Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

États-Unis (suite)

En poésie, l’influence des romantiques anglais, surtout de Wordsworth, est sensible chez William Cullen Bryant (1794-1878). Mais Edgar Allan Poe* (1809-1849) est le premier vrai poète américain. Son influence s’étend jusqu’en Europe : à travers Baudelaire, il influence le symbolisme. Avec Poe et Cooper, la littérature américaine s’impose. L’Amérique n’est plus seulement un pays importateur de littérature. Elle en exporte, sortant ainsi de son sous-développement littéraire. Les Poèmes de Poe (1827-1831 ; le Corbeau, 1845) ont été surestimés, surtout en France. Poe est d’abord un prosateur. Ses contes (Tales of the Grotesque and Arabesque, 1840 ; Tales, 1845) dépassent la tradition gothique pour préfigurer le suspense de terreur, le roman policier et la science-fiction. Comme journaliste et comme critique, son influence est considérable.


L’essor littéraire de la Nouvelle-Angleterre

De New York, Philadelphie et Baltimore, où il est né, l’essor littéraire glisse, dans les années 30, vers la Nouvelle-Angleterre, autour de l’université Harvard. Vers 1836, le village de Concord, Massachusetts, devient le centre intellectuel où puritanisme, romantisme et idéalisme allemand s’unissent dans le transcendantalisme, réaction contre les tendances matérialistes du développement économique et contre les tendances totalitaires du puritanisme. Ralph Waldo Emerson* (1803-1882), formé par l’idéalisme platonicien, cherche à définir de nouveaux rapports, plus mystiques que rationnels, entre l’homme et la nature, symbole romantique d’une transcendance diffuse. Dans Nature (1836), Essays (1841-1844), Emerson fait appel à l’imagination contre le rationalisme et le rigorisme. Il a une grande influence sur les intellectuels, mais peu sur l’Américain moyen. Henry Thoreau* (1817-1862) pousse le transcendantalisme jusqu’à l’anarchisme. Rompant avec la société, il vit dans une hutte dans les bois de Walden (Walden, or Life in the Woods, 1854) pour protester contre l’aliénation d’une société qui pollue la nature et le cœur. Il pousse la défense des libertés individuelles jusqu’au refus de la loi. Dans Civil Disobedience (1849), il fait l’éloge du devoir de désobéissance et de subversion, fondant une tradition anarchiste qui restera toujours puissante dans ce pays né de l’insurrection.

Aux intellectuels de Concord, on peut associer les poètes de la Nouvelle-Angleterre, Oliver Wendell Holmes (1809-1894), James R. Lowell et surtout Henry W. Longfellow (1807-1882), dont les poèmes, plus populaires que ceux de Poe, donnent à l’Amérique une épopée et des héros (Paul Revere’s Ride, 1860 ; Evangeline, 1847 ; Hiawatha, 1855). John Greenleaf Whittier (1807-1892) pratique une poésie rurale, plus naïve et patriotique, dont la sentimentalité s’accorde avec le goût populaire qui en fait des hymnes. Mais Whittier milite aussi pour l’abolition de l’esclavage. Car l’un des aspects, qui devient tradition, de la littérature américaine est son engagement humanitaire. Thoreau, Longfellow, Whittier, dans des registres différents, luttent pour le pacifisme et l’abolition de l’esclavage. Même la littérature populaire s’engage, comme le prouve le succès de la Case de l’oncle Tom (1852), de Harriet Beecher-Stowe (1811-1896). Margaret Fuller (1810-1850), elle, milite pour l’émancipation des femmes. D’autres écrivains expérimentent en communauté les principes socialistes et anarchistes : Thoreau et A. B. Alcott (1799-1888) à Fruitlands, George Ripley (1802-1880) à Brook Farm.

Le transcendantalisme, en réformant la tradition puritaine menacée de matérialisme et de rationalisme libéral, entraîne une renaissance de l’idéalisme, de l’individualisme et de l’inquiétude spirituelle, sensible chez les trois plus grands écrivains de l’époque, Hawthorne*, Melville* et Whitman*. Dès les Twice-Told Tales (1837), l’obsession du mal retrouve sa vigueur dans l’inspiration angoissée de Hawthorne (1804-1864). La Lettre écarlate (1850), la Maison aux sept pignons (1851) étudient les ravages de la culpabilité dans une atmosphère d’huis clos. Herman Melville (1819-1891) dédie à Hawthorne Moby Dick (1851). L’amitié des deux hommes repose sur une même fascination pour les grands fonds de l’esprit et un même goût du symbolisme. Marin, Melville subit d’abord l’influence de R. H. Dana (1815-1882) [Two Years before the Mast, 1840]. Mais il passe vite du récit d’aventures maritimes (Typee, 1846 ; Omoo, 1847) à l’épopée symbolique. Parfait équilibre de réalisme et de symbolisme, Moby Dick, chasse à la baleine et quête du Graal, est le plus grand roman américain à cette date, mais il ne fut reconnu qu’après 1920. Mardi (1849) et Pierre (1852) sont des livres plus intellectuels, moins réussis. Le dernier livre de Melville, Billy Budd, cri de révolte et acceptation de la mort, publié seulement en 1924, résonne du désenchantement d’un génie méconnu.

Méconnue aussi l’œuvre posthume de la poétesse Emily Dickinson* (1830-1886), chez qui le mysticisme prend une forme cryptique dans l’expression d’une intense sensibilité aux épiphanies quotidiennes. Méconnu aussi le grand poète Walt Whitman (1819-1892). La première version de Leaves of Grass (1855) passe inaperçue, sauf d’Emerson. Avec Whitman, le romantisme américain atteint son apogée. Mais la franchise du ton, la liberté de l’inspiration ne plaisent pas au commun des lecteurs. On retrouve chez Whitman la certitude transcendantaliste que le divin se trouve en tout. Le « brin d’herbe », symbole de la simplicité et de l’ubiquité du beau et du spirituel, devient le symbole même de l’inspiration de Whitman : année par année, comme la Prairie, il ajoute à son œuvre de nouveaux Leaves of Grass. Rien n’exprime mieux la force lyrique, optimiste, mystique et toujours contestante du rêve américain que cette poésie en liberté, à la fois personnelle, nationale et cosmique.

Par opposition à l’essor littéraire de la Nouvelle-Angleterre, le Sud, traditionnellement plus colonial, somnole. William Gilmore Simms (1806-1870) compose des romans historiques sudistes (The Yemassee, 1835), mais sans le souffle de Cooper. Augustus Baldwin Longstreet (1790-1870) évoque les mœurs de Géorgie. Mais la guerre de Sécession, en brisant le Sud, le tue sur le plan culturel pour un siècle. En dehors du poète-musicien Sidney Lanier (1842-1881), des récits folkloriques de George W. Cable (1844-1925) comme The Grandissimes (1884), le Sud ne produit que des feuilletons sentimentaux, comme ceux de Thomas N. Page (1853-1922), évocations d’une aristocratie ruinée et de dames en blanc à l’ombre des magnolias.