Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
F

France (suite)

Situation actuelle de la littérature française

V. L. Saulnier écrit : « La liquidation du romantisme, tel pourrait bien être le grand fait littéraire du xxe s., à peu près acquis vers le milieu de sa course, après le double ébranlement des guerres mondiales. Le romantisme s’affirmait comme une restauration des valeurs du cœur : nous vivons dans un monde réaliste, sportif et technicien ; comme un culte des valeurs patriotiques : tout l’effort est aujourd’hui pour instituer des autorités au-dessus des nations ; comme un élan de l’individualisme : nous sommes au temps de l’homme social. Il était en lui un dilettantisme : et nous vivons dans un monde haletant ; en lui, une religion des vastes espoirs : le grand scrupule est aujourd’hui d’éviter les illusions, pour tâcher d’éloigner le pire. Quand on cherche dans quelle mesure la littérature actuelle demeure tributaire du romantisme, on en arrive à se demander si elle lui doit beaucoup plus que l’invention du roman moderne. » On aura pu voir les distances que nous avons prises, dans le détail, avec cette thèse ; reste que, sur le fond, nous ne pouvons qu’y ajouter foi, nous qui sommes contemporains de la « crise » que traverse présentement la littérature française, et le roman au premier chef : la poésie vivante de 1973, c’est la publicité quotidienne et non l’ésotérisme caduc des chapelles littéraires ; face à la littérature d’outre-Atlantique, où des procédés importés de la technique cinématographique aboutissent à une « littérature du comportement », le roman en France reste la proie des recherches formelles.

C’est ainsi que l’on a pu assister, durant les décennies 1950-1960 et 1960-1970, à un double mouvement « avant-gardiste » dans la France littéraire. Le premier moment de cette recherche s’attache à donner une postérité à l’ambition du « roman pur » : c’est le « nouveau roman ». Il se propose essentiellement de renouveler les « formes » du récit : à travers le refus du « personnage » traditionnel et de la psychologie « balzacienne », ce qui est en cause, c’est la notion même d’« écriture » ; le décentrement du regard, de l’homme à l’univers d’objets qui l’environne, implique en effet la subordination du style à l’écriture, c’est-à-dire la substitution du jeu avec le lecteur par la neutralité méticuleuse d’une rigueur toute géométrique dans le « tracé ». Une telle prise de position récuse l’engagement, ce qui n’est pas le cas du second moment de cette littérature de recherche, lequel, groupé autour de la revue Tel Quel et du « collectif » Change, frères ennemis dans la lutte commune, prend pour thème majeur l’alliance de cette pratique littéraire nouvelle, poétique et critique avant d’être romanesque, et d’une théorie politique révolutionnaire. Ce qui unit ces deux moments, c’est la fascination exercée par les sciences exactes ; ce qui les sépare, c’est la tentative de rationalisation, faite par le second, de cette emprise à travers sa mise en œuvre dans les sciences humaines.

La « liquidation » du romantisme manifeste donc, par-delà la désintégration du couple vraisemblance-vérité, la fin de l’ère de la « dégustation », l’avènement d’une époque de description systématique et totalisante. Le rapport avec le public cesse d’être le support de l’œuvre, aujourd’hui tout entière tournée vers le rêve de la coexistence des langages ; la littérature est en même temps littérature et littérature sur la littérature, c’est-à-dire critique (C. Mauriac parle d’« alittérature »). La littérature française du xxe s. se signale par cet envahissement de la conscience critique, marque à la fois d’un haut degré d’intellectualisme, qui comprend le « fait littéraire » comme sous-ensemble déterminé de tout un contexte social, et d’un risque de sclérose scolastique, dans la mesure où cette théorisation du fait littéraire aggrave l’hermétisme de ses productions. Le renouveau à grande échelle de la littérature allégorique, coupée de son enracinement dans une large fraction de la conscience publique, annonce, comme entre Moyen Âge et Renaissance, une période de transition, celle des « grands rhétoriqueurs ». C’est que, peut-être, les sciences de l’homme, qui connurent au xxe s. un essor prodigieux, sont en passe de prendre ici le relais, intégrant à leur problématique le fait littéraire, désormais devenu objet d’histoire.

J. L.

➙ Consulter les articles consacrés aux mouvements, aux écoles, aux genres et aux principaux écrivains.

