Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Finlande (suite)

 Y. Jaakkola, Histoire du peuple finlandais (en finnois, Helsinki, 1941 ; trad. fr., Lausanne, 1942). / A. Korhonen, Manuel d’histoire finlandaise (en finnois, Helsinki, 1949 ; 2 vol.). / P. Jeannin, Histoire des pays scandinaves (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1956 ; 2e éd., 1965). / L. A. Puntila, Histoire politique de la Finlande de 1809 à 1955 (en finnois, Helsinki, 1956 ; 2e éd., 1963 ; trad. fr., La Baconnière, Neuchâtel, 1966). / G. Chabot, l’Europe du Nord et du Nord-Ouest, t. II : Finlande et pays scandinaves (P. U. F., 1958). / H. Smeds, Three Faces of Finland (Helsinki, 1960). / E. Jutikkala et K. Pirinen, A History of Finland (New York, 1962). / Introduction to Finland 1963 (Porvoo, 1963). / J. H. Wuorinen, A History of Finland (Londres, 1965). / A. Sømme et H. Smeds, A Geography of Norden-Finland (Oslo, 1968). / A. Sauvageot, Histoire de la Finlande (Geuthner, 1969 ; 2 vol.). / G. Alexandersson, les Pays du Nord (P. U. F., coll. « Magellan », 1971).


La littérature finlandaise

Les Finlandais s’expriment en finnois et en suédois, langues des deux groupes ethniques qui peuplent leur pays. Depuis le xiie s., quand la Finlande tomba sous la domination de la Suède jusqu’en 1809, où elle devint grand-duché russe, le suédois, langue officielle, domine ; le finnois n’est guère parlé que par le peuple et par l’Église. Ce bilinguisme est un trait de la littérature finlandaise. Sans doute trouve-t-on chez les écrivains de ces deux groupes les mêmes influences étrangères, la même nature, dont la beauté prenante a développé leur penchant inné pour la poésie, mais, alors que les Suédois, pendant longtemps, se sont intéressés surtout à leur milieu cultivé, à la recherche artistique et ont cherché à défendre leur classe et leur langue contre le finnois, en progrès constant — parlé aujourd’hui par neuf dixièmes de la population —, les Finnois se sont appliqués, le plus souvent, à peindre les petites gens dont ils étaient issus et la nature, à laquelle un lien presque mystique les unit. La traduction du Nouveau Testament (1548) par Mikael Agricola (v. 1510-1557) marque le début des lettres en finnois, où l’on ne trouve guère jusque vers 1840 que des ouvrages didactiques et religieux, alors que les œuvres en suédois, riches depuis le Moyen Âge de contes, de ballades, de chants populaires, avaient au xviiie s. des poètes connus : Gustaf Philip Creutz (1731-1785), Frans Michael Franzén (1772-1847). Cependant, les Finnois exprimaient leurs mythes, les jeux de leur imagination primitive par des chants, des légendes d’une grande richesse, transmis oralement et remontant au xie s.

Quand la Finlande devint grand-duché russe, dans un élan de patriotisme, des hommes cultivés, adeptes du romantisme européen, animés par le philosophe Snellman, ne se sentant ni Suédois ni Russes, mais Finlandais, défendent la culture finnoise. Le plus grand poète classique, Johan Ludwig Runeberg (1804-1877), « Suédois de langue, Finnois de cœur », illustre ce réveil national. Le premier, il unit, dans ses vers d’un patriotisme ardent, le réalisme de la vie quotidienne au romantisme de l’époque. Ses poésies, ses poèmes (les Chasseurs d’élan, le Roi Fjalar et surtout les Récits de l’enseigne Stål [t. I, 1848 ; t. II, 1860], vivants portraits de soldats de 1808) lui ont valu le titre de poète national. Ce même patriotisme et l’intérêt pour le passé se retrouvent dans les récits historiques et les contes pour enfants de Zacharias Topelius (1818-1898) et conduisent Elias Lönnrot (1802-1884), médecin, folkloriste, à recueillir légendes et chants populaires. Celui-ci les coordonne en une épopée célèbre, le Kalevala (1835 ; éd. aug., 1849), où des héros au pouvoir surnaturel luttent pour la conquête d’un objet magique. Dans ce livre, d’une étrange beauté, mythes, actions héroïques, réalisme quotidien, « magie de la nature et du verbe » se côtoient. Des recueils de poésies populaires (le Kanteletar), de proverbes, de formules magiques, un dictionnaire finno-suédois complètent l’œuvre de Lönnrot.

