Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
F

Fourier (Charles) (suite)

Il distingue treize passions. Cinq passions correspondent aux cinq sens ; quatre assurent les rapports de l’individu avec ses semblables ; trois autres permettent de grouper les individus en séries : parmi ces dernières, la « papillonne », n’est autre que le besoin perpétuel de changement dont il faut tenir compte dans l’aménagement des horaires de travail comme dans la vie sexuelle. La dernière des passions, l’« harmonique », unit toutes les autres.

Fourier publie sur toutes sortes de sujets soit d’innombrables articles, soit d’énormes ouvrages, dont la disposition typographique sort du commun. Si la pauvreté est, pour lui, la principale cause des désordres sociaux, il n’en faut pas conclure, pense-t-il, à la nécessité d’une égalité totale ; ce qu’il faut, c’est donner au peuple l’aisance de la bourgeoisie. La production en sera notablement augmentée.

Les grandes lignes de ses idées sont définies dès 1803. Il compte, pour les appliquer, d’abord sur le pouvoir, ensuite sur un certain nombre de riches, auxquels il donne inutilement rendez-vous lorsque, de 1828 à 1837, il est comptable à Paris dans une maison du Sentier. Mais, déçu par l’indifférence de ses contemporains envers celui qui se donnait comme le nouveau Newton de l’ordre politique et social, il rassemble quelques disciples.

Une pomme payée 14 sous dans un restaurant parisien en 1789

Je sortais d’un pays où les pommes, égales et encore supérieures en qualité et en grosseur, se vendaient un demi-liard, c’est-à-dire plus de cent pour quatorze sous. Je fus si frappé de cette différence de prix entre pays de même température que je commençai à soupçonner un désordre fondamental dans le mécanisme industriel, et de là naquirent des recherches qui, au bout de quatre ans, me firent découvrir la théorie des séries de groupes industriels et, par suite, les lois du mouvement universel manquées par Newton.

Qu’est-ce que le bonheur ?

En quoi consiste le bonheur, sinon à ressentir et assouvir une immense quantité de passions non malfaisantes ? Tel sera le sort des humains, lorsqu’ils seront délivrés de l’état civilisé, barbare et sauvage. Leurs passions seront si innombrables, si bouillantes, si variées que l’homme opulent passera sa vie dans une sorte de frénésie permanente et ne trouvera qu’une heure dans ces journées qui sont aujourd’hui de vingt-quatre heures.


La phalange

Selon Fourier, il appartiendra à l’« association domestique agricole », ou phalange, de « marcher » contre la civilisation actuelle. Il a dénombré 810 caractères types ; dans la phalange, il faudra un exemplaire féminin de chaque type.

Le « phalanstère » qui abritera cette association sera établi dans une région vallonnée ou boisée, comme il en existe près de Lausanne, de Bruxelles ou de Paris. Le centre rassemblera toutes les activités collectives ; les ailes recevront les ateliers et les salles des enfants. La table sera commune, mais avec sept menus différents : cinq hiérarchisés selon les revenus des sociétaires, un pour les étrangers, un pour les enfants, qui seront chargés (puisqu’ils les aiment...) des travaux salissants et qui formeront les « petites hordes ». Chacun sera rétribué en proportion de trois principes : travail (5/12), capital (4/12), talent (3/12). Le phalanstère fonctionnera comme une coopérative de production et de consommation, où les échanges s’opéreront hors des pratiques commerciales courantes.


Des disciples

À partir de 1832, l’école fouriériste, ou école sociétaire, édite une revue, la Réforme industrielle ou le Phalanstère, que remplace ensuite la Phalange (elle paraîtra jusqu’en 1849). Alexandre Baudet-Dulary (1792-1878), médecin élu député d’Étampes en 1831 et démissionnaire en 1834, entreprend près de Houdan, en forêt de Rambouillet, à Condé-sur-Vesgre, la construction d’un phalanstère, qui ne peut être menée à bien, faute de fonds. Tombé malade, Fourier meurt dans la solitude, à la différence de Saint-Simon, contre lequel il n’avait cessé de rompre des lances, dénonçant dans l’industrialisme la plus récente de nos chimères scientifiques.

Après sa mort, son action sera prolongée surtout par Victor Considérant (1808-1893). Polytechnicien, celui-ci a quitté l’armée ; député en 1848, il essaie de créer un phalanstère au Texas. Échec. Échec aussi de deux Américains, W. H. Channing (1810-1884) et A. Brisbane (1809-1890).

De ces échecs sans rémission et du fait que Fourier fut un utopiste, qui ne prit conscience que d’une manière trop intuitive et trop confuse de l’interdépendance étroite qui lie dans les sociétés les forces économiques aux idéologies, faut-il conclure que rien de ce qu’il a pensé n’est passé dans la réalité ? Certains auront sans doute tendance à ne voir en lui qu’un des précurseurs du courant anarchiste. Tel n’était pas l’avis de Charles Gide, économiste et théoricien de la coopération* qui lui a consacré un cours au Collège de France. Fourier fut le précurseur de la coopération. Ce sont d’ailleurs ses idées qui ont inspiré la fondation, à Lyon, en 1835, de la première coopérative de consommation, baptisée le « Commerce véridique et social ». Les vrais héritiers de Fourier sont ceux qui ont fait passer ses espoirs prophétiques du plan du rêve au plan de la réalité.

Les œuvres de Fourier

• Théorie des quatre mouvements et des destinées générales (Prospectus et annonce de la découverte, Lyon, 1808) ;

• Le Nouveau Monde industriel et sociétaire ou Invention du procédé d’industrie attrayante et naturelle, distribuée en série passionnée (Paris, 1829) ;

• La Fausse Industrie morcelée, répugnante, mensongère, et l’antidote, l’industrie naturelle combinée, attrayante, véridique, donnant quadruple produit (Paris, 1835-36).

• Œuvres complètes de Fourier (Éd. Anthropos, 1967-68 ; 12 vol.).

G. L.

➙ Coopération / Socialisme.