Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Flaubert (Gustave) (suite)

« Le style théâtral me fait l’effet de l’eau de Seltz : c’est agréable au commencement, puis cela agace. »
(À Mme Roger des Genettes, 30 oct. 1873.)

Flaubert a toujours rêvé de théâtre. Adolescent, il se voyait acclamé par une foule délirante, comme l’avait été Alfred de Vigny à la première de Chatterton (1835). Il avait fréquenté les actrices avec son ami le dramaturge Louis Bouilhet : Suzanne Lagier, Beatrix Person, Alice Pasca, Sarah Bernhardt. Dès 1863, il avait composé une féerie, le Château des cœurs, avec ses amis Bouilhet et d’Osmoy, qu’il publiera seulement en 1880, après avoir tenté, sans succès, de la faire jouer. Les projets de Flaubert comprennent nombre de scénarios de pièces, dont le plus important, intitulé le Rêve et la vie (vers 1860), comme l’Aurélia de Gérard de Nerval, est très proche d’un autre projet de Flaubert, la Spirale (1853). Flaubert voulait y montrer l’opposition du rêve et de la vie en une succession d’épisodes et conclure, comme Baudelaire, à la supériorité du rêve. Mais c’est par amitié posthume pour Louis Bouilhet que Flaubert commence sa carrière théâtrale. Bouilhet avait laissé un manuscrit incomplet, le Sexe faible, que Flaubert voulait faire jouer pour procurer un peu d’argent à l’héritier de son ami, Philippe Leparfait. Le Sexe faible terminé et accepté, Flaubert se prend au jeu et écrit une comédie politique, le Candidat, satire des mœurs électorales de province. La pièce fut créée le 11 mars 1874 au théâtre du Vaudeville, et fut un four. Flaubert pouvait rejoindre les rangs des « auteurs sifflés ». Il avait espéré non la gloire, mais un succès financier, car les affaires d’Ernest Commanville, son neveu par alliance, allaient fort mal. En 1875, la ruine est consommée et entraîne celle de Flaubert et du compagnon fidèle de ses dernières années, Edmond Laporte. Les amis de Flaubert, Tourgueniev en tête, vont s’efforcer de lui trouver une position et réussiront en 1879 à lui faire accorder un poste de conservateur hors cadre à la bibliothèque Mazarine.


« ... Ce que je voudrais faire, c’est un livre sur rien, un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait de lui-même par la force interne du style... »
(À Louise Colet, 16 janv. 1852.)

Après l’échec de ses aventures théâtrales, Flaubert n’ose pas reprendre encore le grand roman commencé en 1872, sur des scénarios antérieurs de dix ans, et dont les difficultés lui paraissent insurmontables. Désireux d’écrire et de publier vite pour remplir un peu sa bourse, il revient à un genre qu’il avait abandonné depuis longtemps, le conte. Il écrit d’abord la Légende de saint Julien l’Hospitalier, dont l’idée remonterait à 1846, d’après Du Camp, et au vitrail célèbre de la cathédrale de Rouen. « Cette petite bêtise moyenâgeuse », comme il l’appelait, est la seule de ses œuvres où Flaubert ait réalisé son rêve d’une œuvre ne reposant que sur le style. Sauf peut-être par l’expression d’un certain sadisme, ce chef-d’œuvre est sans rapport avec les idées ou les sentiments les plus profonds de Flaubert. Il n’en est pas de même des deux autres contes, Un cœur simple et Hérodias. Dans le premier, Flaubert narre la vie d’une « servante au grand cœur », Félicité, Normande de Pont-l’Évêque. Le destin de Félicité est d’aimer, ou plutôt de s’attacher : Polydore, Mme Aubain, Paul et Virginie, Victor, le perroquet Loulou se succèdent dans son cœur toujours épris, jusqu’à la scène finale où l’agonisante, lors de la Fête-Dieu, confond son perroquet et la colombe du Saint-Esprit. Sur un registre plus bas, la vie de Félicité fait écho à celle d’Emma Bovary : c’est la même « aspiration », et la même incompréhension de la part des autres. Mais là où Emma est tragique, Félicité, plus passive, n’est que pathétique. Un cœur simple eût sans doute plu à George Sand, pour qui Flaubert l’a en partie écrit mais qui meurt quelques mois avant la publication des Trois Contes.

Avec Hérodias, Flaubert revient à l’enquête sur les religions commencée avec la Tentation de saint Antoine et continuée avec Salammbô. Il tente de recréer le milieu dans lequel ont vécu saint Jean-Baptiste, « Iaokanann », Hérode-Antipas, Hérodias et Salomé, les conquérants romains, et Jésus, c’est-à-dire les origines immédiates du christianisme. Le choix de l’héroïne montre bien les intentions de Flaubert : étudier les mœurs orientales au ier s. av. J.-C., autour de la figure d’une princesse avide de pouvoir et prête à tout. Renan appréciera beaucoup cette œuvre, plus critique, ou scientifique, que romanesque. La critique s’est efforcée de découvrir le lien qui unirait les trois contes, mais sans grand succès : le titre de Flaubert, Trois Contes, semble prouver qu’il n’en voyait aucun. Encouragé par son succès, Flaubert songe à écrire un autre conte, la Bataille des Thermopyles, mais d’abord il remet sur le chantier son dernier grand roman, « les deux cloportes », Bouvard et Pécuchet.


« L’histoire de ces deux bonshommes qui copient une espèce d’encyclopédie critique en farce. »
(À Mme Roger des Genettes, 19 août 1872.)

Comme Flaubert l’écrit à George Sand le 1er juillet 1872, Bouvard et Pécuchet est « un roman moderne faisant la contrepartie de Saint Antoine et qui aura la prétention d’être comique ». Le 11 février 1880, il dira à Edmond de Goncourt que sa nouvelle œuvre est « philosophique ». Flaubert a composé deux types de romans très différents : la Tentation de saint Antoine et Bouvard et Pécuchet encadrent les romans « purs et simples » que sont Madame Bovary, Salammbô et l’Éducation sentimentale. La technique de ces romans est très différente : les romans « purs et simples » sont fondés sur des personnages dont Flaubert raconte la destinée. Le plus souvent, il part de sa propre expérience, la généralise à l’aide d’une solide documentation et entre dans la peau de ses héros afin de leur donner la vie. Dans le cas des « romans philosophiques », la démarche est toute différente, sauf en ce qui concerne le dernier stade. Saint Antoine, Bouvard et Pécuchet assistent assez passivement à un défilé, l’un de religions, les autres de disciplines scientifiques ou autres, dont l’auteur a lui-même réglé l’ordre. De même que Flaubert parle de « l’épisode des Dieux » ou de celui des monstres, il mentionne le chapitre sur l’agriculture ou sur la médecine, l’histoire et l’archéologie, etc. L’intrigue de ces romans est donc très réduite, et la psychologie des personnages secondaire. L’essentiel est dans les idées, dans la thèse, comme pour les romans de Voltaire, que Flaubert a tant aimés.