Le finnois devint langue littéraire à partir de 1860 grâce au génie d’Aleksis Kivi (1834-1872). Pauvre et malade, il mourut aliéné. Son œuvre, affranchie de toute école, est la peinture réaliste, humoristique, bienveillante de villageois. Des poésies romantiques, des drames (Kullervo, Lea), une comédie joyeuse, les Cordonniers de la lande, enfin un chef-d’œuvre, les Sept Frères (1870), roman débordant de joie de vivre, d’aventures dramatiques, burlesques, de légendes poétiques, d’amour de la nature, font de Kivi l’auteur encore jamais égalé en Finlande. Il a ouvert la voie au réalisme, qui domine de 1880 à 1895. Sous l’influence des courants libéraux du xixe s., d’Ibsen, de Tolstoï, des positivistes anglais, des naturalistes français, journaux, cercles littéraires se fondent, et féminisme, problèmes moraux et sociaux sont à l’ordre du jour. Minna Canth (1844-1897) dénonce dans ses drames et romans la misère, les injustices qui accablent les femmes (la Femme de l’ouvrier, 1885). Juhani Aho (1861-1921), disciple de Daudet et de Maupassant, peint les petites gens avec humour et réalisme. Ses Copeaux (1891-1921), huit recueils de souvenirs, de portraits, de descriptions lyriques de la nature en une langue parfaite, en font un grand classique de la prose finnoise. Arvid Järnefelt (1861-1932), ardent tolstoïen, préconise l’égalité et la paix. Après 1895, devant l’oppression russe et sous l’influence du romantisme Scandinave, de Nietzsche, de Maeterlinck, on revient au passé, au lyrisme ; Johannes Linnankoski (1869-1913) publie le Chant de la fleur rouge (1905). C’est l’âge d’or de la poésie, que domine Eino Leino (1878-1926), romancier, critique, un des plus grands poètes finnois. Son chef-d’œuvre, Chants de la fête du printemps (1903-1916), rappelle Schiller, la ballade et la chanson populaire. Héritiers du symbolisme, Otto Manninen (1872-1950), concis, profond, Veikko Antero Koskenniemi (1885-1962), nourri des Grecs, de Goethe, de Vigny, ont déjà un accent moderne. La grève de 1905, l’agitation sociale, l’indépendance, la guerre civile marquent un retour vers le réalisme et l’intérêt pour les problèmes politiques et les déshérités. Frans Eemil Sillanpää (1888-1964), prix Nobel, peint avec humour et compassion ces petites gens dont il est lui-même issu. Dans Sainte Misère (1919), Une brève destinée (1931) et ses autres nombreux romans et nouvelles, ses personnages, gens simples, marqués par sa conception panthéiste et biologique de la vie, se laissent aller, passifs, au rythme de la nature. Joel Lehtonen (1881-1934), avec la Combe aux mauvaises herbes (1919-1920), Ilmari Kianto (1874-1961), avec le Trait rouge (1909), Äino Kallas (1878-1956), Heikki Toppila (1885-1963) donnent une vision tragique, parfois humoristique, de pauvres gens incultes. La dramaturge humoriste Maria Jotuni (1880-1943) s’inspire surtout des milieux petits-bourgeois (la Côte de l’homme, 1914). Les écrivains de langue suédoise, au début du siècle, devant les progrès de la culture finnoise, expriment leur inquiétude et leur isolement. Mikael Lybeck (1864-1925), Bertel Gripenberg (1878-1947), Arvid Mörne (1876-1946), poète et romancier de la mer (le Printemps dans l’archipel, 1913), défendent la cause suédoise, que juge perdue la jeune génération, désabusée. Un des auteurs les plus connus, Runar Schildt (1888-1925), nouvelliste au style élégant, se penche sur l’âme du peuple, la relation entre la vie et l’art et ses propres angoisses (la Forêt magique, 1920). La poésie suédoise, qui a toujours ouvert la voie, domine avec le plus grand poète finlandais du xxe s., Edith Södergran (1892-1923). Influencée par les auteurs allemands, Nietzsche surtout, elle introduit l’expressionnisme en Finlande. Ses quatre recueils de poèmes, ardents, visionnaires (l’Ombre de l’avenir, 1920), sont des hymnes à la vie, à la nature, empreints, à l’approche d’une mort précoce, de rêve, d’angoisse et de résignation. Son influence immense s’étendit surtout aux « modernistes » d’expression suédoise, entre autres l’essayiste et romancière Hagar Olsson (née en 1893), Gunnar Björling (1887-1960), qui se rattache au dadaïsme, Elmer Diktonius (1896-1961), non conformiste, acerbe, poète et remarquable romancier (Janne Kubik, 1932). C’est l’époque où l’indépendance conquise, la guerre civile terminée, les jeunes, animés par l’essayiste Olavi Paavolainen (né en 1903), luttent contre les formes traditionnelles et « veulent les fenêtres ouvertes sur l’Europe ». Katri Vala (1901-1944) exprime en vers libres sa foi panthéiste. Influencé par Baudelaire, Uuno Kailas (1901-1933), pour fuir l’angoisse, se réfugie dans le rêve (le Rêve et la mort, 1931). Aaro Hellaakoski (1893-1952) [Miroir de glace, 1928] et