 G. Lanson, Manuel bibliographique de la littérature française (Hachette, 1909-1912, 4 vol. ; nouv. éd., 1921). / H. Bremond, Histoire littéraire du sentiment religieux en France (Bloud et Gay, 1916-1936, 12 vol. ; nouv. éd., A. Colin, 1967-68). / J. Benda, la Trahison des clercs (Grasset, 1927 ; rééd., Pauvert, 1965). / H. Talvart, J. et G. Place, Bibliographie des auteurs modernes de langue française (Éd. de la Chronique des lettres françaises, 1928-1970 ; 18 vol. parus). / H. P. Thieme, S. Dreher, M. Rolli et M. L. Drevet, Bibliographie de la littérature française de 1800 à 1949 (Droz, Genève, 1933-1954 ; 4 vol.). / P. Hazard, la Crise de la conscience européenne, 1680-1715 (Boivin, 1935, 2 vol. ; nouv. éd., Fayard, 1963). / A. Thibaudet, Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours (Stock, 1936) ; Réflexions sur la littérature (N. R. F., 1938-1941 ; 2 vol.). / J. Giraud, Manuel de bibliographie littéraire pour les xvie, xviie et xviiie siècles français (Vrin et Nizet, 1939-1970 ; 3 vol.). / E. Curtius, Europäische Litteratur und lateinisches Mittelalter (Berne, 1948 ; 7e éd., 1969 ; trad. fr. Littérature européenne et Moyen Âge latin, P. U. F., 1956). / A. Adam, Histoire de la littérature française au xviie siècle (Domat-Montchrestien, 1949-1956 ; 5 vol.). / G. Picon, Panorama de la nouvelle littérature française (Gallimard, 1950 ; nouv. éd., 1968) ; Introduction à une esthétique de la littérature, t. I : l’Écrivain et son ombre (Gallimard, 1953). / R. Bossuat, Manuel bibliographique de la littérature française du Moyen Âge (Libr. d’Argences, 1951-1961 ; 3 vol.). / P. Zumthor, Histoire littéraire de la France médiévale, vie-xive siècle (P. U. F., 1954). / J. Calvet (sous la dir. de), Histoire de la littérature française (Del Duca, 1956-1965 ; 10 vol.). / P. H. Simon, Histoire de la littérature française au xxe siècle (A. Colin, 1956 ; 2 vol.). / G. Bachelard, la Poétique de l’espace (P. U. F., 1957 ; 3e éd., 1967). / A. Cioranescu, Bibliographie de la littérature française du xvie siècle (Klincksieck, 1959) ; Bibliographie de la littérature française du xviie siècle (C. N. R. S., 1965-1967 ; 3 vol.) ; Bibliographie de la littérature française du xviiie siècle (C. N. R. S., 1969-70 ; 3 vol.). / R. Queneau (sous la dir. de), Histoire des littératures françaises, connexes et marginales (Gallimard, « Encycl. de la Pléiade », 1959). / P. Le Gentil, la Littérature française du Moyen Âge (A. Colin, 1963 ; 2e éd., 1966). / J. Vier, Histoire de la littérature française, le xviiie siècle (A. Colin, 1965-1971 ; 2 vol.). / P. Abraham, R. Desne et M. Duchet (sous la dir. de), Manuel d’histoire littéraire de la France (Éd. sociales, 1966-1969 ; 3 vol.). / A. Adam, G. Lerminier et E. Morot-Sir (sous la dir. de), Littérature française (Larousse, 1967-68 ; 2 vol.). / A. Bourin et J. Rousselot, Dictionnaire de la littérature française contemporaine (Larousse, 1967). / C. Pichois (sous la dir. de), Littérature française (Arthaud, 1968-1972 ; 7 vol. parus). / J. Roger et J.-C. Payen (sous la dir. de), Histoire de la littérature française (A. Colin, coll. « U », 1969-70 ; 2 vol.). / A. Lagarde et L. Michard (sous la dir. de), la Littérature française (Bordas, 1970-1972 ; 5 vol.). / J. Y. Tadié, Introduction à la vie littéraire du xixe siècle (Bordas, 1970). / J. Malignon, Dictionnaire des écrivains français (Éd. du Seuil, 1971). / E. Morot-Sir, la Pensée française d’aujourd’hui (P. U. F., 1971).