Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
F

flamingantisme (suite)

Quoique les revendications linguistiques conservent jusqu’en 1914 une priorité absolue, les objectifs visés se modifient considérablement. Pour la nouvelle génération, le développement culturel n’est plus une fin en soi, mais une condition du développement socio-économique de la Flandre. En 1898, les Flamands obtiennent la reconnaissance de l’égalité juridique d’un bilinguisme officiel. Mais, jusqu’à la guerre, ils manifesteront en vain pour la flamandisation de l’université de Gand.

La Première Guerre mondiale marque le vrai passage de la Belgique libérale du xixe s. à la Belgique démocratique issue du suffrage universel. La querelle linguistique acquiert la dimension d’un contentieux communautaire, ayant pour véritable enjeu les structures, voire l’existence même de la Belgique.

Durant l’occupation, le flamingantisme se scinde en plusieurs groupes : les unionistes, fidèles à la nationalité belge, se partagent entre minimalistes, exigeant l’unilinguisme régional, et fédéralistes. Les radicaux rêvent d’un royaume de Flandre. Ceux-ci et certains fédéralistes, tous activistes, se prêtent à une collaboration avec l’ennemi, qui exploite habilement les rancœurs accumulées. Au front, l’unilinguisme francophone des cadres, joint à une répression maladroite du flamingantisme, poussera finalement celui-ci dans les bras de l’activisme. Pour bien des Flamands, l’héritage des tranchées aura été la fixation d’un sentiment de persécution, dont les pèlerinages à la tour de l’Yser perpétuent le souvenir.

Au lendemain de la guerre, la répression s’abat sur le flamingantisme, tandis que les promesses faites lors de la libération ne sont pas tenues. Cette politique renforce le nationalisme flamand. Du reste, les flamingants de toute tendance souscrivent à la lutte pour l’intégrité linguistique de leur communauté. Aussi le coup de semonce que constituent les élections de 1929 sera-t-il entendu : l’université de Gand est alors intégralement flamandisée. Confrontés au dilemme d’un bilinguisme généralisé ou d’un unilinguisme régional, les Wallons optent en 1932 pour la seconde solution, sacrifiant de ce fait la minorité francophone de Flandre. Le bilinguisme ne subsiste qu’à Bruxelles et le long de la frontière linguistique, dont le cours est déterminé par les résultats des recensements décennaux. Entraîné désormais par le dynamisme de son aile radicale, qui oscille entre le fédéralisme et le séparatisme, le flamingantisme ne s’arrêtera plus. Il sera freiné par le discrédit que lui vaut la collaboration de certains radicaux pendant la Seconde Guerre mondiale, mais la répression sans discernement de l’après-guerre relancera le mouvement.

Durant les années 50, la question royale, puis la guerre scolaire mobilisent les esprits. À la veille du recensement de 1960, le contentieux communautaire revient à l’avant-plan : les résultats démographiques doivent entraîner une adaptation de la répartition des sièges parlementaires défavorables à la Wallonie, tandis que les réponses concernant l’emploi des langues modifieront de nouveau le tracé de la frontière linguistique au détriment de la Flandre. Les flamingants, qui considèrent le recensement linguistique comme un instrument de francisation, en obtiennent la suppression en 1961. La fixation définitive de la frontière linguistique est établie par la loi du 8 novembre 1962.

La Belgique est dès lors divisée en quatre régions linguistiques : française, néerlandaise, allemande et bilingue. L’agglomération bruxelloise, limitée en 1963 à 19 communes, constitue un arrondissement bilingue situé à l’intérieur d’un arrondissement flamand d’où se détachent six communes de la périphérie bruxelloise, qui jouissent de facilités linguistiques.

La répartition des sièges parlementaires est laissée en suspens ; le principe en est approuvé en 1965, mais l’exécution suivra la révision constitutionnelle. D’autre part, le transfert en Wallonie de la section francophone de l’université catholique de Louvain, exigé par les Flamands en vertu de l’homogénéité linguistique de la Flandre, n’est acquis qu’en 1968 à l’issue d’une crise ministérielle. La révision constitutionnelle, achevée en 1971, apporte aux Flamands (et aux Wallons) une autonomie culturelle totale, de même qu’une large décentralisation économique et administrative.

Le statut linguistique de la capitale reste le point de cristallisation des revendications flamandes. Pour obtenir la parité au Collège exécutif de Bruxelles, les Flamands ont consenti à la neutralisation de leur majorité parlementaire. Le problème bruxellois est celui d’une agglomération bilingue en pleine expansion, enserrée dans une région unilingue flamande. Les Flamands s’opposent à toute extension du bilinguisme, qui consacrerait l’unilinguisme des francophones s’installant dans la périphérie et la francisation à terme des résidants flamands. Il est notoire que, indépendamment de sa valeur, une langue de diffusion limitée ne peut concurrencer une langue de rayonnement international, et nombre de Bruxellois francophones sont effectivement d’origine flamande. À la liberté individuelle invoquée par les francophones, les Flamands opposent la réalité sociologique pour justifier la protection légale du néerlandais. Le problème bruxellois résume par ce biais toute la question flamande : au-delà de l’antinomie entre l’individu et la société, l’existence même d’une culture est en jeu.

P. J.

➙ Belgique.

 S. B. Clough, A History of the Flemish Movement in Belgium (New York, 1930). / L. Picard, Evolutie van de Vlaamse Beweging van 1795 tot 1950 (Anvers et Amsterdam, 1963 ; 3 vol.). / H. J. Elias, Geschiedenis van de Vlaamse Gedachte, 1780-1914 (Anvers, 1963-1965 ; 4 vol.). / A. Du Roy, la Guerre des Belges (Éd. du Seuil, 1968). / Vijfentwintig jaar Vlaamse Beweging (Anvers, 1969 ; 4 vol.). / M. P. Herremans, Flamands, Wallons et Bruxellois (Bruxelles, 1972).