Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Gāndhī (Morhandas Karamchand) (suite)

Les résultats obtenus au prix d’un jeûne si dur semblent bien minces. Toutefois, pour Gāndhī, l’essentiel, l’unité indienne, est sauvegardé. De plus, l’émotion soulevée par ce que les historiens britanniques appelleront the epic fast sera si grande qu’elle encouragera un vigoureux mouvement en faveur de l’amélioration du sort des intouchables, qui n’aurait sans doute pas eu lieu sans cela.


Gāndhī et le svarāj « gouvernement par soi-même »

Pendant trente ans (1918-1948), sauf quelques périodes consacrées à la seule action sociale, Gāndhī sera, pour les Britanniques, pour l’opinion mondiale et pour l’immense majorité de ses compatriotes, le symbole du nationalisme indien, dont il fera un phénomène de masse. À partir de 1918-19, Gāndhī, jusque-là fidèle à l’Empire britannique, va devenir un opposant de plus en plus irréductible. Les raisons de ce changement sont multiples.

Les décrets Rowlatt, après le retour de la paix, maintenaient l’Inde, sans aucune raison valable, sous la coupe d’une véritable loi martiale. Les Indiens y virent une curieuse récompense de leur effort de guerre et une bien discutable application des quatorze points du président Wilson. Une vague de protestations déferla sur l’Inde, hindous et musulmans étant pour une fois unis dans une même réprobation.

Le fossé se creusa définitivement entre Indiens et Britanniques à la suite du massacre de Jaliyānvālabāgh, place de la ville d’Amritsar, où, le 13 avril 1919, le général Dyer fit mitrailler une foule parfaitement calme. Il y eut de 400 à 1 000 morts. Enfin, craignant que des conditions de paix trop dures ne soient imposées à l’Empire ottoman, dont le chef était jusqu’alors la plus haute autorité religieuse de l’islām, les musulmans indiens tentèrent d’intervenir auprès du gouvernement britannique. Gāndhī vit là une occasion unique de réaliser cette unité entre hindous et musulmans à laquelle il tenait tant. Pour donner plus de poids à cette action unitaire, il décida, à partir de 1920, de lancer une campagne du satyāgraha à propos de la question du califat. Le Congrès national indien devait, à sa session de Nāgpur, étendre ce mouvement à la revendication du svarāj. Pendant deux ans, on allait assister à des boycotts de plus en plus généralisés, à la démission d’hommes de loi indiens qui refusaient de collaborer avec l’administration britannique et même à de véritables autodafés de tissus étrangers.

Mais des manifestants ayant, en 1922, brûlé un poste de police à Chauri Chaura et causé la mort de plusieurs policiers, Gāndhī arrête brutalement la campagne du satyāgraha. Il considère que cet incident montre le manque d’éducation non violente du peuple indien et relève plutôt de ce qu’il appelait la mobocratie (en anglais, mob veut dire « populace »). Ce brutal revirement n’est pas du goût de tous. Nombre de ses amis le critiquent en axant leur argumentation autour de deux thèmes : cet incident, si regrettable fût-il, ne devait pas être un frein au développement d’une campagne qui promettait beaucoup ; par ailleurs, comme lui fait remarquer son ami Romain Rolland, il est dangereux de jouer ainsi avec les nerfs d’un peuple en le poussant à l’action pour ensuite arrêter tout.

La question du califat devait être réglée par le maître de la Turquie Mustapha Kemal, qui le supprima en 1924, mais le combat national indien, lui, continua.


De 1928 à 1939

Arrêté en mars 1922, Gāndhī est condamné à six ans de prison. Libéré pour raison de santé en 1924, il ne relancera la désobéissance civile qu’en 1930. Il estime, en effet, qu’il ne serait pas loyal de profiter d’une mesure de grâce des Britanniques et ne pense pas que le peuple indien a complètement tiré les leçons de Chauri Chaura.

De 1928-1930 à 1939, l’action de Gāndhī suit une véritable sinusoïde où alternent des phases très dures et des replis plus ou moins stratégiques. Ainsi, en avril 1930, c’est la célèbre « marche du sel », par laquelle Gāndhī appelle ses compatriotes à violer la loi sur le monopole du sel en l’extrayant eux-mêmes de l’eau de mer. L’arrestation du Mahātmā le 5 mai ne fait qu’aggraver la situation.

Mais, alors que la tension est extrême et que nul compromis ne paraît possible, le 5 mars 1931 est signé entre le vice-roi lord Irwin et le Mahātmā le pacte Irwin-Gāndhī. Cet accord, peu apprécié par beaucoup d’Indiens, prévoit que, moyennant la libération de prisonniers politiques, la désobéissance civile sera supprimée et que Gāndhī ira à Londres participer à la deuxième conférence de la Table ronde. Cette conférence, dont le but théorique est d’étudier une constitution pour l’Inde, est un échec total. Pendant ce temps, la situation s’est à nouveau détériorée en Inde. Une semaine après son retour en Inde, Gāndhī retourne en prison. En 1934, il démissionne du Congrès, ne pouvant trouver un terrain d’accord complet avec ses principaux dirigeants. Jusqu’en 1937, il va se préoccuper des problèmes économiques et sociaux.


De 1939 à 1948

La Seconde Guerre mondiale replace le nationalisme indien au premier plan. Le 3 septembre 1939, le vice-roi lord Linlithgow (1887-1952) déclare l’Inde en état de belligérance avec le IIIe Reich sans aucune consultation d’Indiens représentatifs.

Un double clivage s’opère alors : entre le vice-roi et les nationalistes indiens, qui, tout en affirmant leur hostilité fondamentale au nazisme, déclarent ne vouloir combattre aux côtés des Britanniques que si l’Inde obtient son indépendance ; mais aussi entre Gāndhī et le Congrès, qui, pour la première fois, renonce à la non-violence, jusqu’alors érigée en principe. L’attitude négative du vice-roi amène Gāndhī à relancer la désobéissance civile, d’abord en la réservant à quelques personnes soigneusement choisies, puis en l’élargissant de plus en plus de 1940 à 1941. La menace japonaise conduit les Britanniques à faire une ultime tentative de conciliation : la mission de sir Stafford Cripps (mars-avr. 1942), dont les propositions auraient été acceptées avec enthousiasme dix ans plus tôt, mais qui échoue en partie sur le problème des États princiers. Dès lors, les antagonistes ne cessent de durcir leur position.