Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Gaulle (Charles de) (suite)

Homme d’avant-hier et d’après-demain, visionnaire en politique étrangère, grand stratège sur l’échiquier international, pour beaucoup persuasif et même séduisant dans sa hauteur souveraine et bonhomme à la fois, audacieux et déterminé dans le jeu institutionnel, autoritaire mais non dictatorial dans sa façon de gouverner, plébiscitaire mais non tyrannique dans ses rapports avec le peuple, de Gaulle était peut-être en avance sur son temps dans sa vision de l’avenir. Mais il était en retard sur une époque qu’à la fin il ne comprenait plus très bien, dès lors qu’il s’agissait de canaliser les forces neuves et désordonnées parfois de la jeunesse, de devancer et d’organiser les transformations nécessaires, de dépasser hardiment la gestion pour entreprendre de grandes réformes. Lorsqu’il tenta de s’y attaquer enfin, après la grande rupture, le choc et le redressement de mai-juin 1968, il était trop tard, et le pays le lui manifesta sans ambages en lui répondant « non » pour la première fois.

Abandonnant sur-le-champ non seulement le pouvoir mais la politique pour reprendre sa place dès longtemps marquée dans l’histoire, le grand homme se contentait pendant les dix-huit mois qui lui restaient à vivre de quelques gestes et de quelques abstentions symboliques, se gardant avec soin de se prononcer de quelque façon que ce soit sur le choix et sur l’action de ses successeurs. Audace, grandeur, patriotisme, obstination, indépendance, stabilité, tels sont les traits qui caractérisent le tempérament et le règne de ce soldat révolté devenu un monarque républicain, qui demeurera à coup sûr, de l’avis de ses compagnons comme de ses adversaires, un géant de l’histoire.

« Vieille Terre, vieille France, vieil homme... »

« À mesure que l’âge m’envahit, la nature me devient plus proche. Chaque année, en quatre saisons qui sont autant de leçons, sa sagesse vient me consoler. Elle chante, au printemps : « Quoi qu’il ait pu, jadis, arriver, je suis au commencement ! Tout est clair, malgré les giboulées ; jeune, y compris les arbres rabougris ; beau, même ces champs caillouteux. L’amour fait monter en moi des sèves et des certitudes si radieuses et si puissantes qu’elles ne finiront jamais ! »

Elle proclame, en été : « Quelle gloire est ma fécondité ! À grand effort, sort de moi tout ce qui nourrit les êtres. Chaque vie dépend de ma chaleur. Ces grains, ces fruits, ces troupeaux, qu’inonde à présent le soleil, ils sont une réussite que rien ne saurait détruire. Désormais, l’avenir m’appartient ! »

En automne, elle soupire : « Ma tâche est près de son terme. J’ai donné mes fleurs, mes moissons, mes fruits. Maintenant, je me recueille. Voyez comme je suis belle encore, dans ma robe de pourpre d’or, sous la déchirante lumière. Hélas ! les vents et les frimas viendront bientôt m’arracher ma parure. Mais, un jour, sur mon corps dépouillé, refleurira ma jeunesse ! »

En hiver, elle gémit : « Me voici, stérile et glacée. Combien de plantes, de bêtes, d’oiseaux, que je fis naître et que j’aimais, meurent sur mon sein qui ne peut plus les nourrir ni les réchauffer ! Le destin est-il donc scellé ? Est-ce, pour toujours, la victoire de la mort ? Non ! Déjà, sous mon sol inerte, un sourd travail s’accomplit. Immobile au fond des ténèbres, je pressens le merveilleux retour de la lumière et de la vie. »

Vieille Terre, rongée par les âges, rabotée de pluies et de tempêtes, épuisée de végétation, mais prête, indéfiniment, à produire ce qu’il faut pour que se succèdent les vivants !

Vieille France, accablée d’Histoire, meurtrie de guerres et de révolutions, allant et venant sans relâche de la grandeur au déclin, mais redressée, de siècle en siècle, par le génie du renouveau !

Vieil homme, recru d’épreuves, détaché des entreprises, sentant venir le froid éternel, mais jamais las de guetter dans l’ombre la lueur de l’espérance ! »

(Mémoires de guerre. Le salut.)

P. V.-P.

➙ Algérie / France / Guerre mondiale (Seconde) / République (Ve) / Résistance.

 P. Barrès, Charles de Gaulle (Plon, 1944). / A. Malraux et J. Burnham, The Case for De Gaulle (New York, 1948). / R. Massis, De Gaulle et l’Europe (Flammarion, 1963). / F. Mauriac, De Gaulle (Grasset, 1964). / J. R. Tournoux, Pétain et de Gaulle (Plon, 1964). / R. Aron, Charles de Gaulle (Perrin, 1964). / J. Lacouture, De Gaulle (Éd. du Seuil, 1965 ; nouv. éd., 1969). / R. C. Macridis (sous la dir. de), De Gaulle (New York, 1966). / M. Debré, Sur le gaullisme (Plon, 1967). / J. M. Cotteret et R. Moreau, le Vocabulaire du général de Gaulle (A. Colin, 1969). / J. Charlot, le Gaullisme (A. Colin, coll. « U2 », 1970) ; le Phénomène gaulliste (Fayard, 1970) ; les Français et de Gaulle (Plon, 1971). / C. Mauriac, Un autre de Gaulle. Journal 1944-1954 (Hachette, 1970). / P. Viansson-Ponté, Histoire de la République gaullienne (Fayard, 1970-71 ; 2 vol.). / A. Malraux, les Chênes qu’on abat (Gallimard, 1971). / J. Mauriac, Mort du général de Gaulle (Grasset, 1972). / A. Passeron, De Gaulle, 1958-1969 (Bordas, 1972).

Jalons biographiques

De la naissance à la victoire (1890-1918)

1890

22 novembre : naissance à Lille de Charles André Joseph Marie de Gaulle, troisième enfant d’Henri de Gaulle, professeur de lettres au collège de l’Immaculée-Conception à Paris, et de Jeanne Maillot.

1906-1907

Les « inventaires » : le collège de l’Immaculée-Conception, qui appartenait aux Jésuites, est fermé. Henri de Gaulle ouvre un cours privé, la pension Fontanes. Charles est envoyé en Belgique, à Antoing, où les Jésuites se sont réfugiés, pour y poursuivre ses études.

1909

Charles de Gaulle est reçu au concours d’entrée à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr.

1912

Sorti 13e de Saint-Cyr, le sous-lieutenant de Gaulle est affecté au 33e régiment d’infanterie, à Arras, commandé par le colonel Pétain.

1914

15 août : le lieutenant de Gaulle est blessé à Dinant ; il sera cité à l’ordre de la division.

1915

15 mars : deuxième blessure, au Mesnil-les-Hurlus, en Champagne, et deuxième citation. Il est promu capitaine en septembre.

1916

2 mars : la 10e compagnie, qu’il commande, est pratiquement anéantie devant Douaumont. Le capitaine de Gaulle, blessé, porté disparu, est décoré de la Légion d’honneur et cité à l’ordre de l’armée : « Est tombé dans la mêlée... » En fait, il est prisonnier.

1916-1918

Après cinq tentatives d’évasion et cinq camps, de Gaulle est interné au fort IX d’Ingolstadt, où il rencontre le futur général Catroux, l’écrivain Remy Roure, Berger-Levrault, qui sera son éditeur, et le futur maréchal de l’armée rouge Toukhatchevski. Ils seront délivrés par l’armistice du 11 novembre 1918.