Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Flaubert (Gustave)

Romancier français (Rouen 1821 - Croisset, près de Rouen, 1880).


Gustave Flaubert naît à Rouen, le 12 décembre 1821, à l’hôtel-Dieu. Son père en est le chirurgien en chef et dirige aussi l’école de médecine de la ville. Un frère, Achille, de treize ans plus âgé, et une sœur, Caroline, plus jeune de trois ans, composent cette famille unie et heureuse. Les Flaubert sont prospères, grâce à l’activité du père, l’un des grands médecins de son temps. Gustave a tracé son portrait dans Madame Bovary, sous les traits du docteur Larivière. Ils sont dans l’opposition au régime : libéraux, anticléricaux, ils représentent dans le milieu bourgeois rouennais une indépendance d’esprit et une ouverture de cœur assez rares. Mme Flaubert est normande, de Pont-l’Évêque, où Flaubert situera Un cœur simple ; le docteur est champenois, de Nogent-sur-Seine, qui sera la patrie de Frédéric Moreau, le héros de l’Éducation sentimentale. Jusqu’à son premier grand voyage, aux Pyrénées et en Corse (1840), Flaubert n’aura comme horizon que la Normandie et la Champagne, avec quelques séjours à Paris.


« J’avais d’abord voulu faire un roman intime, où le scepticisme serait poussé jusqu’aux dernières bornes du désespoir... »
(Mémoires d’un fou.)

En 1831-32, Flaubert entre au collège royal de Rouen dans la classe de huitième, comme pensionnaire. Les années de collège seront atroces pour ce jeune garçon habitué à vivre dans une famille particulièrement affectueuse et où les échanges d’idées étaient remarquablement libres. Il a raconté ses souffrances de collégien dans ses Mémoires d’un fou, sa révolte contre la vie réglée de l’internat, l’enseignement traditionnel et morne, sauf celui du cher Gourgaud, professeur de cinquième, pour qui Flaubert écrira ses premières narrations, et d’Adolphe Chéruel, qui lui donnera le goût de l’histoire. Aussi, loin des lectures classiques qu’on lui impose, il se plonge dans la littérature romantique de son temps : Victor Hugo et Alexandre Dumas, Balzac et Edgar Quinet, George Sand et J.-J. Rousseau, pour découvrir vers la fin de ses années d’études Rabelais, Montaigne, deux auteurs qui resteront parmi ses favoris, et le marquis de Sade, dont l’influence est considérable sur sa pensée et sur son œuvre. Au dortoir, il couchait avec un poignard sous son oreiller, il rêvait de liberté, de justice, de gloire et surtout d’amour. La révolte du jeune Flaubert se manifeste à l’automne 1839 par une campagne vigoureuse contre le censeur du collège : Flaubert est renvoyé dans ses foyers, ainsi que ses meilleurs amis. Il prépare seul son baccalauréat, qu’il obtiendra en août 1840. Durant ses années de collège, Flaubert écrit énormément : des contes et un drame historiques (Loÿs XI, 1838) ; des contes philosophiques, comme Passion et vertu (1837), où l’héroïne tue par amour son mari et ses enfants et finit par s’empoisonner ; des contes fantastiques comme Rêve d’enfer (1837) ; une « physiologie » intitulée Une leçon d’histoire naturelle : genre commis, qui annonce déjà, toutes proportions gardées, Bouvard et Pécuchet ; un « vieux mystère », Smarh (1839), où est en germe la Tentation de saint Antoine. Cette production culmine avec une grande œuvre autobiographique : les Mémoires d’un fou (1838).


« Ce fut comme une apparition... »
(L’Éducation sentimentale.)

Les Flaubert passaient souvent le mois d’août à Trouville, où le docteur possédait des terres. En août 1836, ils firent la connaissance du ménage Schlésinger. Maurice publiait à Paris une importante revue musicale, et Élisa, une femme de trente ans qui vivait avec lui avant de devenir son épouse, fut l’objet du premier grand amour de Flaubert, et peut-être du seul. Les Mémoires d’un fou décrivent longuement la première rencontre avec Élisa, qu’immortalisera, dans un autre décor, celui de la Ville-de-Montereau, l’Éducation sentimentale. Flaubert retrouvera plus tard, à Paris, vers 1842, ses amis Schlésinger. Amant, ou non, d’Élisa, il s’éloignera d’elle, mais restera toujours fidèle à leur souvenir : « J’ai, dans ma jeunesse, démesurément aimé. Chacun de nous a dans le cœur une chambre royale ; je l’ai murée, mais elle n’est pas détruite. » (Lettre à Amélie Bosquet, nov. ou déc. 1859.)


Être la matière

Après son succès au baccalauréat, les parents de Flaubert lui offrent un voyage dans le midi de la France et en Corse, avec le professeur Jules Cloquet, l’un des plus brillants élèves du docteur Flaubert. Ce premier voyage apporte à Flaubert des expériences très importantes : d’abord sa première « extase panthéiste ». Un jour de soleil, à midi, le long de la plage d’Aléria, en Corse, il a le sentiment de se fondre dans la nature : « On se pénètre de rayons, d’air pur, de pensées suaves et intraduisibles ; tout en vous palpite de joie et bat des ailes avec les éléments, on s’y attache, on respire avec eux, l’essence de la nature animée semble passée en vous en un hymen exquis... » (Notes de voyages.) D’autres expériences semblables se produiront en 1842, à Trouville, en 1847, à Belle-Île-en-Mer, et fonderont la conception de la place de l’homme dans l’univers que Flaubert exposera dans ses romans, et le plus nettement dans la conclusion de la Tentation de saint Antoine (1874). La « tentation » panthéiste, si forte chez tous les grands romantiques, a orienté toute l’œuvre de Flaubert.

La seconde expérience n’est guère moins importante. À son retour de Corse, à Marseille, Flaubert est descendu à l’hôtel Richelieu, tenu par les dames Foucaud de Langlade. La plus jeune, Eulalie, a une trentaine d’années et paraît avoir beaucoup ressemblé physiquement à la chère Élisa Schlésinger. Elle vient, le soir, retrouver le jeune voyageur dans sa chambre et lui révèle les « délices » de la volupté. Eulalie et Gustave échangeront quelques lettres — celles de Gustave sont perdues —, puis ce sera l’oubli. Mais chaque fois que Flaubert passera par Marseille, il ira faire un pèlerinage à ce qui fut l’hôtel Richelieu.