Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

allergie (suite)

Antigène, allergène et anticorps

Un antigène est une substance protéique (de gros poids moléculaire) capable, une fois introduite dans un organisme, d’y provoquer la formation d’anticorps. Plus précisément, un antigène dont le contact avec un anticorps détermine des phénomènes allergiques est appelé allergène. Cependant, Karl Landsteiner (1868-1943) a démontré en 1935 l’existence de substances non protéiques, de faible poids moléculaire, qui, fixées préalablement sur des protéines, peuvent déterminer la formation d’anticorps : on les nomme haptènes ou antigènes incomplets (l’aspirine par exemple). Un anticorps est une globuline plasmatique synthétisée dans l’organisme par des cellules spécialisées (les plasmocytes, les lymphocytes, les histiocytes) lorsqu’une substance étrangère — un antigène — y est introduite. Les anticorps allergiques sont classés selon leur mode d’apparition en deux catégories : d’une part, les anticorps spontanés, que l’on divise en anticorps naturels, normalement présents dans le sérum (et partie intégrante de l’hérédité, puisqu’ils définissent les différents groupes sanguins), et en anticorps réaginiques, ou réagines, développés chez les sujets allergiques, circulant et se fixant sur les organes ou les tissus ; d’autre part, les anticorps induits, représentés par les anticorps anaphylactiques, qui apparaissent à la suite d’injections d’antigènes puissants, et par les anticorps bloquants, qui circulent et sont capables de se lier avant les réagines aux antigènes introduits dans la circulation.


Les deux types d’allergie : allergie humorale et allergie tissulaire

Le conflit antigène-anticorps est le fondement de toutes les réactions allergiques. Cliniquement, celles-ci s’expriment de façon différente selon la nature des anticorps suscités. Lorsque les anticorps peuvent à la fois être circulants et se fixer sur un organe, la réaction se développe rapidement en une quinzaine de minutes. Il s’agit d’une hypersensibilité de type immédiat, telle que la réalisent l’anaphylaxie expérimentale, le phénomène d’Arthus et un certain nombre d’affections, dont l’asthme, les pollinoses, l’urticaire, l’œdème de Quincke, l’eczéma diathésique. La synthèse des anticorps y est réalisée par les plasmocytes. Les antigènes en cause, y compris les haptènes, sont nombreux, et leurs modes d’introduction dans l’organisme variés. Dans ces cas, on parle d’allergie humorale : le facteur héréditaire semble évident, et la transmission passive à un sujet sain à partir du sérum d’un sujet sensibilisé est possible.

À l’opposé, lorsque les anticorps sont uniquement fixés sur un organe ou sur un tissu, il s’agit d’hypersensibilité dite « retardée », qui comprend sur le plan clinique les allergies bactériennes, fongiques, parasitaires et virales, le rejet des homogreffes, les dermites de contact. Sur le plan expérimental, l’allergie tuberculinique décrite par Koch en 1891 en constitue le type. Les lymphocytes sont ici les pourvoyeurs d’anticorps. La transmission passive, impossible à partir du sérum, peut être réalisée par l’injection de lymphocytes. Telle se présente l’allergie tissulaire.

En réalité, ces deux types d’allergie constituent deux modalités d’un même processus biologique. Les recherches de Medawar et Gowans ont, dans ce sens, contribué à développer l’idée de mémoire biologique des cellules immunologiquement compétentes. La cellule réticulaire primitive des organes lymphoïdes, souche des lymphocytes et des plasmocytes, transmet à ceux-ci, par l’intermédiaire de l’acide ribonucléique « messager », le moule des structures antigéniques de l’organisme, dont elle détient le code (v. nucléique). Informés de cette spécificité immunologique, lymphocytes et plasmocytes sont aptes, durant la vie entière de l’individu, à déceler ce qui est propre à celui-ci de ce qui ne l’est pas.


Facteurs intervenant dans l’allergie

On sait, depuis les travaux d’Henry Dale (1911), que la réaction antigène-anticorps s’accompagne d’une libération d’histamine. Constituant normal des tissus, celle-ci se trouve dans les cellules basophiles et principalement dans les mastocytes (cellules du tissu conjonctif à grosses granulations). Ainsi, il existe pour les tissus un parallélisme entre leur teneur en histamine et la quantité de mastocytes qu’ils contiennent. L’histamine est active à dose très faible : une injection intradermique d’un millième de milligramme suffit à déterminer la triade de Lewis, constituée par un gonflement, une rougeur et du prurit. Mais elle ne passe qu’en quantité très faible dans la circulation, sa libération massive s’accompagnant de manifestations cliniques proches du choc anaphylactique et entraînant une augmentation du nombre des éosinophiles sanguins. Ceux-ci, à leur tour, neutralisent cette histamine libérée et se comportent donc véritablement comme des antihistaminiques* naturels. Néanmoins, l’histamine n’apparaît pas comme le seul médiateur chimique des réactions allergiques. À la lumière de travaux plus récents sont apparues de nouvelles données mettant en évidence le rôle d’autres substances telles que la 5-hydroxytryptamine, ou sérotonine, la bradykynine et l’héparine.

Le rôle du système nerveux végétatif n’est, sans doute, pas négligeable, particulièrement en matière d’allergie infectieuse. Il a été fortement pressenti à la suite des expériences de Sanarelli et Schwartzmann. Ces auteurs décrivirent chez l’animal les effets vasculaires, sous forme d’hémorragies intenses avec congestion des viscères abdominaux, d’une injection intradermique ou intraveineuse de filtrat microbien renouvelée à vingt-quatre heures d’intervalle.

D’autres facteurs ont encore été incriminés à divers titres. Très tôt, les facteurs psychiques ont été soulignés. Cette influence psychosomatique irait de pair avec le caractère nettement individuel des troubles allergiques et avec le fait que la fréquence des maladies allergiques, comme celle des troubles psychiques, semble augmenter parallèlement au développement économique d’une population. De même, le rôle de l’hérédité reste débattu. En ce qui concerne l’asthme, l’eczéma constitutionnel, le rhume des foins et certaines migraines, il paraît indéniable.

Les hormones peuvent aussi, dans une certaine mesure, jouer un rôle. Celui-ci, discutable lors de la puberté ou de la grossesse, est réel après la ménopause ou au moment des menstruations. Quant à l’action dévolue au foie ou à l’intestin dans le développement de certains phénomènes allergiques, elle semble bien être plus un mythe qu’une réalité.

On voit ainsi que la diversité des mécanismes physiopathogéniques successivement envisagés interdit de formuler une explication unique et satisfaisante du phénomène de l’allergie. Celui-ci dépend certainement de plusieurs facteurs, mais pour aucun d’entre eux il n’est possible d’établir une relation de cause à effet univoque.