Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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François-Joseph Ier (suite)

François-Joseph demeura pendant près de soixante-dix ans (1848-1916) à la tête de la monarchie autrichienne, dans un poste qui était beaucoup plus difficile que celui de n’importe quel souverain constitutionnel de l’époque, car, en Autriche, l’empereur demeurait la clé de voûte de l’État et de la société. État multinational, l’Autriche n’existait depuis le xvie s. que par la fidélité au souverain, l’attachement au catholicisme romain, l’armée et la bureaucratie — valeurs éminemment contestées dans l’Europe libérale du xixe s. Or, il faut bien avouer que François-Joseph fut rarement à la hauteur des circonstances lorsqu’il eut à prendre des décisions importantes.

Mais il avait des qualités humaines qui allaient droit au cœur de ses sujets. D’abord, sa bonhomie plaisait. Comme tous les Autrichiens, l’empereur aimait la chasse et la vie en plein air. Il passait une partie de l’été à Bad Ischl, en Haute-Autriche, où il habitait une villa sans prétention, s’habillant en costume régional, passant de longues journées dans la montagne, seul ou en compagnie de ses gardes-chasse. En revanche, François-Joseph veillait à maintenir à la Cour une vie mondaine brillante et il avait lui-même un sens trop aigu de sa dignité pour ne pas demeurer attaché à une étiquette stricte et à des cérémonies grandioses dont le faste éblouissait les Viennois.

D’autre part, l’empereur était populaire auprès d’une grande partie de ses sujets parce qu’on le savait sincèrement attaché à la religion catholique. Il respecta certes les minorités religieuses établies dans l’Empire, et il n’eut jamais l’intention de revenir sur la législation de Joseph II en la matière. Il fut en particulier très bienveillant à l’égard des juifs, qui surent apprécier sa générosité. Mais il était, quant à lui, fervent catholique. Sa vie privée était en accord avec ses principes, et personne, en Autriche, n’a vu dans ses relations avec Mme Schratt quoi que ce soit de scandaleux ; ce serait un contresens d’y voir une liaison ; Katharina Schratt (1855-1940), actrice célèbre du Burgtheater (la première scène dramatique de la capitale), jouait le rôle d’une dame de compagnie auprès d’un homme âgé qui se sentait terriblement seul.

Mais, si l’homme privé était irréprochable, il faut bien avouer que l’empereur n’avait pas l’envergure d’un homme d’État. À force de médiocrité laborieuse, il ne fut jamais que le premier bureaucrate de son empire. Monté sur le trône dans des circonstances difficiles, il fut toujours profondément conservateur et se méfia, toute sa vie durant, du libéralisme bourgeois. On sait qu’il fut choisi, en 1848, par l’aristocratie conservatrice, qui, avec le concours de l’armée, avait peu à peu rétabli l’ordre en Bohême, en Italie et à Vienne. Félix von Schwarzenberg (1800-1852), chef du gouvernement, avait en effet « conseillé » à l’empereur Ferdinand Ier le Débonnaire d’abdiquer en faveur de son neveu François-Joseph, dont le père, l’archiduc François-Charles, fut ainsi évincé de la succession.

Au début de son règne, le jeune souverain (il avait dix-huit ans en 1848) fut soumis à l’influence de sa mère, l’archiduchesse Sophie, et de son président du Conseil, le prince Schwarzenberg, qui l’engagèrent dans une politique résolument néo-absolutiste. Après les défaites en Italie (1859) et devant la Prusse (1866), il dut procéder à des révisions déchirantes, sans se rallier véritablement à des solutions libérales.

Il était convaincu que les seuls liens unissant les différentes nationalités de la monarchie demeuraient la dynastie et l’armée, dans la mesure où cette dernière était attachée à la maison d’Autriche en général et à son chef en particulier. Pourtant, sa devise Viribus unitis montre qu’il ne refusait pas d’associer ses peuples au gouvernement. Jusqu’à la fin de sa vie, il collabora loyalement avec un Parlement élu d’abord au suffrage censitaire, puis, après 1907, au suffrage universel. Mais, du moins en Cisleithanie (partie non hongroise de l’Empire après 1867), aucun président du Conseil n’était une émanation pure et simple du Conseil d’Empire, car il était nommé par l’empereur, dont il avait la confiance, ce qui ne l’empêchait pas d’avoir une majorité au Parlement. En Hongrie, après le compromis de 1867, la vie parlementaire était beaucoup plus active, et le président du Conseil était vraiment l’élu de la majorité. François-Joseph n’est intervenu qu’une fois, en 1905 ; lorsqu’il crut l’unité de la monarchie compromise, il nomma un soldat, le baron Géza Fejérváry (1833-1914), président du Conseil, contre la volonté des Hongrois. Ce cabinet démissionna d’ailleurs l’année suivante.

La dynastie, l’État, l’armée, telles étaient les valeurs fondamentales sur lesquelles il croyait devoir s’appuyer. Mais, dans la question des nationalités, il n’était pas, semble-t-il, vraiment impartial, contrairement à l’attitude adoptée par les Habsbourg jusqu’à Marie-Thérèse. Il se considérait avant tout comme un prince allemand et il avait surtout confiance dans les cadres allemands de l’armée et de l’administration. Après 1870, il ajourna toute réforme sérieuse des structures de la monarchie plutôt que de faire tort à l’élément germanique. Pendant près d’un demi-siècle, sa politique semble avoir consisté à maintenir ce qui existait, par peur du changement, à une époque où des réformes imposées d’en haut auraient pu donner satisfaction aux nationalités et sauver l’État multinational. D’autre part, il est certain que François-Joseph porte une très lourde responsabilité dans le déclenchement de la Première Guerre* mondiale.

Il est toujours facile de juger a posteriori un règne qui se présente comme une suite d’échecs et dont les aspects positifs doivent bien peu au souverain.

En effet, l’Autriche-Hongrie* a connu un essor économique et une prospérité sans précédent entre 1860 et 1914. Après les épreuves que connut l’Europe centrale depuis 1914, le règne de François-Joseph apparaît, par contraste, comme une époque heureuse. Preuve — s’il en était besoin — que la réussite d’un régime dans les domaines économique et culturel efface aisément les échecs diplomatiques, ou bien estompe le souvenir des erreurs de politique intérieure.

J. B.

➙ Autriche / Guerre mondiale (Première) / Habsbourg / Hongrie.

 E. Crankshaw, The Fall of the House Habsburg (Londres, 1963).