P. Mustapää (né en 1899) renouvellent rythme et mesure. La prose, à l’accent souvent désabusé, est marquée par l’attrait des villes, des voyages. Mika Waltari (né en 1908) écrit sur la jeunesse citadine et sur Helsinki avant ses romans historiques à grand succès (Sinouhé l’Égyptien, 1945). Le régionalisme s’épanouit. La Carélie vit dans les romans humoristiques de Unto Seppänen (1904-1955), et le Nord dans ceux de Pentti Haanpää (1905-1955). Tito Colliander (né en 1904), en suédois, donne une image de la Russie orthodoxe d’autrefois (Croisade, 1937) et Sally Salminen (né en 1906) des Åland (Katrina, 1936). Enfin, du développement industriel naît une littérature originale sur le prolétariat ouvrier, dont les auteurs autodidactes furent longtemps ouvriers eux-mêmes. Les romans de Toivo Pekkanen (1902-1957) [À l’ombre de l’usine, 1932], de Lauri Viita (1916-1965) [Moraine, 1950], d’Otto Siippainen (né en 1915) sont des documents objectifs, en partie autobiographiques, sur cette nouvelle classe sociale. La Seconde Guerre mondiale, où peu de livres importants paraissent, sauf Purgatoire, poèmes sur la bataille du Taipale de Yrjö Jyend’ (né en 1903), et la Guerre dans le désert blanc de Haanpää, rapproche Finnois et Suédois, et met fin à la lutte des langues. La paix conclue, les écrivains, désillusionnés, incertains, cherchent des voies nouvelles. Les poètes, presque tous excellents prosateurs, ouverts à tous les courants, surtout anglo-saxons, suédois et, à un moindre degré, français, fuient toute idéologie et s’expriment en vers libres riches d’images. La nature finlandaise, mélancolique, l’incertitude de la vie, la solitude sont leurs thèmes favoris. Certains, de tendance marxiste, s’insurgent contre la société bourgeoise, tels A. Turtiainen, L. Viita (le Bétonnier, 1947). Les femmes, nombreuses — entre autres, Eeva Liisa Manner (née en 1921), d’inspiration panthéiste (Ce voyage, 1956), Helvi Juvonen et Marja Liisa Vartio (née en 1924), très liées à la nature —, apportent leur imagination fantaisiste, une note romantique et parfois des motifs mythologiques sur un rythme kalévalien. Poète et romancier remarquable, Paavo Haavikko (né en 1931), « virtuose du mot », sceptique et réaliste, dépeint l’insécurité et la relativité de la vie (Palais d’hiver, 1959). Ses poèmes, aux images précises, s’inspirent parfois de thèmes historiques. Bo Carpelan (né en 1926), pour qui « états d’âme et nature se fondent », suit la même voie moderne. Les prosateurs, aux thèmes très divers, précis, critiques, préfèrent aux idées générales les faits particuliers. Sobre, objectif, le roman explore la conscience profonde, se penche sur le problème du moi perturbé (Jorma Korpela [1910-1964], le Dr Finckelman, 1952), sur celui de la faute, du remords (Juha Mannerkorpi [né en 1915], les Rongeurs, 1958). L’âme féminine, celle de l’enfant, les conflits entre générations, entre sexes sont peints par Oivo Paloheimo, Eeva Joenpelto (1921) et, en suédois, Walentin Chorell (né en 1912). Certains trouvent parfois leurs sujets dans l’histoire, la religion (Paavo Rintala [né en 1930], Ma grand-mère et le maréchal ; Eila Pennanen [née en 1916], Sainte-Brigitte, en suédois ; Göran Stenius [né en 1909], les Cloches de Rome). Antti Hyry (né en 1931) suit la ligne du nouveau roman français. Le monde insolite de Brecht et d’Ionesco inspire le poète et romancier Pentti Holappa (Métamorphoses). Plusieurs sont encore hantés par la guerre. Väino Linna (né en 1920), avant sa trilogie sur le prolétariat paysan et la guerre civile de 1918 (Ici sous l’étoile polaire, 1959-1962), donne de la guerre, vue et critiquée par de simples soldats, une image véridique et saisissante : Soldats inconnus (1954). Veijo Meri (né en 1928), avec un sens aigu du grotesque, en dénonce l’horreur et l’absurdité (Une histoire de corde, 1957). L’exode des Caréliens, les rapports entre soldats finlandais et allemands alliés inspirent Seppänen et Talvi. Les écrivains des années 60, jeunes et nombreux — entre autres, le poète et romancier marxiste Pentti Saarikoski, Marja-Leena Mikkola, Mukka, Peltonen et, d’expression suédoise, Marianne Alopaeus, Cleve et Christer Kihlman —, la plupart angoissés, érotiques, sont moins attachés à la forme que leurs aînés, mais plus ouverts aux problèmes mondiaux, à ceux de la jeunesse. Ils prouvent la vitalité et l’évolution rapide de la littérature finlandaise, née, il y a moins de deux cents ans, des mythes du Kalevala et de l’attachement profond à la nature et au sol natal.

L. T.

 V. Vasenius et S. Pakarinen, la Littérature finlandaise (en finnois, Helsinki, 1878-1952 ; 7 vol.). / J.-L. Perret, Panorama de la littérature contemporaine de Finlande (Éd. du Sagittaire, 1936).