Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Europe (suite)

Ces réserves et distinctions faites, l’Europe est-elle une grande puissance économique ? La réponse est affirmative, mais admet des nuances sérieuses. L’ensemble des États européens forme l’une des trois ou quatre régions du monde où les densités de population sont les plus élevées, où les grandes agglomérations et conurbations sont les plus nombreuses et les plus peuplées, où les ports maritimes et fluviaux sont les plus actifs. Sa puissance peut s’évaluer par la concentration des capitaux et l’importance des grandes firmes de caractère international, banques, compagnies d’assurance et d’armement maritime. Les niveaux de vie y sont les plus élevés du monde après ceux des États-Unis. Ils s’expriment également par des indicateurs socio-économiques variés, tels que la valeur de la ration alimentaire moyenne, les taux de construction de logements, les taux de motorisation ou d’équipement téléphonique, la consommation d’énergie ou de la plupart des produits de base, comme l’acier. La puissance économique se manifeste par de grandes réalisations communes : ainsi l’Europoort aux Pays-Bas, et le parc commun de wagons de chemin de fer dans le Marché commun d’une part, le Comecon d’autre part ; le réseau, qui progresse rapidement, de navigation intérieure (canalisation de la Moselle, canal de jonction Main-Danube), des autoroutes internationales, d’oléoducs et de gazoducs. Les rapports de l’Europe restent étroits avec le monde asiatique, les États africains et en général le tiers monde, en faveur duquel l’aide financière et technique est comparable à celle des États-Unis. Ces caractères en font incontestablement une puissance mondiale, multinationale, qui sera peut-être un jour confédération ou fédération.

Mais l’examen de ses activités économiques laisse apparaître des lignes de faiblesse et des lignes de force.

• La dépendance en matière énergétique. Sans doute la production de houille et de lignite place-t-elle l’ensemble de l’Europe en assez bonne position mondiale, puisqu’elle produit environ le quart du total mondial. Mais ses réserves sont assez faibles, la production augmente peu et même diminue dans les pays occidentaux, la part dans l’ensemble mondial décroît. Si l’Europe apparaît bien placée dans le domaine de la production et de la consommation d’électricité, c’est qu’une grande partie de l’énergie primaire nécessaire est importée. En effet, l’Europe est extrêmement pauvre en hydrocarbures, et peu d’États européens se suffisent à eux-mêmes, comme c’est le cas pour la Roumanie et l’Albanie. Malgré l’intérêt des prospections et des découvertes récentes (Lacq, le gaz de Hollande, les gisements de la mer du Nord, comme Ekofisk), il n’y a aucune chance pour que l’Europe puisse satisfaire ses propres besoins, d’autant plus que l’accroissement de sa consommation est très rapide. Elle dépend donc du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, de l’Union soviétique, de l’Amérique, et les grandes sociétés pétrolières européennes achètent dans le monde entier des permis de recherches afin de diversifier au maximum l’origine des hydrocarbures et de se soustraire plus largement aux aléas politiques résultant des décisions prises par les pays producteurs. La nécessité d’importer entraîne par ailleurs la croissance de la flotte de tankers de capacité accrue, l’équipement moderne des grands ports chargés de recevoir les pétroliers géants (Fos, Le Havre, Rotterdam...), l’accroissement rapide de la capacité de raffinage dans les ports et sur le trajet des oléoducs, l’équipement de méthaniers pour le transport de gaz liquéfié, la variété et la qualité des produits tirés de la pétrochimie. La pénurie d’énergie a provoqué l’application de programmes nucléaires : la Grande-Bretagne est le pays du monde le plus avancé dans leur réalisation, et l’Europe occidentale se place avant les États-Unis et, certainement, l’U. R. S. S., dans ce domaine.

• La dépendance à l’égard des pays du tiers monde. Celle-ci existe en particulier pour les denrées appelées autrefois coloniales, provenant d’outre-mer : produits agricoles d’origine tropicale et dont l’Europe, en raison de son niveau de vie élevé, fait une grande consommation (riz, oléagineux, café, thé, fruits tropicaux) ; textiles, comme la soie, la laine et le coton ; caoutchouc naturel ; métaux non ferreux, même la bauxite, dont l’Europe produisait, il y a un quart de siècle, la majeure partie ; également le minerai de fer, qui, transporté depuis le Brésil ou la Mauritanie vers les sidérurgies littorales, revient moins cher, en raison de sa forte teneur et de la taille des minéraliers, que les minerais continentaux.

L’ampleur d’importations indispensables entraîne des déséquilibres nationaux, structurels ou conjoncturels, des balances du commerce extérieur des États et souvent leur dépendance par rapport au dollar, mais provoque en même temps l’activité des industries de transformation : ainsi, la comparaison de la production des minerais de cuivre, de plomb, de zinc et de la production du métal laisse apparaître l’importance des industries de fonderie en Europe. De même dans l’industrie textile : l’Europe traite la matière première importée en majeure partie et occupe les premières places dans le domaine des filés et tissus de laine et de coton.

• La production est importante, en matière de machines et de biens d’équipement. Ce caractère se manifeste non seulement dans les volumes de production de fonte, d’acier, de la construction automobile et navale, mais aussi et surtout dans la haute qualité des produits de large consommation (vêtements, chaussures, appareils électroménagers, etc.), des produits de confort moderne et de luxe (la haute couture, la mode, la parfumerie sont par excellence des industries européennes). Enfin, il faut noter le volume et la variété des produits issus de la recherche en laboratoires dans de nombreuses branches, telles que la carbochimie et la pétrochimie (produits synthétiques, matières plastiques, textiles artificiels et synthétiques, engrais chimiques), le matériel électrique et de précision. Ainsi, l’Europe assure : environ le quart de la production mondiale de caoutchouc synthétique (les États-Unis, presque la moitié) ; plus de 40 p. 100 des matières plastiques (les États-Unis, environ le tiers) ; le tiers des textiles synthétiques (à peu près autant que les États-Unis). Il s’agit de trois branches dans lesquelles la part du Japon s’accroît rapidement, mais où celle de l’U. R. S. S. reste encore faible. Dans le domaine de l’électronique, notamment des ordinateurs, la part des États-Unis est énorme, celle de l’U. R. S. S. très réduite, celle des pays socialistes d’Europe insignifiante, mais celle de l’Europe occidentale n’est pas négligeable.