Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Alsace (suite)

Au xiiie s., Rodolphe de Habsbourg vient au secours de la ville de Strasbourg, assiégée par son évêque, et la libère. En signe de reconnaissance, la statue équestre du futur empereur germanique est placée au portail de la façade de la cathédrale, à côté de Clovis et de Dagobert. Au-delà du chœur encore roman, appuyé sur une crypte surélevée, le grandiose transept, avec le « pilier des anges », si original, montre l’apport du style gothique champenois. La nef est en chantier de 1240 à 1275. Moins élancée que d’autres du fait de sa largeur inusitée, elle s’orne d’une parure de vitraux d’une admirable lumière colorée. La statuaire fait le prix des trois portails de façade, comme de celui du transept sud (l’Église et la Synagogue, v. 1230). Les vibrations verticales s’exaltent dans le clocher, dont l’étage octogonal, signé de l’illustre architecte Ulrich von Ensingen, est surmonté d’une flèche audacieuse achevée par Johannes Hültz au xve s. ; culminant à 142 m, elle fera de la cathédrale le plus haut édifice de la chrétienté jusqu’au xixe s.

À côté de cet édifice, les églises gothiques paraissent frêles, même les cinq nefs égales (église-halle) de Saint-Thomas de Strasbourg, même à Colmar* l’élégante église des Dominicains ou le couvent d’Unterlinden (Sous les tilleuls), groupé autour d’un cloître, le plus beau de ceux qu’ont élevés en Alsace les ordres mendiants, qui y étaient nombreux. Dans le musée qu’il abrite, le retable d’Issenheim (v. 1513-1515) fait éclater le génie de Matthias Grünewald*. Ce dernier y dépasse son maître, Martin Schongauer* ; l’audace torturée de la Crucifixion, les lueurs phosphorescentes de la Résurrection, l’étrangeté mystique du Concert d’anges, qui ont tant impressionné J.-K. Huysmans, constituent le sommet de l’art médiéval finissant. Autre Alsacien parmi les grands, Hans Baldung Grien* rompt avec la tradition gothique. En cette période de transition du début du xvie s., il annonce l’éveil humaniste de la Renaissance et la contestation religieuse qui se prépare.

Le mouvement artistique du xvie s. sera essentiellement civil, par contraste avec les siècles précédents. Il est marqué du goût de la Renaissance italienne, transmis par la Suisse et les Flandres. Mais les résistances de la tradition gothique sont vives en architecture. Le style flamboyant, très en faveur en Alsace, se prolongera tard, jusqu’au début du xviie s. D’où la survivance d’archaïsmes frappants dans la construction des hôtels de ville, ornés fréquemment d’un double perron sous auvent ; l’un des plus caractéristiques est celui d’Ensisheim (1547). Le municipe de Strasbourg, devenu hôtel du Commerce, offre bien un premier étage ionique et un second corinthien, mais ce ne sont que d’étroits pilastres séparant l’alignement des fenêtres traditionnelles. La composition générale demeure celle de la célèbre maison Kammerzell, dont les étages en pans de bois, de 1589, reposent sur un rez-de-chaussée de pierre plus ancien. Le double étage de loggias de la commanderie Saint-Jean, à Colmar, est plus franchement italien. Le plus souvent, les plafonds à caissons et les motifs renaissants côtoient les ornements flamboyants, s’amalgament à eux de façon imprévue. Ce style composite, savoureux, s’exprime dans la sculpture sur bois des colombages de façades. Encorbellements, fenêtres en surplomb (oriel) rectangulaires ou polygonales, lucarnes superposées sur 3 ou 4 étages, immenses toits de tuiles plates à forte pente, galeries de cours intérieures, escaliers pittoresques traduisent l’atavisme d’un pays forestier, virtuose en charpente et qui aime le décor.

Le xviie siècle, bouleversé par la guerre de Trente Ans, sera une période de crise. La peste ajoute aux horreurs de la guerre, stigmatisée par le Lorrain Jacques Callot. Dans ces conditions, que reste-t-il de vie intellectuelle et artistique ? Un seul peintre, mais singulier : Sébastien Stoskopff (1597-1657), maître de natures mortes insolites.

Dans l’Alsace enfin unifiée au sein du royaume de France, le renouveau économique inauguré par Louis XIV et ses intendants va amener une vive activité architecturale. Dans le domaine militaire, Vauban trace ses citadelles savantes, comme celle de Neuf-Brisach. Dans le domaine civil, la construction du château des Rohan à Strasbourg (1730-1742) s’effectue sur les plans de Robert de Cotte, premier architecte du roi. Pierre blanche et toits d’ardoise, si inhabituels en Alsace, plan d’hôtel entre cour et jardin, raffinement du décor intérieur de style Régence, c’est un palais d’une élégance toute parisienne. Œuvre d’importation, elle est destinée à servir de modèle dans les pays germaniques. Certains de ses décorateurs iront travailler à Potsdam, à Charlottenburg et à la cour de Suède. Toujours pour la famille de Rohan, le château de Saverne, plus tardif (1780 - v. 1790), a la rigueur monumentale du style Louis XVI sur les marches de l’Est. Trois églises particulièrement remarquables illustrent des tendances diverses du baroque européen : l’abbatiale d’Ebersmunster, somptueuse et italianisante à la manière de l’Allemagne du Sud et de l’Autriche, l’église des Jésuites de Molsheim, plus française, Notre-Dame de Guebwiller (v. 1765-1785), plus romaine avec ses colonnes corinthiennes. Il faut y ajouter le superbe monument du maréchal de Saxe, sculpté par Pigalle de 1756 à 1777 (dans l’abside de Saint-Thomas à Strasbourg).

La Révolution apporte enthousiasme, violence, élan patriotique. Un immense bonnet phrygien coiffe alors la flèche de la cathédrale. L’histoire nationale, de 1815 à 1870, ne laisse ici guère de traces politiques et artistiques. Classicisme voire académisme règnent (Frédéric Auguste Bartholdi [1834-1904], Jean-Jacques Henner [1829-1905]). Seul le peintre et illustrateur romantique Gustave Doré (1833-1883) se révèle un créateur authentique. Les constructions officielles, avant comme après l’annexion de 1871, témoignent de la médiocrité prétentieuse, de l’éclectisme ou du pastiche sans invention, coutumiers au xixe s.