Frédéric II le Grand (suite)
Tel apparaît dans ses œuvres Frédéric II, toujours discuté. Disciple de Machiavel ou réaliste au sens aigu du possible, progressiste ou réactionnaire réformateur, homme du xviie s., ébloui par Louis XIV, ou du xixe, champion anachronique de l’unité allemande, il reste un dynaste-propriétaire soucieux de forger une Prusse forte et civilisée. Il en accentue l’aspect aristocratique et militariste, désacralise mais renforce la fonction royale, au risque d’engendrer une profonde crise léguée à son neveu, Frédéric-Guillaume II.
Le chef de guerre
Quand Frédéric II monta sur le trône, il ne connaissait de l’art militaire que les détails du service et la manœuvre à rangs serrés. Ce fut la passion de la grandeur de la Prusse qui fit de lui un chef de guerre incomparable et un penseur militaire de qualité. Dès la mi-décembre 1740, profitant de l’inexpérience de la jeune Marie-Thérèse, il envahit la Silésie, posant ainsi la première idée-force de sa future doctrine : le chef de guerre doit savoir attendre l’occasion favorable, mais la saisit dès qu’elle se présente. Ses débuts comme chef d’armée furent peu brillants : le 10 avril 1741, à Mollwitz, il s’enfuit du champ de bataille à bride abattue. « Mollwitz fut mon école, dira-t-il plus tard, je fis des réflexions profondes dont je profitai par la suite. » Il en fit désormais chaque jour et les coucha par écrit, exploitant lui-même les enseignements de ses campagnes et jetant de-ci de-là les principes de sa doctrine. Il écrivit pour ses troupes, pour ses généraux, pour lui-même surtout ; ce furent ses Principes généraux de la guerre (1748), ses Pensées et règles générales pour la guerre (1755), ses Réflexions sur les projets de campagne, ses deux Testaments politiques (1752 et 1768), où l’on trouve la quintessence de ses méditations et de ses idées-forces : « Nos guerres doivent être courtes et vives [...]. Il ne faut jamais en venir aux hostilités à moins d’avoir les plus belles apparences de faire des conquêtes [...]. Un projet de défensive pure ne vaut rien [...]. Si on n’a pas de forces suffisantes, il faut borner ses desseins [...], on tire alors plus d’utilité de la peau de renard que de la peau de lion. » Au combat il avait une prédilection pour ce que l’on appela l’ordre oblique.
Pour réaliser ses desseins, il voulut avoir des finances solides et une armée toujours plus importante : en 1752, alors qu’elle comptait déjà 136 000 hommes — le double de celle de son père —, il en voulait 180 000 et, pour ce, mettait de côté chaque année 5 millions de thalers. Mais il voulait aussi la qualité : « Nos troupes doivent être meilleures que celles de l’ennemi. » Frédéric II posa ainsi les bases de la doctrine de guerre qui devait devenir celle de Stein, de Scharnhorst, de Gneisenau, puis du grand état-major allemand : agrandir l’État par des conquêtes, ne chercher la décision que sur un adversaire à la fois, s’assurer l’initiative des opérations en vue d’une décision immédiate et totale, attaquer par surprise en violant au besoin le territoire d’un voisin, frapper du fort au faible, de préférence à une aile.
P. D.
Y. L. M.
➙ Allemagne / Berlin / Hohenzollern / Prusse.
Die politische Testamente Friedrichs des Grossen (Berlin, 1920 ; rééd., 1941). / R. Koser, Geschichte Friedrichs des Grossen (Berlin et Stuttgart, 1921-1925 ; 4 vol.). / G. P. Gooch, Frederick the Great (Londres, 1947).