Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Gênes (suite)

Gênes attire dès lors un nombre accru d’habitants du contado ; à partir de 1155, une nouvelle enceinte enserre la civitas et le burgus. La ville étend sa domination vers l’ouest, sur la Riviera di Ponente et les côtes provençale et languedocienne, exportatrices de céréales et de sel, vers le nord, où elle occupe en 1121 Voltaggio, ainsi que vers l’est, où elle s’empare de Portovenere dès 1113. Ainsi débute un long conflit avec Pise, qui se poursuit en Provence, en Corse et en Sardaigne.

La ville entreprend de contrôler toute la Méditerranée occidentale en obtenant du pape Innocent II, en 1133, l’érection de l’évêché de Gênes en archevêché ayant juridiction sur trois évêchés corses ou en recourant à la force contre les Sarrasins en Sardaigne entre 1162 et 1174, en Afrique du Nord (expédition contre Bougie en 1136) et en Espagne (expéditions contre Almería en 1146 et contre Tortosa en 1147) ; elle arrache ensuite des avantages commerciaux importants, tant au roi normand Guillaume Ier, dans les villes d’Italie du Sud et en Sicile en 1156, qu’à l’empereur byzantin Manuel Ier Comnène, qui doit lui concéder un quartier de Constantinople en 1169. Enfin, bien que guelfe, elle n’hésite pas à s’allier à Frédéric Ier* Barberousse en échange de l’inféodation (confirmée par son fils Henri VI en 1191) de tout le littoral ligure, de Monaco à Portovenere, dont les villes déclarées autonomes mettent leurs flottes à sa disposition dans le cadre de la « Compagna civitatis Janue ».

Complété au xiie s. par huit consuls des plaids aux fonctions purement judiciaires et par un conseil qui devient peu à peu un organe permanent de relais entre le Parlement et les consuls, le système institutionnel ne résiste pourtant pas aux nombreuses conjurations de caractère familial, social, économique et politique que suscite l’individualisme génois ; aussi, celui-ci entraîne-t-il l’exploitation par l’aristocratie marchande des finances de la commune, qui reposent uniquement sur des impôts indirects. Ces impôts frappent moins les grandes familles qu’ils ne leur rapportent, puisqu’elles en afferment la perception à leur profit avant de l’abandonner à des groupements de créanciers, les compere, en remboursement des avances qu’ils ont consenties à la commune, qui s’avère insolvable.


Prospérité des hommes d’affaires et crise de l’État génois (xiiie-xve s.)

Consuls et conseillers abandonnent alors la réalité du pouvoir à un podestat de 1190 à 1257, en alternance avec des consuls jusqu’en 1217. Ce nouveau régime permet à la commune de se consacrer à l’expansion commerciale de la ville, qui enrichit ses hommes d’affaires. Assurant en outre le transport des croisés (Philippe II Auguste et ses troupes en 1190) et des pèlerins se rendant dans le Levant, les Génois s’efforcent également de contrôler le commerce terrestre vers la plaine du Pô et les foires de Champagne, où ils vont désormais acheter les draps flamands, dont la renommée s’étend à toute l’Europe.

En 1252, la frappe d’une monnaie d’or, le genovino, qui coïncide avec celle du florin florentin, matérialise la prospérité de Gênes, qui atteint son apogée dans la seconde moitié du xiiie s. La ville confie successivement ses destinées : de 1257 à 1262, à un capitaine du peuple, Guglielmo Boccanegra ; de 1262 à 1270, aux deux groupes de familles qui se disputent la majorité au sein du conseil des Huit, créé en 1220 (Doria et Spinola ; Fieschi et Grimaldi) ; de 1270 à 1285, à une dyarchie qui réduit le podestat à des fonctions purement judiciaires au profit d’une trinité nobiliaire représentant le peuple, l’abbé du peuple et les deux capitaines du peuple ; enfin, de 1285 à 1299, à un capitaine du peuple, recruté à partir de 1289 à l’étranger.

Malgré ces difficultés, les Génois créent à la même époque un nouvel empire colonial. Chassés de Constantinople en 1182, puis d’Acre en 1258, ils signent avec les Byzantins de Nicée le traité de Nymphée de 1261, qui leur restitue deux quartiers à Constantinople (Péra et Galata) et leur accorde des avantages à Smyrne et le monopole du commerce en mer Noire, dans les pays de la Caspienne et en Crimée, où ils se font concéder en 1262 le port de Kaffa (Feodossiia) par le khān de Qiptchaq. Renforcée de Phocée, dont le territoire, riche en alun, est attribué à Benedetto Zaccaria et à son frère Manuele par Michel VIII Paléologue en 1275, la puissance maritime de Gênes s’affirme au détriment de Pise, vaincue sur mer à la Meloria en 1284 et qui lui lègue ses droits sur la Corse et la Sardaigne. Poursuivant son établissement dans l’Égée, à Chios, dont elle exploite le mastic (1304-1566), à Lesbos (1355-1462), à Famagouste (1373-74), qu’elle se fait céder de 1384 à 1464, atteignant par mer Bruges dès 1277-78 et y assurant dès 1300 la redistribution de l’alun de Phocée, Gênes entre naturellement en rivalité économique et maritime avec Venise, qu’elle menace dangereusement lors de la guerre dite « de Chioggia » (1378-1381).

Mais, victime de l’anarchie inhérente à l’individualisme exacerbé de ses citoyens, la ville accepte les dominations successives de l’empereur Henri VII de Luxembourg (1311-1313) et du roi Robert de Naples et de Sicile (1318-1335) avant de se doter, en 1339, d’une constitution appliquée jusqu’en 1528 et qui fait de Simone Boccanegra le premier « seigneur et doge à vie » de Gênes. L’imitation du régime vénitien se révélant incapable de donner au civisme de ses habitants l’unanimité qui fait la force de Venise, elle doit accepter de se placer sous les tutelles successives des rois de France (1396-1409 ; 1458-1460) et des ducs de Milan : les Visconti d’abord (1421-1436), les Sforza ensuite (1464-1478), qui cherchent à donner à leur principauté un débouché maritime indispensable à son expansion économique.


Gênes et la Casa di San Giorgio

Renonçant à l’apparence du pouvoir politique, les hommes d’affaires génois tirent pourtant parti de la dégradation des finances publiques, aggravée par les charges de guerre. Créanciers de l’État, auquel ils ont avancé des sommes importantes, ils constituent au cours du xive s. des associations de porteurs de la dette publique, les mahones, qui se font remettre l’exploitation des territoires d’outre-mer (Chios, Chypre).