Evtouchenko (Ievgueni Aleksandrovitch) (suite)
Poète doué d’une très grande facilité, Evtouchenko n’innove guère, sinon en matière de rimes ; mais il applique avec virtuosité les leçons de la poésie russe moderne, dont il a assimilé les rythmes libérés, les recherches d’expressivité sonore et les structures associatives. Il excelle dans l’évocation concrète de scènes et de détails réalistes qui s’insèrent en général dans un ample mouvement oratoire, parfois élargi en suites narratives (Stantsia Zima [la Station Zima], 1956) ou en cycles épiques (Bratskaïa GES [la Centrale hydro-électrique de Bratsk], 1965). À l’exemple de Maïakovski, son principal modèle, il prend ses sujets dans l’actualité et place son propre personnage au centre de son œuvre, faisant ainsi de la poésie lyrique une forme d’engagement politique et de ce dernier une question de morale personnelle.
Cette attitude, jointe à un tempérament de lutteur et de tribun ainsi qu’à une remarquable sensibilité aux courants profonds de l’opinion, fait de lui, à partir de 1955-56, le héraut (et le héros) d’une génération « critique », éveillée de son sommeil dogmatique par la « déstalinisation » et qui, faute d’une presse d’opinion, cherche dans la poésie l’expression de ses aspirations. Ses vers, d’abord récités devant de vastes auditoires (notamment au cours des « journées » annuelles de la poésie, à partir de 1955), dénoncent au nom de l’idéal révolutionnaire l’hypocrisie des bureaucrates qui s’en réclament. Il n’hésite pas à y soulever les questions brûlantes qui divisent l’opinion : celle des survivances du stalinisme (Nasledniki Stalina [les Héritiers de Staline], 1963), celle de l’antisémitisme (Babi Iar, 1961). Il ose faire état de ces dissensions dans une Autobiographie précoce (1963), publiée en français et destinée au public occidental, aux yeux duquel il passe pour l’un des leaders du mouvement « libéral », ce qui lui vaudra de sévères réprimandes des autorités officielles, réprimandes suivies d’une autocritique. Ses nombreux voyages à l’étranger (notamment aux États-Unis, à Cuba, en France, en Italie, en Espagne, au Moyen-Orient) lui inspirent des poèmes « internationalistes », tandis que la note patriotique se fait plus insistante dans les œuvres récentes, inspirées par des séjours dans le nord de la Russie (recueil Kater sviazi [la Vedette de liaison], 1966) ou par des réflexions sur l’histoire de son pays (cycles Bratskaïa GES [la Centrale hydro-électrique de Bratsk] et Kazanski Ouniversitet [l’Université de Kazan], 1970).
M. A.