Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

évolution biologique (suite)

Pour l’Américain G. G. Simpson, qui en est un des meilleurs représentants, la vie apparaît comme un mélange de dirigé et de non-dirigé, de systématique et de non-systématique. L’adaptation représente le facteur orientant de l’évolution : le mécanisme de l’adaptation réside dans la sélection naturelle agissant sur la structure génétique des populations. Une interréaction s’établit entre la constitution génétique, qui règle les mécanismes du développement, et la sélection naturelle, qui sert de guide. Les mutations donnent les possibilités, la sélection détermine le chemin.

Les transformations évolutives sont intimement liées aux nouvelles combinaisons génétiques nées des croisements, à la nature et au taux des mutations, à la sélection naturelle, qui, selon les conditions, sera équilibrante, diversifiante ou directionnelle. Cette sélection naturelle diffère totalement de celle qui fut proposée par Darwin, qui reposait sur une mort différenciatrice éliminant le moins apte. Le rôle moteur de la sélection ne se borne plus « à une canalisation dans un sens restrictif, mais il est également créateur en faisant naître une progression dans un sens défini ».

Les dimensions des populations représentent un facteur important ; la sélection agissant sur une petite population isolée détermine une « évolution quantique », ou passage rapide d’une population en déséquilibre vers un équilibre différent de celui de l’état antérieur. Pendant la durée de l’équilibre instable, trois solutions sont alors possibles : demeurer à l’état antérieur, disparaître ou réaliser un nouvel équilibre. Ce dernier cas correspond à l’évolution quantique, qui se déroulera en trois phases : une phase inadaptative, au cours de laquelle le groupe perd son équilibre ; une phase préadaptative, caractérisée par une intense pression de sélection qui dirige le groupe vers un nouvel équilibre ; une phase adaptative, au cours de laquelle le nouvel équilibre est atteint. Simpson reprend l’exemple de l’évolution des Équidés. À l’Éocène, les ancêtres des Chevaux, mangeurs de feuilles, vivaient dans la forêt ; l’acquisition de nombreux caractères nouveaux les préadaptait à un changement de régime (brouter l’herbe) et de milieu (savane herbeuse). Favorisées par la pression de sélection, ces préadaptations deviennent des postadaptations, et l’organisme tout entier subit les transformations liées au nouveau régime.

Cette évolution quantique expliquerait la genèse des unités taxinomiques de rang élevé et même des clades.


Critiques de la théorie synthétique

Cette théorie originale repose sur des faits solides. Il est évident que mutations, génétique des populations, sélection jouent un rôle important. Mais on ignore toujours la valeur évolutive des mutations, qui sont héréditaires, mais fortuites et non adaptatives.

L’étude de la structure génétique des populations, en plein essor, apporte des précisions sur la spéciation, et partant sur la compréhension de l’évolution infraspécifique et spécifique. Mais est-il raisonnable de vouloir étendre les mécanismes responsables de ces deux évolutions à l’évolution transspécifique, c’est-à-dire à la genèse des unités taxinomiques de rang élevé ?

La conception de la sélection s’est améliorée : la sélection dans ses diverses formes — conservatrice, équilibrante, diversifiante, directionnelle — apparaît maintenant comme un processus consistant à maintenir les espèces en harmonie avec les conditions du milieu. Pour certains, l’évolution correspond à un système cybernétique comprenant des séries de rétrocontrôles entre l’organisme et le milieu ; chaque changement est conditionné par les changements précédents, qui eux-mêmes conditionnent les changements postérieurs. L’évolution se réaliserait par « tâtonnement ».

Mais comment expliquer la genèse des coaptations, des outils formés par l’ajustement réciproque de deux parties indépendantes se développant sans aucun contact, sans aucun moulage ? Comment des mutations complémentaires ont-elles pu apparaître et se coordonner afin d’édifier un dispositif aussi précis que l’appareil d’accrochage des ailes d’Abeilles ? Les organes complexes à structures coordonnées (œil, oreille, cerveau) posent des problèmes analogues. Darwin écrivait (1860) que « le problème de l’œil lui donnait la fièvre » ; beaucoup de biologistes modernes éprouvent la même difficulté. Au contraire, Simpson et les partisans de la théorie synthétique estiment que tous les problèmes sont résolus, ce qui est manifestement contraire aux faits.

Entrevoit-on de nouvelles hypothèses explicatives dans l’avenir ? Des recherches récentes, portant tout particulièrement sur les teneurs en A. D. N. et la caryologie comparée, apportent des résultats non négligeables. Ainsi, Susumu Ohno (1970) estime que la duplication génique représente un mécanisme essentiel de l’évolution et permet de comprendre le rôle de la sélection naturelle. Tant qu’une fonction vitale dépend d’un gène unique dans le génome, la sélection naturelle interdit toute mutation capable d’affecter les sites actifs de la molécule (sélection naturelle conservatrice) ; seules sont tolérées des mutations modifiant de petits caractères secondaires ; mais la fonction essentielle demeure intacte. Des mutations alléliques peuvent entraîner des différenciations intraspécifiques ou même des « radiations » adaptatives, mais jamais des transformations évolutives profondes, car elles exigent de nouveaux gènes dotés de fonctions nouvelles.

Un gène pourra réellement devenir nouveau par accumulation de mutations, jusqu’alors interdites, affectant les sites actifs. La duplication génique — en créant une ou plusieurs copies redondantes d’un gène, qui paraissent ignorées de la sélection — permet d’échapper aux pressions sélectives ; ainsi s’accumulent des mutations interdites et ainsi se forment un ou plusieurs gènes nouveaux exerçant de nouvelles fonctions. La duplication intéresse les gènes de structure, de régulation ou les deux à la fois.

La duplication génique s’effectue principalement sous la forme d’une duplication « en tandem », affectant des portions du génome, et par la polyploïdie, portant sur la totalité du génome.

Ces mécanismes, encore hypothétiques, créateurs de gènes nouveaux seront-ils capables d’expliquer la typogenèse ? Bien des recherches sont encore indispensables pour apporter une authentique solution à la typogenèse en particulier et au problème de l’évolution en général.

A. T.