Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

examen (suite)

Examens et sociétés

Si toutes les sociétés connaissent donc des processus de sélection et de validation, dans les sociétés faiblement hiérarchisées validation et sélection n’entraient jamais en contradiction : le besoin en guerriers ou en agriculteurs, suivant la forme principale de survie économique, était illimité en même temps que très simplement définissable. Il n’en est pas de même lorsque l’on passe dans une société historique, où les besoins dépendants de l’état technologique du milieu culturel sont beaucoup plus difficiles à qualifier et à quantifier. Pourtant, en Grèce ou à Rome, au lycée ou à l’académie comme dans les écoles de rhéteurs, les connaissances souhaitées étaient suffisamment générales pour ne pas exiger une validation définie scientifiquement et la couche sociale visée, l’élite, était suffisamment réduite pour qu’une sélection par l’école ne soit pas nécessaire.

C’est avec les villes, au cours du haut Moyen Âge, que se consacre la rupture entre travail manuel et travail intellectuel, et que l’école apparaît comme le lieu où se réalise cette rupture. À cette époque, cependant, l’examen n’est pas le privilège de l’école, mais celui de la corporation. La hiérarchie des compétences double la hiérarchie des propriétés : le seigneur possède la force physique (troupes, armures, armes, etc.), tandis que l’artisan possède son outil ou des outils qu’il prête ; mais, en plus, il est reconnu au maître artisan, à celui qui, en général, possède le plus d’outils (ou les outils les plus efficaces), une qualification supérieure pour utiliser ou faire utiliser ces instruments de production. Du même coup, le maître, protégeant sa position sociale, instaure l’examen du « chef-d’œuvre ». L’examen apparaît ainsi dès l’aube de la civilisation industrielle, liée à la notion de propriété dans ses fondements objectifs, car la position sociale du maître n’est pas une donnée brute, dépendant d’une capacité innée de l’individu ; elle est fonction de la rareté de cette compétence sur le marché : à la limite, moins les maîtres seront nombreux, plus ils seront estimés et nécessaires. L’équilibre au sein de cette économie de marché naissante se fait par un processus de sélection, mécanisme régulateur qui assure la rareté, facilite l’action sur la production de cette rareté (s’il y a trop grande pénurie, on diminue le niveau, et inversement s’il y a abondance) et assure aux familles propriétaires des moyens de production des avantages inestimables ; le fils du maître artisan des villes a infiniment plus de chances statistiques de réussite dans la carrière industrielle que le vagabond venant des campagnes. Enfin, la sélection publique (même si elle est le monopole de quelques-uns), faite selon des critères connus et reconnus de tous (mais imposés par quelques-uns), ouverte à tous (de fait, possible seulement pour quelques-uns), justifie l’existence même des maîtres et des apprentis, et fait apparaître comme une différence innée entre les hommes ce qui est en fait une différence sociale.

Les premiers examens universitaires ont donc calqué leur modèle sur celui des corporations, l’université étant elle-même une corporation. Pourtant, cette corporation formait des travailleurs qui ne produiraient directement jamais et se voueraient aux choses de l’esprit : un système spécial d’examens était donc à inventer. Ce fut l’affaire des clercs, qui donnèrent au curriculum universitaire une organisation identique à celle des artisans, mais inverse dans ses procédés : l’université formait des bacheliers, des maîtres et des docteurs, mais leur demandait comme rite de passage la production d’un objet immatériel, le discours sur un texte et non le texte lui-même. La disputatio, aboutissement normal de la lectio, analyse de texte, et de la quaestio, commentaire magistral, était un chef-d’œuvre verbal dont la perfection logique et la « beauté » de la construction immatérielle étaient les preuves de la qualité du candidat.

À cette époque, pourtant, le secteur tertiaire jouait un rôle trop peu important pour exiger une régulation précise de la fourniture de travailleurs intellectuels. Avec la Renaissance et l’établissement définitif et solide de la distinction entre travail manuel et intellectuel, les enseignants les plus en vogue, les Jésuites, obligèrent les élèves à faire un acte manuel : ils introduisirent les examens écrits dans leurs collèges vers le milieu du xvie s. Bien évidemment, l’élévation des thèmes de dissertation compensait ce que pouvait avoir de « primaire » l’exposition à la main, et c’est pour favoriser l’aemulatio, la compétition entre leurs élèves, que cette méthode commença à être utilisée en même temps que les distinctions honorifiques par les « prix » et la sélection des meilleurs « essais ».

L’héritage culturel

Le concept d’héritage culturel a acquis le statut scientifique grâce aux sociologues P. Bourdieu et J.-C. Passeron. Dans leur livre les Héritiers. Les étudiants et la culture (1965), ceux-ci démontrent comment le milieu culturel familial joue un rôle très important dans la réussite scolaire du jeune garçon. En effet, le langage « éduqué » des parents (étudié par le socio-linguiste anglais Basil Bernstein), la familiarité avec les œuvres culturelles, la motivation à l’accession à la culture « noble » donnent au jeune bourgeois le « code », en même temps que la volonté, de déchiffrer le « message » du professeur personnifiant la culture. Pour ces deux sociologues, le cycle se ferme ainsi par l’école, qui est une « reproduction » idéologique et culturelle — théorie exposée dans un autre de leurs ouvrages : la Reproduction. Éléments pour une théorie du système d’enseignement (1970).

Cooling-out function

Le rôle du conseiller (professeur ou psychologue) qui exerce cette cooling-out function (fonction de refroidissement) aux États-Unis est officiellement défini comme celui « d’assister les étudiants pour leur permettre dévaluer leurs capacités, intérêts et aptitudes ; de leur faciliter les choix professionnels à la lumière de cette évaluation ; d’améliorer ces choix en leur traçant des plans de formation » (dans American Journal of Sociology, LXV, mai 1960, par B. R. Clark).