Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
F

fantaisie (suite)

 A. Pirro, les Clavecinistes (Laurens, 1924). / O. Deffner, Über die Entwicklung der Fantasie für Tasteninstrument bis J. P. Sweelinck (Kiel, 1928). / L. de la Laurencie, les Luthistes (Laurens, 1928). / E. H. Meyer, Die mehrstimmige Spielmusik des 17. Jahrhunderts in Nord- und Mitteleuropa (Kassel, 1934). / E. T. Ferand, Die Improvisation in der Musik (Zurich, 1938). / N. Dufourcq, la Musique d’orgue française (Floury, 1941).

fantastique (le)

C’est vers 1825, après l’éclatant succès des Contes d’Hoffmann, que le fantastique s’est constitué comme genre littéraire. Le mot devint alors une formule magique destinée à recouvrir les produits les plus divers.


Généralités

Après avoir signifié au xvie s. « visionnaire, nourri de chimères », il prit le sens particulier de « en rapport avec les revenants, les esprits et les démons ». Au xxe s., la notion s’élargit : elle ne s’applique pas seulement à ce qui vient de l’au-delà, à ce qui est surnaturel, mais à tout ce que contredisent l’expérience et les principes rationnels, à ce qui introduit un autre ordre, une autre dimension. Le fantastique a partie liée avec la difficulté d’être, l’angoisse, la peur devant l’inconnu. Ce sont moins les fantômes que nous redoutons maintenant que nos démons intérieurs. La littérature fantastique, en les mettant au grand jour, essaie de nous exorciser. Elle ne nous incite pas à fuir le réel, à nous réfugier dans des paradis artificiels et arbitraires, mais, après avoir dénombré et défini les monstres qui nous menacent, elle nous aide à surmonter notre peur. Elle proteste contre la situation faite à l’homme dans l’univers de la technique, qui exclut la passion, le risque et l’aventure et qui pourtant l’expose à des risques majeurs.

Les surréalistes ont considéré que la première réussite du roman fantastique était le Château d’Otrante (1764) d’Horace Walpole. « Apparition de l’objet comme héros, apparition de l’image concrète, totale. La poésie s’accommode de l’absence de conflits. Une négation supérieure. Tout est comparable à tout. Et, dans la cour du château, cet « enfant écrasé et presque enseveli sous un gigantesque heaume, cent fois plus grand qu’aucun casque jamais fait pour un être humain et couvert d’une quantité proportionnée de plumes noires », c’est déjà la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie » (Paul Eluard). On trouve aussi des éléments fantastiques dans Vathek (1782), de William Beckford (le palais souterrain d’Eblis où les damnés ont une poitrine de cristal au travers de laquelle se voit leur cœur brûlant dans les flammes), dans les romans noirs anglais, dans le Moine (1796), de Matthew Gregory Lewis, où le moine subit une terreur surnaturelle et un châtiment qui ne l’est pas moins, et surtout dans Melmoth (1820), de Charles Robert Maturin, où brillent l’horreur sacrée et le soleil noir de la poésie luciférienne.

Un bref roman, plus tempéré, le Diable amoureux (1772), de Jacques Cazotte, pose les principes du conte fantastique : réalité ou rêve ? vérité ou illusion ? Don Alvare vit avec un être féminin venant d’un autre monde. Il craint que ce ne soit en fait le diable ou l’un de ses suppôts. Mais comme on lui a enseigné que les démons, les vampires, les incubes n’existent pas, il faut donc que j’aie rêvé, se dit-il. Il se refuse à admettre l’inadmissible, que cautionnent pourtant les éléments réels qui constituent son histoire.

Le Manuscrit trouvé à Saragosse (1804-05) raconte une aventure semblable, à cela près que le démon femelle se dédouble — ce sont deux sœurs qui bernent don Alphonse — et que les péripéties actuelles ne font que répéter celles qui sont relatées dans une chronique ancienne, de sorte qu’un jeu de miroirs, renvoyant les images entre jadis et aujourd’hui, entre la réalité et la fiction, entre la supercherie et la vérité, entretient le lecteur dans un état de doute. L’auteur du Manuscrit, le comte Jan Potocki, lui laisse le choix de l’interprétation dernière ; il lui fait entendre pourtant que don Alphonse est la victime d’une puissance astrale.

Délaissant ces jeux et prenant franchement le parti du fantastique psychologique ou intérieur, Hoffmann*, explore avec méthode les terres encore inconnues au début du xixe s. Les nombreux artistes qu’il décrit dans son œuvre lui ressemblent et se ressemblent ; ils représentent l’homo fantasticus moderne, l’homme qui souffre à cause de sa condition et des lois de la société, qui souffre plus encore à cause de sa propre énigme et des contradictions qui le déchirent, de sorte que sa dualité innée menace sans cesse de devenir dédoublement, schizophrénie, folie. Hoffmann, éclairé par son ami le médecin D. F. Koreff sur le mesmérisme, la psychopathologie et les plus récentes découvertes du magnétisme animal, nous enseigne le moyen, sinon de guérir, du moins de composer avec le mal. En allant le plus loin possible dans la connaissance de soi, il apporte remède à ce qui nous divise et nous tourmente.

C’est pourquoi Charles Nodier, reniant le mouvement frénétique issu du roman noir anglais, a pu donner en 1830 le manifeste de la littérature fantastique, l’équivalent de la Défense et illustration pour la Pléiade. « L’apparition des fables recommence au moment où finit l’empire de ces vérités réelles ou convenues qui prête un reste d’âme au mécanisme usé de la civilisation. Voilà ce qui a rendu le fantastique si populaire en France depuis quelques années, et ce qui en fait la seule littérature essentielle de l’âge de décadence ou de transition où nous sommes parvenus » (« Du fantastique en littérature », Revue de Paris, nov. 1830).

Dix ans plus tard, à une époque où les diableries et les fantômes sont passés de mode mais où l’« espace du dedans » requiert avec force les poètes et les savants, George Sand déclare à propos des Aïeux de Mickiewicz* : « Le monde fantastique n’est pas en dehors, ni au-dessus, ni en dessous ; il est au fond de nous, il meut tout, il est l’âme de toute réalité, il habite dans tous les faits, chaque personnage le porte en soi et le manifeste à sa manière » (« Essai sur le drame fantastique », Revue des Deux Mondes, déc. 1839).