Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Europe (suite)

• La mise en place des communautés européennes est plus longue ; c’est Robert Schuman qui donne le coup d’envoi en affirmant, le 9 mai 1950, la nécessité de « premières assises concrètes d’une fédération européenne, indispensable à la préservation de la paix [pour] éliminer l’opposition séculaire de la France et de l’Allemagne [et préparer] une communauté économique » regroupant en particulier les deux secteurs essentiels de la reconstruction d’après guerre, le charbon et l’acier. Le « père de l’Europe » est persuadé que « l’Europe ne se fera pas d’un coup ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité ».

Avant que ce projet, préparé en fait en quelques mois par Jean Monnet, cet autre fondateur de l’Europe, n’aboutisse à la signature du traité de Paris, le 18 avril 1951, la guerre de Corée a éclaté (25 juin 1950) ; les pays européens ébauchent des projets d’armée européenne, dans le cadre desquels se pose (une nouvelle fois !) le problème du réarmement allemand. Le 27 mai 1952 est signé un projet de traité pour une Communauté européenne de défense (C. E. D.). Mais, en 1953, l’armistice de P’an-mun-jǒm est signé et, le 21 juillet 1954, le sont les accords de Genève mettant fin à l’engagement français en Indochine et reléguant les problèmes militaires à l’arrière-plan. Par ailleurs, il paraît singulier de vouloir une armée commune sans politique commune ; enfin, à la surprise générale d’ailleurs, le Parlement français refuse de ratifier le traité de la C. E. D., par un vote sur une question préalable le 30 août 1954.

Pendant ce temps, plus silencieusement, la communauté charbon-acier fait école, et, en 1955, une nouvelle impulsion est donnée au mouvement communautaire à Messine, où les ministres des Six sont réunis ; Jean Monnet, pour sa part, fonde le « Comité d’action pour les États unis d’Europe ». Le 25 mars 1957 sont signés à Rome deux traités, l’un spécifique et constitutif de l’Euratom, l’autre plus général instituant la Communauté économique européenne (Marché commun). La Grande-Bretagne, invitée aux réunions, ayant cessé assez rapidement d’y envoyer un observateur, cherche de son côté à établir une grande zone de libre-échange dont pourrait faire partie la C. E. E. ; mais elle rompt, le 16 novembre 1958, les négociations avec la C. E. E., pour proposer ensuite l’automaticité de l’extension des mesures douanières de la C. E. E. Devant l’opposition de la France, particulièrement vive, sept pays de l’O. E. C. E. signent, le 4 janvier 1960, la convention constitutive de l’Association européenne de libre-échange (A. E. L. E.). Après de nombreuses difficultés, l’entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun en 1973 devrait clore normalement cette longue « rivalité ».

• Les organismes de coopération technique furent les derniers à être mis sur pied, mis à part le Cern (Organisation européenne pour la recherche nucléaire), fondé par l’Unesco dès 1952 et qui s’occupe exclusivement de recherche fondamentale en matière atomique. L’Agence européenne pour l’énergie nucléaire, émanation de l’O. E. C. E., date de décembre 1957 et se consacre aux réacteurs nucléaires, tandis que le C. E. R. S. et le C. E. C. L. E. S. (Organisation européenne de recherche spatiale et Commission européenne pour la mise au point et la construction de lanceurs d’engins spatiaux) travaillent en étroite collaboration depuis 1964. Deux autres organisations réunissant les ministres spécialisés des pays membres à intervalles réguliers méritent une place particulière : l’Organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne (ou Eurocontrol, 1960) et la Conférence européenne des ministres des Transports, fondée dès 1953.

Tous ces organismes ont évolué depuis leur création. La plupart ont éprouvé la nécessité d’un remaniement, certains ont même changé de nom : l’O. E. C. E. devient en 1961 l’O. C. D. E. (Organisation de coopération et de développement économiques), et l’U. O. devient l’U. E. O. (Union de l’Europe occidentale) en 1954. Les trois Communautés européennes (C. E. C. A., Euratom, Marché commun), pour leur part, ont fondu en 1967 leurs exécutifs en un seul Conseil des ministres et une seule Commission. Toutes se sont élargies en accueillant d’autres membres, soit par adhésion ou par association, soit en sécrétant d’autres organisations qui, pour des commodités juridiques, sont dépendantes d’elles. La C. E. E. et l’A. E. L. E. ont été secouées à plusieurs reprises par des crises assez graves, et les problèmes monétaires affectent chacun. Enfin, certains organismes n’ont dû leur importance et parfois même leur existence qu’à la présence en leur sein de la Grande-Bretagne parmi les autres États européens. L’entrée de celle-ci — accompagnée de l’Irlande, de la Norvège et du Danemark — dans le Marché commun marque un tournant capital dans l’histoire des institutions européennes.

Les deux « pères de l’Europe »

Robert Schuman

Le 9 mai 1950, à 18 heures, au salon de l’Horloge du Quai d’Orsay, devant 150 journalistes, Robert Schuman*, ministre français des Affaires étrangères, lance inopinément le fameux appel proposant la création d’un pool charbon-acier :
« ... Le gouvernement français propose de placer l’ensemble de la production franco-allemande de charbon et d’acier sous une Haute Autorité commune, dans une organisation ouverte à la participation des autres pays d’Europe.

« La mise en commun des productions de charbon et d’acier assurera immédiatement l’établissement de bases communes de développement économique, première étape de la fédération européenne, et changera le destin de ces régions longtemps vouées à la fabrication des armes de guerre, dont elles ont été les plus constantes victimes.

« La solidarité de production qui sera ainsi nouée manifestera que toute guerre entre la France et l’Allemagne devient non seulement impensable, mais matériellement impossible. L’établissement de cette unité puissante de production ouverte à tous les pays qui voudront y participer, aboutissant à fournir à tous les pays qu’elle rassemblera les éléments fondamentaux de la production industrielle aux mêmes conditions, jettera les fondements réels de leur unification économique...

« Par la mise en commun de productions de base et l’institution d’une Haute Autorité nouvelle, dont les décisions lieront la France, l’Allemagne et les pays qui y adhéreront, cette proposition réalisera les premières assises concrètes d’une fédération européenne indispensable à la préservation de la paix. »

C’est dans un petit hôtel parisien de la rue de Martignac que Jean Monnet, commissaire général au Plan, avait ébauché en quelques mois, à l’insu du public et même du gouvernement, l’idée de la C. E. C. A. Lorrain paisible et homme de la frontière, Robert Schuman reprit immédiatement l’idée à son compte et en assuma la responsabilité politique : celle du chef.

L’originalité de la brève « déclaration Schuman » résidait dans la constatation tirée de l’expérience que l’Europe ne se ferait pas d’un seul coup, ni dans une construction d’ensemble, mais par des réalisations concrètes, créant d’abord une solidarité de fait.