Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

évolution biologique (suite)

Les preuves embryologiques

L’ontogenèse de nombreux êtres ne s’explique que dans une perspective évolutionniste. Depuis longtemps, on a constaté que les étapes embryonnaires des organes d’un individu présentent des ressemblances avec les mêmes organes dans d’autres groupes. Le cœur du fœtus humain est un tube courbé, divisé en trois parties, oreillette, ventricule et bulbe. Ce dispositif simple correspond au cœur du Poisson. Le développement de tous les Vertébrés comporte un stade où subsiste la corde dorsale de l’Amphioxus et des Agnathes ; sa présence assure le développement ultérieur de la colonne vertébrale. Des fentes branchiales analogues à celles des Poissons existent chez tous les embryons d’Amniotes. Les arcs branchiaux présents chez tous les embryons de Vertébrés ne sont fonctionnels à l’état adulte que chez les Agnathes et les Poissons ; chez les autres Vertébrés, ils participent à l’édification de l’appareil respiratoire, d’organes lymphoïdes et de la région cervicale. La Comatule, Crinoïde libre de nos côtes, possède une larve pédonculée rappelant l’adulte des autres types de Crinoïdes.

Toutes ces répétitions sont compatibles avec une origine commune des organismes qui, au cours de leur ontogenèse, possèdent les mêmes organes et passent par les mêmes stades. Une phrase lapidaire d’Ernst Haeckel (1886) exprime ce fait : « L’ontogénie est une courte récapitulation de la phylogénie » ; elle est devenue la loi biogénétique fondamentale. Cette loi permet d’expliquer les organes transitoires des embryons. Les ébauches dentaires chez le fœtus de Baleine témoignent de l’état cétodonte des ancêtres de la Baleine, qui ne possède que des fanons cornés. La coquille transitoire des Mollusques nudibranches, présente au cours du développement, rappelle qu’ils descendent de Gastropodes dotés de coquille. Le développement des Tuniciers, longtemps considérés comme des Mollusques, a montré leurs affinités avec les Vertébrés.

À l’enthousiasme suscité par la loi biogénétique ont succédé quelques réticences ; en effet, la loi s’applique aux organes en particulier et non à l’organisme entier. Les fentes branchiales, la notocorde, le cœur de l’embryon humain rappellent les mêmes organes d’un embryon de Poisson ; mais, à aucun moment, l’embryon humain ne possède l’organisation d’un Poisson adulte. Chaque organe a sa propre vitesse d’évolution, c’est la loi d’hétérochronie.

À la suite de ces remarques, on préfère, à la loi biogénétique, les lois de von Baer (1828), qui paraissent plus exactes : a) au cours du développement embryonnaire, les caractères généraux apparaissent plus tôt que les caractères particuliers ; ainsi un Chien est d’abord un Vertébré, puis un Mammifère et ensuite un Carnivore ; b) les structures les moins générales dérivent de plus générales et ainsi de suite jusqu’à la réalisation des caractères particuliers ; c) l’embryon d’un animal donné demeure toujours distinct de l’embryon des autres formes ; d) l’embryon d’un animal supérieur ne ressemble jamais à l’adulte d’une espèce inférieure, mais seulement à son embryon.

Haeckel avait d’ailleurs noté les différences entre les structures ayant une valeur phylétique et celles qui en sont dépourvues ; il avait distingué les caractères palingénétiques, qui sont des caractères ancestraux, et les caractères cœnogénétiques, caractères nouveaux qui apparaissent secondairement et s’ajoutent aux premiers. Ces caractères nouveaux peuvent être liés à des conditions particulières de vie. Des larves (pluteus d’Échinodermes, nauplius de Crustacés, trochophore des Annélides) représentent des adaptations cœnogénétiques à la vie pélagique favorisant la dissémination de l’espèce.

La persistance de caractères ancestraux donne un moyen de préciser la position taxinomique des groupes difficiles à classer. Ainsi, les Rhizocéphales (Sacculine, Peltogaster), parasites de Crustacés décapodes, sont identifiables uniquement par leur stade larvaire, qui révèle que ce sont des Crustacés ayant des affinités avec les Cirripèdes. Les ressemblances de développement embryonnaire indiquent des affinités entre classes différentes ; les débuts du développement des Annélides et des Mollusques se ressemblent trop pour ne pas témoigner d’une origine commune. L’Amphioxus est un Procordé intermédiaire entre les Invertébrés et les Vertébrés ; il possède encore des caractères d’Invertébrés (épiderme à une seule couche de cellules, sang incolore, néphridie à solénocytes), mais son embryogenèse est du type Vertébré.


Les preuves anatomiques

L’anatomie comparée, étudiant spécialement les homologies, donne des arguments intéressants. Les organes homologues, différant morphologiquement et physiologiquement, présentent une origine commune et montrent avec les organes voisins des connexions témoignant de leur homologie. La vessie natatoire et le poumon sont des organes homologues ; ils proviennent d’une évagination du tube digestif antérieur. La vessie natatoire des Poissons Dipneustes se complique ; elle se plisse et forme des alvéoles, et ainsi se réalise la structure du poumon. Chez le Protoptère, à la morphologie s’adjoint la physiologie, et la vessie est devenue un poumon fonctionnel. Les homologies entre certains os reptiliens et les osselets de l’oreille moyenne des Mammifères sont bien connues. Le crâne des Mammifères est toujours construit sur le même plan et les homologies se retrouvent au cours des diverses modifications évolutives. Ainsi l’orifice pinéal s’ouvre toujours entre les deux pariétaux. Cette position fixe permet de retrouver les homologies des os du crâne chez les Crossoptérygiens aquatiques et leurs descendants terrestres, les Stégocéphales. Les membres antérieurs et postérieurs des divers Mammifères présentent des os homologues ; ils sont construits sur le même plan. Les organes péribuccaux des Insectes sont homologues et comprennent trois paires d’appendices, ayant des aspects fort différents selon le régime de l’Insecte.