Frost (Robert) (suite)
Sous sa simplicité apparente, sa poésie relève de plusieurs niveaux de lecture. Refusant les innovations formelles, Frost leur préfère « les anciennes manières d’être nouveau ». Il reprend à Théocrite et à Virgile les conventions de la pastorale et de l’églogue. Le goût des choses rurales est lié chez lui, comme chez les romantiques et en particulier chez Wordsworth, à une nostalgie de la vie naturelle, à un sens profond, lyrique des correspondances entre le cœur et la nature. Poète d’humeur, Frost cherche dans la nature une élévation spirituelle. Sous la simplicité rustique, sous la clarté gnomique, il cache une anxiété, un stoïcisme qui font de lui un poète souvent philosophique, qui demande à la poésie ce que d’autres cherchent dans la religion. Ses meilleurs poèmes ont une qualité de vision immanente. Dans des poèmes aussi connus que Stopping by Woods on a Snowy Evening ou Mowing, le symbolisme n’a pas besoin d’explication : description et méditation didactique ne font qu’un. Frost a un sens profond du mystère de la vie, que la poésie peut éclairer partiellement en déchiffrant comme des épiphanies les spectacles quotidiens. Au réalisme, il ajoute un mélange de lyrisme et de didactisme caractéristique de la tradition puritaine de la Nouvelle-Angleterre.
Son premier recueil, A Boy’s Will (1913), mêle déjà aphorismes et descriptions. North of Boston (1914), moins lyrique, plus dramatique, fait un usage plus libre du pentamètre iambique. Dans Mountain Interval (1916) apparaît la satire de la machine menaçant la nature (« The Line-Gang »). Avec New Hampshire (1923), Frost atteint sa maturité poétique : la pureté du vers « blanc » reflète une sérénité emersonienne. West-running Brook (1928), où s’explicitent son intérêt pour l’astronomie et son sens d’un Dieu provisoirement retiré du monde, contient son poème le plus connu : « Acquainted with the Night ». A Further Range (1936), avec le subtil « Design », méditation sur les formes, révèle la complexité de la symbolique frostienne. A Witness Tree (1942) contient « The Silken Tent », son célèbre sonnet d’amour : une seule phrase filant une seule comparaison. Dans le même recueil, « The Subverted Flower », conte de fées noir comparable au Christabel de Coleridge, révèle l’inspiration fantastique de Frost. A Masque of Reason (1945) et A Masque of Mercy (1947) sont les deux pendants d’une méditation miltonienne sur les voies obscures de la Providence et sur le triomphe ultime de la Pitié. Avec Steeple Bush (1947) et In the Clearing (1962), Frost revient à une poésie moins ambitieuse, mais où les préoccupations spirituelles sont aussi sensibles.
Entre les deux grands courants de la poésie américaine, Walt Whitman* d’une part, Pound et Eliot* de l’autre, Frost a choisi une voie à part. Il est devenu un classique, dont les écoliers américains connaissent les vers :
But I have promises to keep
And miles to go before I sleep.
Sa recherche de l’ordre, d’une sérénité sans illusion, son mélange de lyrisme et de moralisme lui assurent une audience très large dans la jeune génération. Frost a influencé de jeunes poètes comme Richard Wilbur, Donald Hall, Adrienne Rich et certains « beat », dans la mesure où son engagement est moins politique que moral et spirituel, et où son œuvre se veut à la fois littérature et sagesse.
J. C.
L. R. Thompson, Robert Frost (Minneapolis, 1959) ; Robert Frost, the Early Years, 1874-1915 (New York, 1966). / J. F. Lynen, The Pastoral Art of Robert Frost (New Haven, 1960). / R. Asselineau, Robert Frost (Seghers, 1964). / E. Jennings, Frost (Londres, 1964). / L. Mertins, Robert Frost (Norman, Oklahoma, 1966).