Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Étrusques (suite)

À la fin du vie s., le pays étrusque (car on hésite à parler d’empire) s’étend très largement en Italie et comporte alors trois dodécapoles. D’abord douze cités confédérées en Étrurie même, liées entre elles par une assemblée annuelle au fanum Voltumnae, près de Volsinii (Bolsena), et par un magistrat commun, le zilath mechl Rasnal, préteur du peuple étrusque. Les autres dodécapoles sont dans la partie occidentale de la plaine du Pô et en Campanie. Ces trois douzaines de villes sentent la systématisation annalistique. Ce qui demeure, c’est cette extension territoriale, extension éphémère d’ailleurs — et pas toujours en profondeur : si Préneste est latine par sa population, elle est étrusque par son art. Si Spina est un port étrusque, c’était, au dire des Anciens, une ville tout à fait grecque. La basse plaine padane n’a pas été profondément imprégnée par la civilisation originaire de Toscane. Au tournant du vie et du ve s., le déclin commence rapidement : l’activité maritime se restreint. Les villes côtières perdent leur importance au profit de celles de l’arrière-pays, et l’influence grecque sur l’art local s’affaiblit subitement. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne provient plus d’œuvres d’art de la Grèce : les vases attiques sont importés massivement, mais à l’autre bout du pays étrusque, par le port de Spina. Tandis que, dans la péninsule, Rome donne le signal de la révolte et libère le Latium, les jeunes villes padanes sont en plein essor au milieu du ve s. Mais pas pour longtemps : au siècle suivant, les Gaulois déferlent sur l’Italie, et ces villes sont les premières à en subir les conséquences. Au sud, les Romains progressent : au milieu du iiie s., l’Étrurie entière leur est soumise. Mais ce n’est point une condamnation définitive pour sa civilisation. L’art étrusque brille encore par une originalité relative avant de se fondre progressivement dans l’art romain, et certaines institutions se maintiennent longtemps encore.


La langue et les lettres

La langue étrusque fut en usage jusqu’au début de l’ère chrétienne au moins, et les inscriptions conservées, qui sont au nombre d’une dizaine de mille et proviennent surtout de Chiusi et de Pérouse, sont essentiellement d’époque romaine. Peu de textes notoires en dehors des inscriptions funéraires : une bandelette de momie conservée à Zagreb, les tablettes d’or de Pyrgi. Pour ainsi dire pas d’inscriptions bilingues, qui aideraient grandement au déchiffrement de cette langue écrite en caractères classiques. Ce déchiffrement a toute une histoire. Illusionnés par la découverte subite de la clé d’autres langues anciennes, maints érudits ont cherché le secret de l’étrusque en employant la méthode comparative. En confrontant avec les autres langues, ils se fondaient sur l’espoir de rencontrer une langue connue dérivée ou voisine. Certains ont cru réussir et ont fait des rapprochements qui leur paraissaient prometteurs avec le hittite, le groupe basco-caucasique, le lydien ou encore l’albanais. Traîtreusement, la brièveté des textes se prête à des interprétations illusoires. La méthode combinatoire déchiffre l’étrusque par le dedans, sans chercher de rapprochements semblables. Elle est arrivée à des résultats beaucoup plus sérieux, mais qui n’ont rien à voir avec la « clé » espérée. Un travail patient a donné le sens d’un mot, puis d’un autre et permis de découvrir l’existence de la déclinaison... On connaît ainsi, aujourd’hui, des dizaines de mots et des éléments non négligeables de grammaire. Cela permet de tirer parti des inscriptions funéraires, mais ne suffirait pas à comprendre des textes littéraires. Ceux-ci, d’ailleurs, n’ont pas été conservés. Mais ils existaient : les Étrusques ont eu une littérature. Outre des livres religieux, ils ont rédigé des annales et cultivé les lettres profanes. Les jeunes Romains allèrent longtemps faire leurs humanités à Caere. Tite-Live nous l’apprend, en s’en étonnant lui-même. Après s’être initiés à l’hellénisme par l’intermédiaire des Étrusques, les Romains s’adressèrent ensuite aux esclaves grecs qu’ils ramenèrent de leurs guerres de conquêtes.


Les villes

Cette civilisation a été gratifiée d’« unique civilisation citadine originale de l’Occident ancien » (Guido A. Mansuelli). À part la cité industrielle de Populonia, les vieilles villes étrusques étaient perchées en des positions escarpées. La menace des invasions gauloises les incita à s’entourer de fortifications, très longues enceintes de murailles d’un appareil rustique, qui englobaient une étendue de beaucoup supérieure à la surface bâtie. Autant on sait peu de chose de ces villes, malgré les fouilles récentes de Volsinii (Bolsena) et de Vulci (Vulcia), autant on est informé du plan régulier des fondations tardives, grâce aux fouilles de Spina et de Marzabotto, en Italie du Nord ; Marzabotto a été appelée la Pompéi étrusque. Fondée en terrain plat, ou presque, elle a pu bénéficier des techniques évoluées des arpenteurs étrusques, qui transmirent aux Romains leurs méthodes et leurs rites de fondation. Inspiré peut-être par le plan en damier d’Hippodamos de Milet, en tout cas contemporain, le plan étrusque s’insérait autour des lignes directives fournies par le cardo (voie nord-sud) et le decumanus (voie ouest-est), et s’encadrait dans le pomoerium, limite sacrée. Les habitations étaient très espacées. Spina, située près de Comacchio, était tracée selon un plan analogue, mais, Venise étrusque, elle était parcourue de canaux et reliée à la mer par un chenal. Une autre fondation régulière de la même époque (ve s.) a été découverte à Casalecchio di Reno, près de Bologne. Chacune des principales villes connues avait sa physionomie propre, son originalité, ses ressources. Si Spina fut, pendant une période assez brève, il est vrai, le grand emporium qui recevait les produits de la Grèce, Adria, située un peu plus au nord, passait pour bien plus typique. L’atrium en serait originaire. Bologne, sous le nom de Felsina, était une ville de commerce et de métallurgie. En Étrurie même, beaucoup de villes se partageaient entre les activités connexes de l’agriculture et l’exploitation des mines. Volaterrae (Volterra) exploitait les mines de la Cecina, et Populonia le fer de l’île d’Elbe et le cuivre de Campiglia. Vetulonia travaillait le bronze et partageait les activités maritimes avec Populonia. Caere exploitait le cuivre de la Tolfa et hébergeait des artisans grecs d’Ionie. Volsinii était une capitale religieuse. Véies (en lat. Veii) et Vulci nous apparaissent comme des centres d’artisanat d’art.