Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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France (suite)

La fin de l’époque gothique

Sous le règne du roi fou Charles VI, cet art mondain et raffiné, dernière fleur de la vie féodale, trouve son expression dans quelques chefs-d’œuvre, comme ce joyau d’or émaillé qu’est le « petit cheval d’Altötting » (conservé en Bavière dans l’église de cette ville), ou ces Très Riches Heures du duc de Berry*, manuscrit enluminé du musée de Chantilly. Mais la montée de la bourgeoisie, à la fin du xive s., oppose son esprit positif au génie idéaliste, voire chimérique, de la civilisation aristocratique déclinante. Au même moment s’estompe l’hégémonie que l’art français avait exercée sur l’Europe depuis le xiie s. Pendant deux siècles, la France sera tributaire des deux grandes puissances artistiques nouvelles : la Flandre et l’Italie. Mais une qualité de la race, cette étonnante faculté d’assimilation qui naturalise aussitôt les emprunts faits au-dehors, va entrer en jeu et maintiendra l’originalité de l’art français.

En architecture même, les formes de l’art flamboyant qu’elle pratiquera au xve s., la France les a peut-être reçues de l’Angleterre par les portes de Rouen* et d’Amiens. La sève de l’art flamand, dès le deuxième tiers du xive s., apporte à l’art parisien, anémié, quintessencié, une greffe salutaire, en le ramenant à une réalité plus terre à terre, qui se traduit, tant en sculpture qu’en peinture, par le sens du portrait (portraits de Charles V et de Jeanne de Bourbon dans le Parement de Narbonne du Louvre et dans les deux statues du même musée).

Au tournant des xive et xve s., Claus Sluter* accomplit à Dijon, dans ses sculptures de la Chartreuse de Champmol, une révolution dont on ne saurait trop souligner l’importance. L’art cesse de traduire un idéal plastique, spirituel ou aristocratique, pour exprimer la vie, et non seulement la vie physique, mais celle de l’âme, les passions. La dramaturgie slutérienne, si elle n’appartient pas proprement à l’art français, aidera les sculpteurs de ce pays à retrouver cette densité corporelle de la statuaire que le xive s. avait perdue. Elle secondera, par sa véhémence, les desseins pathétiques de l’iconographie religieuse, qui, au xve s., se complaît dans l’illustration des souffrances de la Passion. Mais, vers les années 1460, dans la région de la Loire, puis bientôt dans toute la France, la sculpture se « détend » progressivement, se déprend du style slutérien, dramatique, nerveux, pour revenir à l’harmonie et à l’expression traditionnelle de la vie intérieure par des moyens discrets, mouvement qui aboutira à la fin du siècle à cette liturgie du silence qu’est la Mise au tombeau de Solesmes, attribuée autrefois à Michel Colombe* ; à celui-ci appartient l’exécution (1502-1507) du tombeau du duc de Bretagne à Nantes, dessiné par le peintre Jean Perréal (v. 1455 - v. 1530), dans un style qui est déjà celui de la Renaissance. La statuaire fleurit partout grâce à d’anonymes ciseaux. Le charme de la féminité reparaît comme un des thèmes favoris de l’art français dans toutes ces Vierges, ces saintes, ces jeunes filles gaies ou pensives, ces mères joyeuses ou douloureuses qui expriment, sans les extérioriser, toutes les nuances de la vie du cœur.

Cette retenue est poussée jusqu’à la vertu de sacrifice dans la sublime Pietà de Villeneuve-lès-Avignon (musée du Louvre), tableau peint en cette ville vers 1455, peut-être par Enguerrand Charonton, auteur du Couronnement de la Vierge encore conservé au musée de Villeneuve-lès-Avignon. Ces deux chefs-d’œuvre sont les vestiges d’un naufrage à peu près total de la peinture française de cette époque. Grâce à la miniature, l’art de Jean Fouquet*, peintre du roi qui travaillait dans la région de la Loire entre 1450 et 1481, est mieux connu. Fouquet, qui a fait le voyage d’Italie, adopte franchement l’esthétique de la Renaissance, tournée vers l’exaltation du corps humain ; le premier en France, il adopte même le décor antiquisant. Mais il crée la forme française du paysage : sa vision est déjà celle d’un Corot. À la fin du xve s., il semble que l’art français soit sur la voie d’accomplir sans heurt, par une démarche naturelle, le passage du Moyen Âge à la Renaissance. Aboutissant à l’impersonnalité des expressions, l’idéalisme du Maître de Moulins (v. Bourbonnais) correspond à celui de Ghirlandaio, du Pérugin. Mais les guerres d’Italie ont pour conséquence de mettre brutalement cet art en contact avec des exemples déjà accomplis de l’esthétique nouvelle, qu’il n’est pas encore préparé à assimiler. Il en résultera une longue crise.


La Renaissance

La France avait mis toute son âme et déployé tout son génie dans l’éthique et l’esthétique gothiques. La volte-face qu’elle accomplit vers 1500, en tournant le dos à cette tradition vieille de trois siècles, est surprenante. L’architecture en donne le premier exemple. Les progrès de l’artillerie à feu délivrent le château* d’un appareil fortifié devenu vain et qui n’est plus qu’un trompe-l’œil, parade nobiliaire adoptée volontiers par les financiers bourgeois, qui se font élever de belles résidences. La nouvelle forme du château résidentiel, créée dans la région de la Loire, dont les rois Charles VIII, Louis XII et François Ier ont fait une province élue, est, comme celle de la cathédrale, une des formes majeures de l’art français. L’italianisme se réduit à un léger décor qui interprète librement le vocabulaire à l’antique du quattrocento ; mais l’organisme du château est entièrement original. S’il adopte parfois, à la manière de l’ancienne forteresse médiévale, un plan régulier en quadrilatère (Chambord*), le plus souvent l’œuvre présente dans son plan comme dans sa masse une asymétrie qui exprime le développement harmonieux d’une croissance spontanée. L’architecte sait combiner avec bonheur les plans courbes des tours et tourelles aux surfaces nues des anciennes courtines, produire des effets de surplomb par des encorbellements, articuler les volumes d’une façon imprévue. L’escalier, d’abord à vis, puis droit, parfois encore contenu dans une tour saillante, est souvent le pivot autour duquel s’ordonne la composition. Les plus parfaites de ces demeures sont les gentilhommières, ou manoirs, édifices de petites dimensions qui s’insèrent avec tant de grâce dans l’ambiance naturelle qu’ils en paraissent issus. Toujours « pittoresque » et silhouetté sur le ciel, le volume de pierre découpé, avec sa haute couverture d’ardoise, semble polariser autour de lui le paysage, et souvent le miroir des eaux d’un étang ou d’une rivière double d’un château de rêve la demeure réelle (Azay-le-Rideau et Chenonceaux en Touraine*, Losse en Périgord). Sous le règne d’Henri II, la pénétration plus profonde de l’italianisme va faire renoncer à cette spontanéité créatrice, qui est un prolongement de l’esprit du Moyen Âge, pour la régulation de compositions abstraites, inspirées du classicisme (hôtel du Louvre*, projeté par Pierre Lescot* en 1546). Philibert Delorme* incarne la volonté de donner au classicisme une forme proprement française (château d’Anet, tombeau de François Ier à Saint-Denis).