Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Freud (Sigmund) (suite)

Le rêve et l’hystérie : langages de l’inconscient

À partir d’un corpus de rêves, dont beaucoup sont les siens, Freud dégage dans la Science des rêves les lois générales de décryptage des symptômes dont la cause est l’inconscient. Il donne également un modèle figuré pour représenter le système énergétique où l’inconscient tient son rôle : l’appareil psychique. On peut schématiquement trouver, dans ces deux versants du livre majeur de Freud, deux aspects également vrais de son activité scientifique pendant cette première période : le principe de la cure analytique, les pratiques d’écoute et de lecture des symptômes en général relèvent d’un Freud praticien ; la construction d’un appareil théorique évolutif, décrivant de plusieurs manières successives le système de l’inconscient, relève d’un Freud théoricien de la psychanalyse comme science.

Le rêve, la fixation psychosomatique dans l’hystérie, le lapsus, le mot d’esprit, l’acte manqué, toujours réussi au regard de l’inconscient, sont autant de symptômes qui marquent à travers le langage conscient et délibéré de la raison la présence et l’efficacité d’un langage qui en est le revers et qui possède son fonctionnement propre. Le principe du rêve réside dans la réalisation d’un désir. Ainsi, dans le premier rêve de la Science des rêves (« l’injection faite à Irma »), le désir de Freud se dévoile à travers le texte du rêve : se disculper en tant que médecin, et, au-delà, éluder les responsabilités de la psychanalyse, qui ne soigne pas le corps selon l’intervention directe de la médecine classique. Le rêve, dit Freud, est un rébus ; il présente des scènes, des figures, qui sont comme des hiéroglyphes ou des pictogrammes : polysémiques, demandant à être décomposés en séquences pour être lisibles. Les mécanismes de fonctionnement de ce langage spécifique sont d’une part la condensation et le déplacement, lois de langage dont Lacan* montrera plus tard qu’elles sont lois de tout langage ; d’autre part la prise en considération de la figurabilité et l’élaboration secondaire, processus de liaison constituant le récit apparemment continu du rêve. La condensation construit des « personnes collectives » : ainsi, Irma est aussi la femme de Freud, une amie, une gouvernante, etc. ; le déplacement met une personne ou un détail à la place d’un autre, fait, dans le texte du rêve, boiter le docteur M... à la place du frère de Freud. L’un et l’autre mécanismes s’expliquent par la surdétermination : les effets d’inconscient ne relèvent pas d’une seule cause, mais de la surimposition de plusieurs réseaux de causalité. De même, dans le cas de l’hystérie, c’est la superposition de deux désirs antagonistes qui produit le symptôme. Pour rendre compte de ce fonctionnement inédit et complexe, il faut à Freud un modèle d’intelligibilité : l’appareil psychique.

L’appareil psychique, construit sur le modèle d’un appareil optique selon le schéma de l’arc réflexe, présente l’idée, permanente dans la pensée de Freud, d’un lieu psychique : « la psyché est étendue ». Dans cet espace se déroule un scénario qui sera plus tard élargi par Freud à l’histoire de l’humanité tout entière : inscription de traces mnésiques, effacement de ces traces — c’est le refoulement —, puis réapparition de l’inscription dans l’« après-coup » (retour du refoulé). Trois systèmes se partagent cet espace d’inscription : les systèmes conscient, préconscient, inconscient. En 1920, Freud réélaborera cette première topique sans toutefois y renoncer : alors apparaissent les trois notions que sont le ça — réservoir pulsionnel —, le surmoi — instance de censure et d’interdiction —, le moi, mécanisme de pondération et de prise en compte des pressions diverses qui s’exercent sur la psyché. Deux textes de Freud marquent entre autres ces deux conceptions complémentaires : la Métapsychologie (articles de 1915), caractéristique de la première topique ; le Moi et le ça (1923), au titre significatif, pour la seconde topique.


L’univers analytique

C’est en 1908 qu’est fondée la Société psychanalytique de Vienne ; mais, dès avant cette date, s’est constituée progressivement autour de Freud l’institution analytique. À partir de 1902, la « Société psychologique du mercredi » groupe autour du maître des disciples qui constituent l’école de Freud : O. Rank, W. Stekel et quelques autres médecins forment le premier groupe analytique. En 1907, Jung* fonde à Zurich la Société Freud : c’est pour Freud une victoire, car Jung, fils de pasteur, psychiatre suisse, fait, au dire de Freud lui-même, sortir la psychanalyse de ses limites viennoises et juives. En 1910 se fonde l’Association psychanalytique internationale. Cependant, à mesure que l’institution analytique se constitue et s’étend, des ruptures, des scissions s’effectuent entre Freud et les plus proches de ses disciples. De 1911 à 1913, Freud se sépare successivement de Adler*, Stekel et surtout Jung ; une seconde vague de rupture voit s’éloigner Rank d’abord, puis le plus cher des proches de Freud, Sándor Ferenczi (en 1924, puis en 1929). Ce processus se poursuit après la mort de Freud : l’institution analytique procède par scissions indéfinies.

À travers ces heurts se précise la technique de la cure psychanalytique ; son insertion parmi les pratiques thérapeutiques de la médecine occidentale devient un état de fait. La cure analytique se déroule dans un temps et un espace spécifiques, en dehors des conditions sociales de la vie quotidienne ; à rythme régulier, l’analysant — celui qui est entré dans le processus de la cure — vient dans un lieu où l’analyste l’écoute ; il est allongé sur un divan, l’analyste se tient le plus souvent à son chevet, derrière lui. La cure s’ouvre par une convention spécifique, que Freud appelle la règle fondamentale : l’analysant doit tout dire, ne rien dissimuler de ses associations. « Nous avons nommé psychanalyse le travail par lequel nous amenons à la conscience du malade le psychique refoulé en lui », écrit Freud en 1918. Ce travail s’effectue dans la relation qui unit les deux individus en cause dans une psychanalyse : l’analysant, qui parle, qui « demande » — ce terme recouvrant tout ce qu’un homme peut génériquement demander à un autre —, et l’analyste, qui supporte cette demande, sans toutefois y répondre ; cette relation s’appelle transfert. Sur ce support qu’est le transfert s’opère la régression, retour au présent de formes périmées dans l’existence actuelle du patient ; ainsi se construit le passé oublié. Le principe thérapeutique de la cure analytique, celui par lequel le psychique refoulé revient à la conscience, repose sur la distinction entre la répétition des événements qui sont à l’origine des troubles actuels, et le souvenir du passé ; la répétition s’effectue dans le symptôme, présence du passé refoulé, « oubli » qui se manifeste par un dérèglement de la vie ; lorsque le souvenir remet en place l’événement traumatique, le symptôme disparaît, le présent est libéré du passé. Cette actualisation du refoulé se joue dans la relation transférentielle, dont la résolution marque la fin conventionnelle de la cure. Processus thérapeutique, la cure demande à être monnayée : la pratique du paiement constitue un puissant ressort pour faire avancer le déroulement de la psychanalyse.