Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Fourmis (suite)

Dans les cas les plus simples, la société s’installe sous une pierre, qui fournit un abri contre les intempéries et les variations de température. Souvent, la fourmilière est entièrement souterraine, les couloirs s’enfonçant à plusieurs mètres de profondeur et réunissant les nombreuses chambres où est logé le couvain et entreposée la récolte ; les parois peuvent être enduites de salive ou d’autres sécrétions, qui leur confèrent une solidité et une étanchéité remarquables, comme on l’observe chez les Fourmis moissonneuses. Les galeries s’ouvrent discrètement à la surface du sol, et nul ne soupçonnerait l’existence de ces multiples réseaux souterrains s’il n’en voyait émerger les ouvrières, à l’activité incessante.

Mieux connues sont les fourmilières en dôme, comme celles qu’édifient Lasius flavus dans les prairies ou Formica rufa dans les forêts de résineux. Chez cette dernière espèce, la construction peut dépasser 2 m de haut ; sa couverture d’aiguilles de conifères, continuellement surveillée et remaniée, assure une protection efficace et le maintien d’un microclimat déterminé dans le nid.

Certaines Fourmis élisent domicile dans les arbres morts ; sous la protection de l’écorce, elles creusent des galeries dans le bois ou utilisent celles qu’ont établies des Insectes xylophages ; ainsi font, entre autres, Crematogaster scutellaris et divers Camponotus, appelés parfois « Fourmis charpentières ». Chez Colobopsis truncata, la « Fourmi portier » apparaît une curieuse adaptation : la tête circulaire de certaines ouvrières s’encastre dans l’orifice du nid qui perfore l’écorce ; cette porte vivante ne s’écarte que pour laisser le passage aux compagnes récolteuses. Quant à Lasius fuliginosus, il construit dans les troncs, qu’il évide, une habitation d’aspect spongieux, avec des fragments de bois malaxés de salive ; le nid dépasse parfois 1 m de hauteur.

Sous les tropiques se rencontrent des plantes myrmécophytes (Cecropia, Acacia, Cordia) qui hébergent normalement des Fourmis dans leurs tiges ou leurs épines : Azteca nidifie ainsi dans les nœuds de Cordia, dont elle aménage les cavités naturelles en y délimitant des chambres par des cloisons de bois mâché.

C’est dans les forêts des régions chaudes que l’on rencontre des nids aériens. Camponotus femoratus d’Amazonie fait des nids arrondis en terre ; les graines qui y sont accumulées germent parfois en perçant la paroi (« jardin des Fourmis »). Crematogaster ranavalonis de Madagascar les construit en une sorte de carton. Les « Fourmis couturières » installent leur nid dans des feuilles cousues bord à bord.

Un nid en feuilles cousues

C’est celui qu’édifient les Œcophylles, ou Fourmis couturières, africaines et asiatiques : quelques ouvrières rapprochent les bords de deux feuilles voisines et les maintiennent ainsi pendant que l’une de leurs compagnes saisit une larve et la transporte alternativement d’un limbe à l’autre ; la larve émet un fil de soie qui unit solidement les feuilles. Ce qui rend ce comportement exceptionnel pour des Insectes c’est, plus que la coordination de l’activité entre ouvrières, l’utilisation d’une larve vivante comme un véritable outil.


La vie de la société

Les conditions qui règnent à l’intérieur de la fourmilière ont été bien étudiées, en particulier chez les Fourmis rousses (Formica rufa) ; une certaine régulation thermique y est assurée, du moins en été et à condition que l’humidité y soit très élevée ; en hiver, la température s’abaisse beaucoup dans le nid, et les habitants restent en profondeur, agglomérés dans une chambre d’hibernation autour de la reine. Les sécrétions émises par les Fourmis tendent à acidifier le milieu. Malgré la forte humidité et la présence de végétaux décomposés, on ne constate pas le développement de moisissures, que les Fourmis parviennent à éliminer.

Pendant la période d’activité, les ouvrières remanient et agrandissent la fourmilière ; elles nourrissent la reine, s’emparent des œufs que celle-ci émet et soignent le couvain ; cette activité absorbante consiste d’abord en un ravitaillement continuel des larves, la nourriture étant donnée à la becquée ou déposée près de la bouche ; elle comporte également un léchage des œufs, des larves et des nymphes ainsi que leur transport dans des chambres où se trouvent les meilleures conditions de développement, en particulier la température la plus favorable ; les variations de l’ensoleillement entraînent ainsi de multiples déménagements au cours d’une même journée.

Les Fourmis s’adonnent-elles à la culture ?

Dans des régions arides, des Fourmis récoltent des graines et les accumulent dans des chambres étanches de leur nid ; ainsi font les Fourmis moissonneuses (Messor) de la région méditerranéenne ; destinées à être consommées, les semences conservent leur faculté germinative ; jamais, cependant, les Insectes ne les sèment eux-mêmes ; tout juste les étalent-ils près de l’entrée si, après une intempérie, elles se trouvent humectées.

Par contre, les Fourmis champignonnistes (Atta, Acromyrmex) des régions tropicales d’Amérique réalisent la culture pure d’un Basidiomycète (Rhozites) ; les ouvrières découpent sur les plantes avoisinant le nid des fragments de feuilles ou de pétales, les apportent en procession en les tenant verticalement dans leurs mandibules et les accumulent dans des chambres après les avoir triturés ; sur les meules se développe le mycélium du Champignon, en produisant des renflements, ou mycotêtes, dont se nourrissent les Insectes, adultes et larves. Lors de l’envol nuptial, les femelles emportent un peu de mycélium, qui servira de point de départ à la culture dans les sociétés qu’elles fonderont. Ces Fourmis causent de grands ravages dans les exploitations agricoles.


Échanges et communications

Le léchage, que les ouvrières multiplient à l’égard du couvain, maintient celui-ci dans un état de propreté parfaite : de plus, il joue un rôle important dans la cohésion de la société ; en se léchant réciproquement et en léchant avidement la reine, les Fourmis transmettent des sécrétions tégumentaires spécifiques, substrat chimique de l’unité de la fourmilière. On interprète dans le même sens les échanges de nourriture (trophallaxie) dont se gratifient les membres de la communauté ; les liquides amenés de l’extérieur par les pourvoyeuses, dans leur jabot, passent, de proche en proche, à d’autres individus, jusqu’aux larves et aux reines ; les larves elles-mêmes dégorgent par la bouche ou émettent par l’anus des substances qu’absorbent les ouvrières ; un courant trophallactique unit donc les habitants du nid. Par ailleurs, un véritable langage permet des communications, dont le sens nous échappe encore souvent ; il fait intervenir, selon les cas, des émissions odorantes, des frôlements d’antennes ou une stridulation discrète. Les rapports sociaux s’expriment encore lorsque des ouvrières se laissent docilement transporter par d’autres ou quand elles collaborent à une construction commune (cas des Fourmis couturières) ou qu’elles acheminent vers le nid un lourd fardeau ; dans ce cas, elles atteignent le but par des tractions quelque peu désordonnées et parfois même contradictoires, et non par des mouvements rigoureux, coordonnés et pleinement efficaces, comme certains les ont décrits dans un excès d’anthropomorphisme.