimension et un espace nouveaux à la peinture profane.


La peinture de genre au xviie siècle

Coexistant avec l’idéal mystique issu du concile de Trente, la peinture de genre connaît au xviie s. un essor exceptionnel. Des colonies de peintres nordiques, français ou espagnols s’installent à Rome et obéissent à la nouvelle esthétique réaliste du Caravage*. L’humanité profonde du Petit Vendeur de fruits (Rome, palais Borghèse), la force expressive de la Diseuse de bonne aventure (Louvre) du Caravage trouvent un écho profond. D’abord chez deux grands artistes espagnols en voyage à Rome : Ribera* et Vélasquez*. Le réalisme, la cruauté et la misère donnent à la peinture de genre espagnole ce caractère unique qui est celui du Pied-Bot (Louvre) de Ribera, de la série des nains et des bouffons de Vélasquez ou du Jeune Mendiant (Louvre) de Murillo*. À la suite de Ribera, les Napolitains Luca Giordano (1634-1705), Aniello Falcone (1600-1665) ou Salvator Rosa (1615-1673), auteur de tableaux de sorcières, s’adonnent aux sujets réalistes et profanes. À Bologne, Annibale Carrache* portraiture un Mangeur de fèves (Rome, galerie Colonna) et un Homme au singe (Florence, Offices). À Rome, à Venise ou à Mantoue, Domenico Fetti (v. 1589-1624), Francesco Guarini (1611-1654) ou Giovanni Benedetto Castiglione (v. 1610-1665) s’inspirent dans leurs scènes de mœurs du naturalisme caravagesque.