Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Fayṣal ibn ‘Abd al-‘Azīz (suite)

Fayṣal contribue à cette entreprise. Très jeune, il remplit diverses missions de pacification et mène une expédition dans l’‘Asīr. Révélant des qualités d’autorité et de diplomatie, il parvient très vite à s’imposer à l’entourage de son père. En 1930, celui-ci lui confie les Affaires étrangères de ce nouveau royaume. Après la Seconde Guerre mondiale, il le charge de représenter le pays à l’O. N. U. Cette dernière mission permet à Fayṣal de parfaire sa formation et d’acquérir une certaine notoriété sur la scène internationale.

En 1953, à la mort d’‘Abd al-‘Azīz ibn Sa‘ūd, il est donc mieux préparé au pouvoir que son frère aîné, Sa‘ūd (1902-1969), pourtant désigné par son père pour présider aux destinées de l’Arabie Saoudite. Respectant la volonté de son père, Fayṣal s’incline, en échange, il est vrai, de compensations substantielles. Le nouveau roi lui confère, outre le titre de prince héritier, ceux de commandant en chef des forces armées, de Premier ministre, de ministre des Affaires étrangères et de la Défense.

L’émir Fayṣal apparaît dès lors comme le véritable détenteur du pouvoir. Cependant, le roi Sa‘ūd ibn ‘Abd al-‘Azīz conserve la responsabilité des Finances du royaume ; c’est à lui que les compagnies de pétrole versent les redevances, qui représentent le plus clair du budget de l’État. Grâce à ces revenus, Sa‘ūd peut gagner l’appui des clans princiers, qui constituent la structure administrative du royaume, et affermir ainsi son autorité dans le pays. Toutefois, les privilèges exorbitants accordés à l’aristocratie saoudienne, ajoutés aux dépenses inconsidérées du roi, créent des difficultés économiques et suscitent des mécontentements parmi la population. Sa‘ūd se heurte à l’opposition de nouvelles forces sociales — prolétariat et bourgeoisie —, engendrées précisément par ce pétrole auquel il doit sa puissance. Ouvertes à l’étranger, ces deux classes sont perméables à certains courants idéologiques, comme le socialisme et le nationalisme. Le nassérisme, qui comporte des éléments de l’une et de l’autre de ces idéologies, trouve auprès d’elles d’assez larges échos. Aussi sont-elles exacerbées par la politique conservatrice, antinassérienne et pro-occidentale du roi Sa‘ūd. Au surplus, la bourgeoisie, dont le rôle économique est de plus en plus important, supporte mal la tutelle de la caste royale et celle des États-Unis, considérés de surcroît comme les ennemis du nationalisme arabe.

L’émir Fayṣal exploite cette situation pour renforcer sa position au sein du royaume. Afin de se rallier la bourgeoisie, il ne cache pas ses sympathies pour le régime nassérien, désapprouve publiquement les tendances proaméricaines de la politique de son frère et promet de ramener le pays, à l’instar de Nasser, dans le chemin du neutralisme.

En 1958, après la proclamation de la République arabe unie, le courant est assez puissant pour amener Sa‘ūd à céder tous les pouvoirs à son frère Fayṣal. Disposant désormais des revenus du pays, celui-ci devient alors le véritable maître du royaume.

Une fois au pouvoir, il n’engage pas, contrairement à ses promesses, le pays dans la voie du nassérisme et du neutralisme. Ces deux courants risquent en effet de compromettre l’avenir de la dynastie saoudite. L’émir Fayṣal s’écarte du nassérisme, qui risque fort de bouleverser les structures politiques du pays au profit d’une bourgeoisie férue de nationalisme. Il ne peut pas s’engager dans la voie du neutralisme sans rompre avec les États-Unis, dont les compagnies de pétrole assurent jusqu’à 90 p. 100 du budget du pays. Il maintient de bons rapports avec les Américains, auxquels il laisse le libre usage de la base de Dhahrān. Aussi les espoirs de la bourgeoisie sont-ils très vite déçus.

Pour remédier à une situation économique détériorée par les dépenses inconsidérées de son frère Sa‘ūd, rétablir l’équilibre de la balance des comptes et développer l’infrastructure du pays par la construction d’hôpitaux, d’écoles, d’aérodromes, de routes et de lignes télégraphiques, l’émir Fayṣal adopte une politique d’austérité. Il établit le contrôle des changes, le contingentement des importations, augmente l’impôt sur les revenus et dévalue le rial de 20 p. 100. Cette politique lui aliène, outre la caste royale, dont les revenus sont réduits, la bourgeoisie commerçante, qui n’hésite pas à exporter ses capitaux à l’étranger.

Le roi Sa‘ūd exploite à son tour la situation pour renvoyer Fayṣal et prendre la direction du gouvernement (22 déc. 1960). Désirant gagner la confiance de la bourgeoisie, il lui attribue cependant la majorité des portefeuilles dans le gouvernement. Il pense ainsi l’éloigner des courants nassériens, dont le danger devient plus grand depuis l’intervention de l’Égypte au Yémen pour aider les forces républicaines contre les monarchistes soutenus par l’Arabie Saoudite.

C’est précisément pour faire face à ce danger qu’il rappelle en octobre 1962 Fayṣal, avec lequel il accepte de partager le pouvoir. Très vite, l’émir Fayṣal prend des mesures énergiques pour assurer la défense du régime saoudien. Il rompt en novembre 1962 les relations diplomatiques avec l’Égypte et accentue l’aide dispensée aux royalistes du Yémen. Par ces décisions, il renforce son autorité et ne tarde pas à s’imposer de nouveau comme le véritable maître du royaume. Son frère Sa‘ūd lui abandonne en mars 1964 tous les pouvoirs pour se cantonner dans un rôle purement honorifique. Le 2 novembre suivant, Fayṣal met fin à cette fiction, dépose Sa‘ūd avec l’accord du Conseil législatif et du Conseil des ministres, et lui succède à la tête du royaume.

Le nouveau souverain ne modifie pas les options fondamentales du pays. Sur le plan extérieur, il renforce même ses liens avec les États-Unis et la Grande-Bretagne pour protéger son régime contre un éventuel danger nassérien. C’est également pour faire face aux courants socialistes et panarabes de Nasser qu’il entreprend de regrouper autour de sa personne les forces conservatrices de l’islām. Sa position de protecteur des villes saintes (La Mecque et Médine) lui procure une certaine notoriété dans le monde musulman. Il en profite pour relancer « le Pacte islamique », fondé en 1962 et qui groupe les adversaires du régime nassérien. Le but de cette entreprise est d’opposer au panarabisme, qui prend un caractère de plus en plus progressif et anti-impérialiste, une sorte de panislamisme destiné à consolider certains régimes conservateurs et à détourner les masses arabes des courants nassériens.