Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Gaulle (Charles de) (suite)

Il lui faudra quatre années en tout pour atteindre le but. Chemin faisant, la Communauté franco-africaine, réunissant les anciens territoires d’outremer, est née, puis s’est défaite. En juillet 1962, l’Algérie, toutes les anciennes colonies (à l’exception des quatre « vieux » départements des Antilles, de Guyane et de la Réunion et de quelques territoires lointains tels que Djibouti ou la Polynésie) ont accédé à l’indépendance pleine et entière. Mais la France est en paix, pour la première fois depuis vingt-cinq ans.

La mise en place des institutions nouvelles n’avait pas été réalisée sans heurts. Les étapes mouvementées de la politique algérienne avaient conduit à recourir à maintes reprises à des dispositions contraignantes, à la création de successives juridictions et procédures d’exception, à la suspension partielle des libertés publiques sous les protestations de l’opposition. Voici que, la guerre terminée, de Gaulle, pour fonder l’avenir, au-delà de sa personne menacée par les attentats activistes, entreprend de transformer de nouveau le régime par l’institution de l’élection directe du président de la République au suffrage universel. Cette considérable réforme fait l’objet d’une dure bataille référendaire à demi gagnée — à demi seulement puisque, pour la première fois, le général n’a pas entraîné la majorité des électeurs, mais seulement celle des votants. L’Assemblée qui avait renversé le premier gouvernement Pompidou mis en place au lendemain de la paix algérienne ayant été dissoute, les élections donnent toutefois aux partisans du régime la majorité absolue au Palais-Bourbon.

C’est peut-être au référendum du 28 octobre 1962, peut-être même au début de cette année-là, que commence à apparaître la faille qui ira désormais en s’élargissant dans les relations entre le chef de l’État et le peuple français. Certes, s’il est mis en ballottage à l’élection présidentielle de 1965, première application du nouveau mode de scrutin, de Gaulle n’en connaît pas moins le succès au second tour. Si les élections législatives de mars 1967 sont médiocres, l’opposition n’ayant qu’un député de moins qu’une majorité dans laquelle les gaullistes ne font plus seuls la loi, la revanche viendra. Elle sera complète, triomphale même, en juin 1968, lorsque les électeurs répondront massivement à l’appel du général, qui a repris le contrôle de la situation au terme d’un mois de mai agité, voire dramatique. Il reste que de Gaulle lui-même (selon André Malraux dans les Chênes qu’on abat) fera un jour remonter à 1962 l’origine du malentendu qui aboutira au « non » du référendum d’avril 1969 et à son départ immédiat, après presque onze ans de pouvoir.

Pendant ces années, Charles de Gaulle marque profondément de son empreinte la vie publique du pays. Sa politique étrangère, faite de fracas, de refus, de défis et d’affirmations répétées de la grandeur et de l’indépendance, est à la fois cohérente et nouvelle, même aux yeux de ceux qui ne l’approuvent pas. Elle consiste, dans ses lignes directrices, à réorienter et rééquilibrer les alliances du pays en entamant avec l’Union soviétique la recherche de la détente, puis de l’entente, enfin de la coopération, tandis que, sans se séparer de ses alliés occidentaux, la France prend ses distances à leur égard, quitte l’O. T. A. N. tout en poussant activement la mise sur pied de la « force de frappe » nucléaire nationale et maintient fermée devant la Grande-Bretagne la porte de la Communauté économique européenne.

Cette Communauté traverse à maintes reprises des jours difficiles et elle se transforme, par la seule volonté du président français : tournant le dos à l’intégration, à l’institution progressive d’un pouvoir supranational, elle devient l’« Europe des États », dans laquelle chacun des six participants conserve sa pleine souveraineté. Un traité franco-allemand a scellé la réconciliation des deux nations. Les crises, les menaces, les ruptures même et dix combats d’avant-garde ou d’arrière-garde — contre la politique américaine au Viêt-nam, contre la politique israélienne au Proche-Orient, contre le système monétaire international, etc. — caractérisent cette diplomatie dont on a pu dire à juste titre qu’elle exprime une volonté de puissance obstinément tendue à travers un jeu subtil d’ombre et de lumière, un dosage savant de conciliation et de chantage, tandis que ce qu’elle a de profondément légitime souffre de ce qu’elle peut avoir de démesuré.

La gestion du bien commun est moins cohérente et moins spectaculaire que le déploiement de la diplomatie de la grandeur. Fin 1958, une dévaluation, une révision complète des bases de la vie économique et bientôt les premiers effets du Marché commun européen avaient assuré un bon départ et permis de rétablir une situation obérée. Peu à peu, cependant, l’inflation sournoisement réapparue sapait la réussite ; c’est alors qu’un plan de stabilisation, trop tardivement mis en œuvre, mal calculé et trop longtemps maintenu en application, venait casser l’expansion. Il fallait, non sans peine, trouver un second souffle, tandis que les tensions sociales se faisaient d’année en année plus vives jusqu’à la grève généralisée, spontanément apparue en mai 1968 à la suite de la révolte étudiante.

Cette révolte et cette grève exprimaient sans doute, comme on l’a beaucoup dit, une crise de civilisation. Elles n’en résultaient pas moins, pour une part, de l’absence de vraies réformes tant universitaires que sociales au cours des dix années précédentes. L’enseignement avait bien fait l’objet de fréquentes réorganisations, transformations et retouches — trop fréquentes même à certains égards —, mais presque toujours trop tardives et insuffisantes. La doctrine sociale du régime, issue de l’« association capital-travail » du gaullisme, avait bien reçu quelques timides — presque insignifiants — débuts d’application, sans grand succès d’ailleurs. Mais la France était là en retard d’une révolution et même de plusieurs : dans l’enseignement, dans les rapports entre employeurs et salariés, dans l’organisation de son économie, de la distribution, etc.