Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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folklore (suite)

Des spécialistes de la tradition récitée se rencontrent à une époque contemporaine. Il y a, par exemple, des corporations poétiques en Polynésie, des « griots », des ménestrels ambulants et des conteurs professionnels en Afrique, des chanteurs d’épopées au Tibet, des poètes improvisateurs chez les Malais, les Malgaches et les peuples de l’Extrême-Orient, des chansonniers-compositeurs en Europe. Une tradition populaire, plus diffuse et moins spécialisée existe depuis l’Antiquité, puisque, chez les Romains, Apulée nous parle des contes de bonnes femmes (aniles fabulae), qu’il avait certainement entendu raconter. On peut encore étudier sur le vif les procédés des chanteurs populaires, des conteurs ou des conteuses de village.


Ancienneté des genres récités

Les toutes premières littératures ont été transmises oralement. Les principaux genres représentés sont les incantations et les formules rituelles ou divinatoires, les prières et les exorcismes, les hymnes chantés en chœur ou individuellement. Il y a aussi les mythes et les cosmogonies, les listes énumératives perpétuant les généalogies divines et humaines, codifiant les réglementations religieuses ou juridiques, résumant l’état des connaissances dans un dessein de préservation ou d’enseignement par la parole. On trouve également des proverbes et des sentences lapidaires, des énigmes, des débats et des joutes poétiques, des harangues, des panégyriques et des lamentations funéraires. La littérature narrative apparaît sous une forme plus ou moins développée selon les civilisations : on rencontre un peu partout des poèmes héroïques, souvent aussi des épopées en vers ou en prose et, plus tard, au Moyen Âge, des chansons de geste, des « sagas », des ballades, des « dits », des complaintes, des « lais », des romans, des chantefables, des contes et des fabliaux.

Tous ces genres oraux traditionnels, dont certains remontent à la plus haute antiquité, se confondent avec ce que l’on pourrait appeler la littérature primitive ou la poésie primitive. Ce sont des genres archaïques, comme les incantations et les sentences des Babyloniens, les hymnes, les mythes et les contes de l’Égypte ancienne, les chants et les généalogies de la Bible, les proverbes de Salomon, les préceptes de sagesse des Égyptiens, le très vieux poème épique assyrien de Gilgamesh, l’épopée de la bataille de Kadesh (en Égypte) contre les Hittites, les épopées de la Grèce, de l’Inde, de la Perse et des Arabes, les hymnes védiques qui s’échelonnent entre le xve s. av. J.-C. et les premiers siècles de notre ère, les formules magiques et les lois récitées des Romains.

De nos jours encore, des genres oraux traditionnels qui peuvent évoquer ceux de l’Antiquité ont été observés par les ethnologues et les folkloristes : les mythes de la Création chez les Indiens d’Amérique, les traditions orales sur le Déluge relevées dans des pays très éloignés les uns des autres, les mythes et les généalogies des Australiens, les poèmes cosmogoniques et les contes des Tahitiens, avec le récit de la solitude du Créateur lancé à travers l’espace à l’intérieur d’une coquille marine avant la création de l’humanité, le mythe populaire des deux créateurs rivaux chez les Chinois.


Ancienneté des thèmes communs au folklore et à la littérature

Pour montrer la complexité des problèmes relatifs au folklore et à la littérature, on peut se borner à l’examen rapide de quelques exemples de récits héroïques ou légendaires.

Sans aller jusqu’à rattacher exclusivement au conte ou à la légende le fond narratif de l’Iliade et de l’Odyssée, il faut bien admettre que ces deux poèmes épiques mettent en œuvre plusieurs traditions orales qui font actuellement partie du folklore international.

Le motif de « duperie » du cheval de Troie peut être relevé dans certains textes anciens de l’Orient classique. Quant aux récits traditionnels des périples maritimes, ils ont, comme on le sait, souvent recours à quelque substrat légendaire. L’aventure d’Ulysse et de Polyphème se décompose en plusieurs éléments de fiction : la figure fantastique du monstre anthropophage, en l’espèce celle du Cyclope ; le stratagème d’Ulysse et l’aveuglement du Cyclope ; le faux nom qui sert à dérouter le poursuivant, etc. Les contes du folklore actuel qui se rapprochent le plus de la donnée de l’Odyssée, par l’agencement et la coordination de ces divers épisodes, ont été recueillis au Caucase : ce sont des variantes géorgiennes, ossètes, kabardines. En France, on trouve une variante très frappante de l’histoire du Cyclope dans le Pays basque.

Un certain nombre de thèmes légendaires qui font encore partie du folklore actuel sont connus des Romains : ainsi, la javeline de Romulus prend racine et devient arborescente ; on peut observer que ce motif revêt un autre aspect dans nos légendes de saints : celui du bourdon du personnage sacré ou du bâton planté en terre qui, miraculeusement, se couvre de rameaux et de fleurs.

D’une façon générale, les légendes sur les héros civilisateurs présentent entre elles des similitudes étonnantes : comme on le sait, Moïse fut aussi abandonné sur les eaux, mais cette histoire de la Bible n’est pas la première du genre. On raconte, en effet, au xxive s. avant notre ère, que pareille aventure arriva à Sargon, le conquérant de la Chaldée. Tous les éléments du récit — l’enfant abandonné sur les eaux, l’arbre magique ou l’animal qui le sustente, le jardinier ou le berger providentiels — font partie de ce fonds commun, mystérieux du folklore international.


Les structures anciennes de la littérature récitée

Les structures les plus anciennes de la littérature récitée ou chantée sont les suivantes : le parallélisme, qui est fondé sur un balancement rythmé du langage et de la pensée (exemples sumériens, assyro-babyloniens, égyptiens, parallélismes de la Bible et du Shi jing [Che King], classique de la poésie chinoise) ; la triade ou la répétition ternaire (mythologies grecque, celtique, indienne, etc.) ; l’engrenage ou la structure en chaîne (incantations babyloniennes, etc.). Des procédés rythmiques de répétition, de progression, d’alternance, de récapitulation sont anciens et universellement répandus.