Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

exposition (suite)

L’exposition, fille de l’Académie

Le collectionneur aime souvent montrer ses trésors, mais l’artiste a toujours éprouvé le besoin de soumettre sa création au jugement du public. Les artistes grecs exposaient leurs œuvres à la Pinacothèque d’Athènes, ceux de la Renaissance italienne sur la place de la Seigneurie à Florence. C’est en France, au xviie s., que l’exposition artistique prit l’allure d’une manifestation officielle et organisée. En 1667, Louis XIV ordonna que les travaux des académiciens soient exposés. Ils le furent au Palais-Royal, puis au Louvre, d’abord dans la Grande Galerie (1699), ensuite dans le salon Carré (1725) : d’où l’appellation de Salon. Il s’agissait autant d’imposer une esthétique, on s’en doute, que de faire connaître les œuvres des membres de l’Académie*.

À partir de 1673, un livret explicatif fut composé pour chaque exposition. Son insignifiance ne cessa qu’avec les commentaires de Diderot*. Les Salons de l’Académie, malgré leur présentation fort peu soignée, attiraient dès le xviiie s. une foule telle que les grands seigneurs s’y faisaient conduire les jours de fermeture. Au xixe s., les Salons, annuels ou bisannuels, furent toujours très suivis. De l’avis de Baudelaire*, qui en renouvela le genre, les commentaires étaient d’un faible niveau, l’exemple de Diderot n’ayant pas été imité longtemps. Chez l’auteur des Curiosités esthétiques apparaît le souci réel d’informer un nouveau public, la récente bourgeoisie venue au Salon par curiosité, snobisme ou instinct grégaire.

L’élargissement numérique du public des arts s’accentua avec le début des expositions universelles, dont la première eut lieu à Londres en 1851. Dressant l’inventaire des matériaux d’une civilisation, il était normal qu’elles fassent place à l’activité artistique. Outre la peinture de l’époque, elles firent connaître — et font encore connaître de nos jours — le renouvellement des techniques architecturales : c’est ainsi que furent construits des édifices-manifestes dont le plus illustre est la tour Eiffel.


Exposition-manifeste et exposition scientifique

Dans le domaine pictural, la solidarité des cercles officiels avec les formules les plus usées de l’académisme*, qui remportaient le maximum de récompenses aux Salons annuels, rejeta pour un temps les créateurs de formes nouvelles. Ce fut l’origine du Salon des refusés (1863) : l’étroitesse du choix du jury d’admission du Salon avait suscité une réaction du public, et l’on exposa en bloc les toiles refusées. Parmi elles, le Déjeuner sur l’herbe de Manet* déchaîna l’indignation des censeurs. Le scandale recommença avec la première exposition impressionniste* (1874) ; il ne se calma qu’avec l’entrée au Salon de Renoir* et de Monet*, en 1879 et 1880. Le Salon officiel faisait donc figure d’arrière-garde. Bien que l’État en ait, en 1881, abandonné l’organisation à la Société des artistes français, les néo-impressionnistes* n’y furent pas mieux reçus que leurs devanciers. On refusa Une baignade à Asnières, que Seurat* exposa au Salon des indépendants, dont il était lui-même un des fondateurs (1884). C’est par une exposition du Salon d’automne, fondé en 1903, que le public parisien connut Cézanne* et que se révéla le fauvisme*. Le Salon résultant d’initiatives privées, ne conférant ni prix ni médailles, apparaît alors comme le lieu d’expression des tendances qui révolutionnent la peinture occidentale.

Avec l’exposition qui choque naît le marchand moderne. Celui-ci, exposant systématiquement les œuvres de « ses » artistes, prolongeant son effort publicitaire par des publications, offre la compréhension, dans le meilleur des cas, ou au moins le goût du risque, que se refusait à assumer l’institution académique. Exposer des artistes inconnus ou débutants constitue un acte de foi, mais aussi un pari sur l’avenir : c’est le moyen de constituer des stocks à bon marché. Paul Durand-Ruel (1831-1922), puis Ambroise Vollard (1868-1939) et Daniel Henry Kahnweiler (né en 1884) s’inscrivent dans cette lignée. Leur influence sur l’orientation du goût fut déterminante. Durand-Ruel, exposant les toiles impressionnistes à New York, y conquit la sympathie aux tendances nouvelles, en même temps qu’un fructueux marché. Dans la voie ainsi ouverte se situe l’Armory Show (New York, Boston, Chicago, 1913), panorama de la création européenne confrontée à l’art américain, qui y gagna un élan nouveau. Chaque pays a maintenant ses expositions nationales périodiques, les unes traditionalistes, les autres orientées vers la recherche (voir l’éventail des Salons parisiens). Parmi les grandes confrontations internationales, la biennale de Venise est la plus ancienne (1895), Documenta de Kassel la plus « avant-gardiste ». Au Japon, après la Seconde Guerre mondiale, c’est l’initiative des grands journaux qui fit connaître les nouvelles tendances de l’art européen, puis de l’art américain. Le journal Mainichi fut à l’origine de l’Exposition annuelle d’art contemporain (dès 1947) et de la première biennale de Tōkyō (1952).

Dans les vingt dernières années du xixe s. naquit l’exposition de type scientifique. L’histoire de l’art, dont le développement était alors récent, en France particulièrement, trouvait dans l’exposition son outil de travail scientifique, permettant l’irremplaçable contact avec l’œuvre. Préparées par des spécialistes, conservateurs de musées, de bibliothèques, professeurs, critiques d’art, ces expositions prétendent faire le point de ce que l’on sait sur un groupe d’œuvres, un style, une période. Cet état des questions est consigné dans le catalogue, qui prend les proportions d’une étude historique et critique. Parmi les plus notoires de ces premières expositions, on peut citer celle des primitifs flamands (Bruges, 1902) et celle des primitifs français (Paris, 1904). L’honnêteté scientifique n’excluant pas toujours la sensibilité nationaliste, la seconde, qui faisait reculer d’une bonne centaine d’années l’existence d’une école française, prenait l’allure d’une véritable revanche de l’orgueil national humilié : le coq gaulois décorait la couverture du catalogue.