Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Gāndhī (Morhandas Karamchand) (suite)

De toutes ces influences, de sa réflexion et de ses expériences personnelles devait sortir en 1909 un livre que l’on peut considérer comme la quintessence de la pensée gandhienne : Hind Svarāj (Autonomie ou Indépendance de l’Inde), plus connu sous le titre Leur civilisation et notre délivrance et qui, par bien des aspects, est un véritable réquisitoire contre la civilisation matérialiste de l’Occident.

Cette remise en cause systématique des valeurs occidentales ne fut pas du goût de tous, et le prestigieux leader politique Gokhale lui reprocha par exemple d’être beaucoup trop catégorique dans ses condamnations.

C’est sur ces bases, pourtant, que Gāndhī devait élaborer des moyens d’action originaux, axés autour de deux grands principes : la non-violence et la non-coopération, incluant le boycott commercial et administratif.

Satyāgraha peut se traduire étymologiquement par « force de la vérité ». Dans un sens plus large, Gāndhī considérait le satyāgraha comme une défense de la vérité visant à « vaincre l’adversaire en prenant sur soi la souffrance ». L’habitude a fait souvent employer l’expression résistance passive, mais cette dernière n’était guère prisée de Gāndhī, qui lui préférait résistance de la non-violence, car le satyāgraha est inséparable de la notion d’ahimsā (absence de violence), avec laquelle le Mahātmā avait été très tôt familiarisé par les relations que son père avait avec les jaïns.

Sous le vocable non-coopération on doit comprendre les multiples notions allant du refus de se soumettre à la loi jusqu’aux formes de boycott les plus variées.

C’est selon ces principes que Gāndhī va mener son combat politique en Afrique du Sud (passages illicites, par les Indiens, de la frontière entre le Transvaal et le Natal, autodafés des cartes d’identité spéciales dont ils sont dotés, refus de se faire enregistrer, etc.) et aussi sa lutte pour le perfectionnement moral de la communauté indienne. Il le fera selon deux façons : l’une destinée à la grande masse et visant à lui inculquer des principes de vie plus moraux, voire simplement plus hygiéniques ; l’autre consistant à donner l’exemple, avec quelques disciples, d’une vie simple, morale et religieuse.

C’est cette capacité assez rare de faire accéder la communauté indienne à une véritable prise de conscience politique (1894, fondation du Natal Indian Congress Party sur le modèle du « Congrès national indien » ; 1904, lancement d’un journal, Indian Opinion, véritable catalyseur des aspirations de ses compatriotes) en même temps que son souci constant de perfectionnement moral qui expliquent l’arrivée triomphale de Gāndhī à Bombay le 9 janvier 1915 : triomphe apparemment paradoxal si l’on songe que, depuis 1893, il a vécu en Afrique du Sud, à l’exception des périodes 1896-97 et 1901-02, où il est revenu en Inde, y rencontrant B. Tilak et G. K. Gokhale.


En Inde : l’entrée dans la lutte

En 1915, Gāndhī est, à bien des égards, un étranger en Inde. Pendant un an, comme le lui a demandé Gokhale, il se contente d’observer, de voyager et de rencontrer des personnalités marquantes : ainsi le poète Rabindranāth Tagore*. C’est également pendant cette période qu’il fonde l’āśram de Sābarmati, près d’Ahmadābād. Plus tard, il en créera un autre à Sevagram, près de Wardha, en Inde centrale.

C’est peu à peu, en partant d’actions très localisées, que Gāndhī va s’imposer comme le leader indien, après la mort de Gokhale en 1915 et celle de Tilak en 1920.

En 1917, Gāndhī agit en faveur des cultivateurs d’indigo du Champāran (région du nord de l’Inde, au pied de l’Himālaya). Ces paysans sont des métayers travaillant pour le compte de grands propriétaires anglais ; par contrat, ils sont contraints de consacrer à l’indigo 15 p. 100 de leurs tenures et de céder la totalité de la production à leurs propriétaires. Mais, au lendemain de la Première Guerre mondiale, les chimistes allemands ayant réalisé de l’indigo synthétique, la culture de l’indigo devient sans intérêt. Dès lors, les propriétaires s’efforcent de supprimer cette obligation faite aux paysans, à condition que ces derniers leur paient une compensation financière. Bon nombre de paysans, que cette suppression arrange, s’exécutent, sauf un petit noyau de récalcitrants, dont l’un, Rajkumar Chukla, fait appel à Gāndhī. Celui-ci, en butte à l’hostilité des autorités politiques et judiciaires, va, pour la première fois en Inde, recourir à la désobéissance civile. Après bien des palabres, un compromis sera trouvé. Mais le plus important reste finalement ce que Gāndhī résume dans cette formule : « Je déclarai que les Britanniques ne pouvaient pas me donner d’ordres dans mon propre pays. »

Peu après, éclate la grève des ouvriers du textile d’Ahmadābād. Il s’agit d’une action typiquement gandhienne dans l’esprit et dans la forme. À l’origine, le conflit n’a rien d’original ; sous-payés, vivant dans des conditions lamentables, les ouvriers ont de nombreuses revendications ; mais, à celles-ci, le magnat de l’industrie textile, A. Sarabhaï, ami personnel de Gāndhī, oppose une fin de non-recevoir, de même qu’il récuse toute procédure d’arbitrage. Gāndhī incite les ouvriers à faire la grève. Au fur et à mesure que celle-ci dure, la volonté et le mordant de certains ouvriers s’émoussent. C’est alors que Gāndhī a recours au jeûne pour renforcer les ouvriers dans leur détermination en même temps qu’il s’adresse au cœur et à la conscience des patrons. Finalement, ces derniers accepteront la procédure d’arbitrage.

À la fin de 1918, fort de ces premiers succès, Gāndhī entre de plain-pied dans la vie nationale indienne.

D’une façon globale, Gāndhī déteste la politique, où le calcul, l’hypocrisie, la violence et l’esprit de lucre lui semblent tenir une place trop grande. À la limite, on peut dire que c’est à son corps défendant qu’il est amené à participer à la vie politique. Mais il le fera toujours selon les critères moraux et religieux qu’il juge essentiels. D’où l’originalité de celui dont on a dit qu’il était « un saint parmi les politiques, un politique parmi les saints ».

Le domaine favori de Gāndhī est celui des réformes sociales. Là est sa vraie vocation, l’action politique ne devant être considérée que comme un épiphénomène. Il faut reconnaître d’ailleurs que les injustices sociales les plus graves ne manquaient pas en Inde.

Jusqu’au massacre de Jaliyānvālabāgh à Amritsar le 13 avril 1919, on peut considérer Gāndhī comme tout à fait loyal envers l’Empire britannique ; il participe à l’effort de guerre des Anglais durant la guerre des Boers (1899-1902), la révolte des Zoulous (1906) et la Première Guerre mondiale.

De 1919 à 1948, la vie de Gāndhī sera une succession de périodes d’intense activité politique suivies de véritables retraites dans un des āśrams de Sābarmati ou de Sevagram.