Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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franc-maçonnerie (suite)

Au xve s., les loges de free masons initient pour la première fois à leurs mystères des personnalités de la noblesse, de la bourgeoisie et du clergé qui n’ont dans ces conditions aucun rapport avec le « franc-métier » des maçons du xiie s. Enfin, au xviie s., le nombre de ces maçons « acceptés » augmente rapidement et, sous leur influence, la maçonnerie « opérative », magico-technique, se transforme progressivement en maçonnerie « spéculative », principalement philosophique et scientifique.

Cette évolution correspond à la fois à un appauvrissement et à un enrichissement de la tradition maçonnique. D’une part, les liens qui unissaient précédemment le travail manuel et matériel avec la pensée et avec la réalisation initiatiques, relation fondamentale dont témoignent encore la tradition alchimique et le compagnonnage, sont oubliés. D’autre part, en des conditions techniques différentes de la civilisation s’ouvrent des perspectives nouvelles de contribution des initiés aux progrès de l’humanité.

Dans son état actuel, l’initiation symbolique de la franc-maçonnerie comporte trois degrés : apprenti, compagnon et maître, qui sont conférés dans ce que l’on nomme les « loges bleues », placées sous l’obédience d’une Grande Loge autonome. À partir du 4e degré commence la hiérarchie des « hauts grades ». En France, selon un « rite » fort répandu dans notre pays, les ateliers supérieurs du rite écossais ancien et accepté sont régis par la juridiction du Suprême Conseil. Les travaux de ces ateliers se tiennent en loge de perfection du 4e au 14e degré, en chapitre, du 15e au 18e, et en aréopage du 19e au 30e. Les trois derniers degrés correspondent à des organismes administratifs : le Tribunal du 31e, le Consistoire du 32e et le Conseil suprême du 33e et dernier degré.

On appelle rite un ensemble de grades maçonniques ou de degrés formant un tout cohérent, organisé selon une ou plusieurs structures symboliques particulières. Un Grand Orient, par exemple le Grand Orient de France ou le Grand Orient de Belgique, est toujours une fédération groupant un ensemble de rites, tandis qu’une Grande Loge rassemble, en principe, des ateliers travaillant tous au même rite. Tout rite maçonnique comprend obligatoirement à sa base les trois degrés corporatifs traditionnels : apprenti, compagnon, maître. Ces dernières loges, dites « bleues », couleur du cordon que portent les maîtres, sont aussi appelées « loges de Saint-Jean », les travaux maçonniques étant placés traditionnellement sous le patronage de saint Jean-Baptiste et de saint Jean l’Évangéliste.

De nombreux rites ont disparu aujourd’hui ; certains d’entre eux comptaient jusqu’à 90 et 96 degrés, dans les systèmes de Misraïm et de Memphis par exemple. D’autres continuent d’être pratiqués en divers pays, comme le rite de Zinnendorf, ou rite johannite, en Allemagne, le rite de Swedenborg en Suède, le rite écossais rectifié en Suisse. Beaucoup de francs-maçons français et de loges américaines suivent le rite écossais ancien et accepté. Il n’existe, sauf aux États-Unis, qu’un seul Suprême Conseil par nation.

Les francs-maçons anglo-saxons pratiquent aussi le rite d’York, encore nommé « maçonnerie de Royal Arch ». Son édifice, assez compliqué, comprend plusieurs grades « chevaleresques » et divers, mais la Grande Loge de Londres n’a reconnu officiellement que deux hauts grades, Royal Arch et Past Master (« passé maître »).

Quand un profane veut devenir maçon, il lui faut adresser une demande en ce sens, et la loge choisie délibère et propose la constitution d’un dossier détaillé sur le postulant. Trois frères sont chargés d’interroger le candidat à son domicile sur ce qu’il pense de ses devoirs envers lui-même, sa famille et sa patrie, d’examiner ses connaissances philosophiques et de connaître ses opinions sociales et politiques. Ces enquêteurs sont pourvus d’imprimés spéciaux précisant les questions qui doivent être ainsi posées.

Quand le Vénérable, nom donné au Maître qui dirige les travaux de la loge, a obtenu ces rapports, on délibère sur l’éventuelle initiation du « profane » et l’on décide généralement de l’entendre. Après cette audition et les nouvelles réponses aux questions que chaque frère peut poser, les membres de la loge votent affirmativement ou négativement à son sujet, à l’aide de boules blanches ou noires. Si le vote est favorable, le postulant est convoqué pour une épreuve préliminaire. Conduit dans un cabinet de réflexion, il dispose d’une quarantaine de minutes pour rédiger son testament philosophique et répondre aux quatre questions d’usage sur les devoirs de l’homme envers lui-même, envers sa famille, envers sa patrie et envers Dieu.

Le testament est communiqué aux membres de la loge, et les réponses sont lues et commentées. Le candidat, introduit les yeux bandés dans la loge, est interrogé de nouveau, puis reconduit « hors du temple ». On vote alors à main levée l’admission du postulant aux épreuves de l’initiation ou bien le rejet de la candidature.

Des rituels d’initiation aux divers degrés de la franc-maçonnerie, malgré la discipline du secret qui s’oppose à leur divulgation, ont été publiés à maintes reprises. En réalité, tout ce qui a été écrit ne peut rien apprendre d’essentiel aux profanes, car le « secret initiatique » ne se découvre point dans les livres ni par quelque formulation communicable. Il se révèle seulement par l’expérience existentielle et directe de l’initiation elle-même. Ce que l’on peut craindre légitimement de cette divulgation est son caractère stérile et parodique, illusoire et mensonger. C’est pourquoi le secret, que l’on reproche si fréquemment aux initiés et dont on accuse les francs-maçons, n’est qu’une conséquence inévitable et logique de leur respect de la vérité purement expérimentale de l’initiation.


La maçonnerie contemporaine en France

La franc-maçonnerie a revêtu des aspects différents selon les adaptations nécessairement diverses de l’idéal maçonnique aux génies particuliers des nations. On constate toujours, en effet, que l’unité véritable exclut l’uniformité, de même que l’authentique universalité ne se découvre qu’à travers la plus intime particularité. C’est ainsi que l’œcuménisme implique l’existence de plusieurs demeures dans une maison commune et non pas d’une seule, car les fonctions et les vocations ne sont pas moins infiniment diverses que les attributs divins qu’elles rendent manifestes.