Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

États-Unis (suite)

C’est cependant dans un climat plus contestable que cette rencontre devait suggérer l’accent si longtemps recherché par les partisans de l’américanisme musical, quand Paul Whiteman fonda son jazz symphonique « pour exécuter de la musique de jazz spécialement orchestrée et exécutée conformément à cette orchestration ». La Rhapsody in Blue (1924), qu’il avait commandée à Gershwin et qui répondait très exactement à ce programme en se proposant d’être « un kaléidoscope des États-Unis, de leurs blues et de leurs folies », échappait d’emblée aux modèles européens et pouvait définir, dans une certaine mesure, les traits les plus caractéristiques de l’esprit américain. Autodidacte, mais doué d’une infaillible intuition de novateur, George Gershwin (1898-1937) n’a cessé de mettre son sens mélodique au service d’une expression de plus en plus dense qu’il est difficile d’estimer en fonction des critères habituels et qui, cependant, assigne aux différentes étapes de sa carrière une place importante dans l’évolution musicale de son pays (Concerto in F for Piano and Orchestra, 1925 ; An American in Paris, 1928 ; Porgy and Bess, 1935).

La même préoccupation d’un idiome national a inspiré tous les compositeurs contemporains de Gershwin et même certains aînés tels que Walter Piston (né en 1894), Charles W. Cadman (1881-1946) ou Carl Ruggles, ce dernier (né en 1876) venu librement à la syntaxe de Schönberg et curieux d’instrumentations insolites.

En marge de cette préoccupation, la recherche de nouvelles possibilités sonores est précisément l’un des traits communs à tous les compositeurs des États-Unis, et Frederick Converse (1871-1940), le premier Américain de naissance à être joué au Metropolitan (1910), semble avoir inauguré l’adjonction des bruits à l’orchestre symphonique (son poème symphonique Flivver ten million utilise une trompe d’auto, une soufflerie, un sifflet et une enclume). Premier pas vers la musique concrète et que suivront un George Antheil (1900-1959), dont le Ballet mécanique utilise des trompes d’auto, des enclumes, des scies circulaires et une hélice d’avion, un Lou Harrison (né en 1917), qui introduit des tambours de freins et des tuyaux de fer dans ses Canticles, et, plus près de nous, un John Cage* (né en 1912) [l’Imaginary Landscape No. 4 est réalisé pour douze radios manipulées par vingt-quatre instrumentistes]. Dans le seul domaine du piano, plusieurs compositeurs abandonnent le pur et simple usage des doigts pour des effets sonores obtenus en frappant le clavier avec l’avant-bras ou une règle, notamment Charles Ives* (1874-1954), qui passe, à bon droit, pour le musicien le plus original et le plus « moderne » de sa génération. Très influencé par Ralph Waldo Emerson (1803-1882) et les transcendantalistes, Charles Ives considérait la musique comme un langage universel et chargeait chacune de ses partitions d’un programme extra-musical qui n’a pas survécu à son époque, alors que ses recherches sonores et l’ingéniosité de sa syntaxe le consacrent, après un demi-siècle d’oubli, comme l’un de ceux qui ont découvert avec le plus de clairvoyance les raisons de la musique d’aujourd’hui.

Entre les contemporains de Charles Ives et les « musiciens du siècle », Charles Griffes, Wallingford Riegger, Walter Piston, Roger Sessions, Virgil Thomson et Howard Hanson sont cependant autant d’exemples d’un éclectisme cher aux Américains et de leur tendance à admettre toutes les syntaxes, du néo-classicisme le plus académique aux violences des « expérimentalistes ». À l’influence généralement admise du postromantisme germanique, celle de l’école française et de Debussy s’est peu à peu substituée jusqu’au moment où les perspectives du système dodécaphonique ont grisé les différentes générations de créateurs, et, depuis un demi-siècle, bien des « américanistes » ne se privent pas d’écrire dans tous les styles sous prétexte de se renouveler. Ainsi Aaron Copland, Roy Harris (né en 1898) ou Samuel Barber (né en 1910), qui sont les compositeurs les plus populaires aux États-Unis. Copland distingue lui-même, dans sa carrière, la période stravinskienne (symphonie pour orgue), la rencontre avec le jazz (concerto pour piano), l’austérité (variations pour piano), la « simplicité imposée » (El Salón México), la musique pure (troisième symphonie), le dodécaphonisme (quatuor), etc.

Et Barber, comme William Schuman (né en 1910) ou Elliott Carter (né en 1908), offre un curieux éventail d’expressions, du néoromantique adagio à la sonate dodécaphonique pour piano, puis aux traditionnels Prayers of Kierkegaard.

On citerait, du reste, bien des partitions valables à des titres divers, même si elles n’ont pas connu le succès du Ballet mécanique (de George Antheil), de West Side Story (de Leonard Bernstein) ou des opéras de Gian Carlo Menotti (The Consul, The Telephone, etc.).

Depuis 1950, les expérimentalistes ont vu s’offrir à eux un champ d’investigations jusqu’alors inconnu dans l’organisation de la matière sonore et qui exploitait les ressources de l’électronique. Edgard Varèse* (1883-1965), fixé aux États-Unis dès 1915, Vladimir Ussachevsky et John Cage ont été les premiers à utiliser systématiquement les bandes magnétiques, intégrées ou non aux sons musicaux, et ont ainsi désigné aux compositeurs de la jeune génération une route sur laquelle ils peuvent s’engager peut-être plus librement que sur celle des compromis avec la tradition européenne. Un Christian Wolff (né en 1934) ou un Terry Riley sont là pour prouver que, dans l’exploration de ces nouvelles directions sonores, l’école américaine trouve aujourd’hui une expression plus conforme à son génie.

A. G.

 A. Berger, Aaron Copland (New York, 1953 ; trad, fr., Buchet-Chastel, 1962). / G. Chase, America’s Music (New York, 1955 ; trad. fr. Musique de l’Amérique, Buchet-Chastel, 1957). / J. T. Howard et G. K. Bellows, A Short History of Music in America (New York, 1958). / R. Hover et J. Cage, Virgil Thomson (New York, 1959 ; trad, fr., Buchet-Chastel, 1962). / P. H. Lang, One Hundred Years of Music in America (New York, 1961). / A. Gauthier, la Musique américaine (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1963 ; 2e éd., 1972). / H. W. Hitchcock, Music in United States (Englewood Cliffs, N. J., 1969). / I. L. Sablosky, American Music (Chicago, 1969).