Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

García Lorca (Federico) (suite)

En 1925, Lorca se lie d’amitié avec le poète Jorge Guillén, qui connaissait la poésie de Valéry et dont la formation littéraire était toute française : Guillén tient la poésie pour un métier, qu’il faut apprendre et inlassablement pratiquer ; il convainc le jeune dilettante. Lorca s’attache au peintre Salvador Dalí*, qui, avec Luis Buñuel, l’initie à certaines audaces surréalistes. La célébration du poète hermétique Luis de Góngora*, lors du troisième centenaire de sa mort, lui donne l’occasion d’exercer sa plume aux figures les plus audacieuses de la rhétorique ; mais la voie de la poésie trop pure n’est pas la sienne ; pour chanter, Lorca a besoin d’un écho chaleureux, d’un climat d’amitié, de cet encouragement que trouve le chanteur de flamenco dans le claquement des mains. Il donne ses poèmes à Litoral, la revue d’Emilio Prados à Málaga, et à Verso y Prosa, la revue de Juan Guerrero et de Jorge Guillén à Murcie. Mais il veut fonder un journal littéraire bien à lui : Gallo sortira en février 1928 ; c’est le supplément littéraire du Defensor de Granada. Pendant un séjour à Barcelone en 1927, Lorca prend contact avec l’avant-garde, tournée vers l’Europe, de la Catalogne. Il fait jouer Mariana Pineda, avec un certain succès, d’abord à Barcelone, puis à Madrid. Et tous les poètes de sa génération se retrouvent à la fin de l’année à Séville, sous l’égide du toréador mécène Ignacio Sánchez Mejías. Il y a là, avec Lorca, Jorge Guillén, Pedro Salinas, Rafael Alberti*, Dámaso Alonso, Gerardo Diego...

En 1928, deux numéros et un pastiche de Gallo publient de courts poèmes ou des fragments dans un état encore imparfait ; la revue catalane Els Amics de les Arts diffuse des morceaux en prose d’allure surréaliste. Lorca donne lecture d’un essai, Imagination, inspiration, évasion. En 1929, il se produit dans des récitals. La censure interdit les Amours de don Perlimplín, une farce jugée scandaleuse. C’est alors que Lorca part pour New York. Il enseigne auprès de Federico de Onís et de son ami Ángel del Río à Columbia University. Il apprend à connaître la poésie de Walt Whitman* ; il fréquente Harlem, le quartier noir, qui déconcerte ses sentiments et ses idées, tant sur la musique que sur les sources de la poésie, de bourgeois cultivé européen. Il écrit ou retouche à New York la Savetière prodigieuse ; il y donne lecture de son Poème du cante jondo. Son séjour en Amérique lui laisse le goût d’un cauchemar, où il puise le renouveau de son inspiration. En 1930, il mettra au point quelques compositions de son Poète à New York. Sur la voie du retour, quand il passe par Cuba, il trouve enfin une expression espagnole de la poésie si humaine qui émane de la communauté noire. Il écrit donc, à la manière des poètes antillais, un « Son de nègres à Cuba ». Et il lit dans l’île, qui parle sa langue, un essai intitulé Théorie et jeu du « duende » ; il dit en quoi consiste ce génie malicieux qui commande au verbe des poètes de sa race.

Quand il est de retour à Madrid, Margarita Xirgu (1888-1969), qui avait déjà donné Mariana Pineda à Barcelone, donne à Madrid la Savetière prodigieuse. Lorca, déjà hanté par le public, compose les premières scènes d’une pièce intitulée le Public et passe son temps à refaire ses poèmes. Entre le premier jet et le moment où il donne le bon à tirer du recueil définitif, des années parfois s’écoulent : aussi ne faut-il pas se fier aux dates d’impression pour juger de l’évolution des thèmes ou des formes et encore moins des changements survenus dans ses sentiments esthétiques. Lorca se montre aussi exigeant à son propre égard qu’à celui du typographe. Par exemple, lors de la publication d’une partie du Romancero gitano dans la revue Litoral, il écrit à Jorge Guillén : « Mes romances... tu as vu cette horreur ? Plus de dix énormes coquilles ; ils sont tout défigurés. Quelle douleur pour moi de les voir brisés, abîmés, ayant tout perdu de cette dureté et de cette grâce de silex que je crois leur avoir données. Le matin où j’ai reçu la revue, j’en ai pleuré, littéralement pleuré de dépit. » Or, il retouchera encore son Romancero. De même, en 1933, il répondra à un journaliste de La Nación à Buenos Aires : « Il y a des périodes où je sens une attraction irrésistible qui me force à écrire. Alors fébrilement, pendant des mois, j’écris, jusqu’au jour où je recommence à vivre. Oui, j’ai plaisir à écrire quand cela se produit. Mais du plaisir à publier ? Jamais ; au contraire, tout ce que j’ai publié m’a été arraché par des éditeurs ou par des amis. Ce que j’aime par contre c’est réciter mes vers, lire mes œuvres. Les publier me fait peur. Même lorsque je me recopie, je commence à trouver des défauts, ou bien cela ne me plaît plus. »

En 1931, la république est proclamée en Espagne. Le changement a été préparé en profondeur par une élite de penseurs au moyen d’un excellent organe, la Revista de Occidente, et d’un remarquable journal de grande diffusion, El Sol. L’immense majorité des « intellectuels » se rallie au nouveau régime. La Revista de José Ortega y Gasset* continue à publier des poèmes de Lorca, notamment ceux du Poète à New York. Gerardo Diego recueille alors une anthologie poétique de la nouvelle génération et la brandit comme un manifeste, au scandale du vieux maître Juan Ramón Jiménez. Lorca y participe. Son Poème du cante jondo sort sous sa forme définitive. Mais il tient encore à reprendre le Petit Retable de don Cristóbal, les Amours de don Perlimplín et une autre pièce, Lorsque cinq ans auront passé. Il annonce un nouveau recueil inspiré par la poésie espagnole en langue arabe des ixe et xe s., le Divan du Tamarit. Il publie aussi un Art poétique, qui, à l’origine, n’était qu’une déclaration spontanée, orale.

En 1932, dans l’ardeur de sa foi républicaine, il décide de mettre son talent au service de la culture populaire ; il crée « La barraca », une troupe ambulante où il est à la fois impresario, animateur, metteur en scène, parfois décorateur et costumier, voire musicien, le plus souvent acteur et directeur. Dans les bourgs et les villages de Castille, des Asturies, de Galice, d’Andalousie et du Levant, on joue des intermèdes de Cervantès et des autos sacramentales de Calderón. Mais la distance est grande entre l’ambition des acteurs et la capacité de compréhension du public. « La barraca » est présentée, à Madrid, aux universitaires et aux officiels du ministère de l’Instruction publique, qui subventionne la compagnie.