Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

États-Unis (suite)

Pourtant, le Sud aussi connaît une profonde transformation. À partir du Tennessee et des Carolines commence le royaume du coton. Il s’étend jusqu’au Texas. Le développement de cette culture s’explique par la découverte, due à Eli Whitney (1765-1825), de l’égreneuse et par les besoins sans cesse grandissants des industries textiles de la Grande-Bretagne, qui importent la plus grande partie de la récolte ; 335 000 balles (1 balle pèse environ 226 kg) sont récoltées en 1820, plus de 2 millions en 1842, entre 4 et 5 millions à la veille de la guerre civile, dont 75 p. 100 sont destinés à l’exportation.

La culture du coton est soumise à des conditions rigoureuses. Les sols s’épuisent vite. Il faut déplacer les exploitations vers l’ouest, donc acheter de nouvelles terres. Mais à l’ouest du 99e méridien, l’humidité n’est plus suffisante.

En raison de son faible prix de revient, les planteurs ne peuvent pas se passer de la main-d’œuvre servile. Certes, le prix des esclaves a augmenté, d’autant plus que la traite est interdite depuis 1808, et le rendement d’un esclave est faible. Mais l’entretien coûte si peu que le planteur peut espérer un bénéfice de 4 à 8 p. 100 par an.

Entre le Sud et le Nord, les oppositions d’intérêts sont profondes. L’Ouest appartiendra-t-il au Sud cotonnier ou au Nord industriel ? Le Nord imposera-t-il le protectionnisme douanier, alors que le Sud réclame le retour au libre-échange ? Comme le Nord détient la puissance financière, le Sud dépend de lui pour ses investissements (achats de terres et d’esclaves) et pour les indispensables produits manufacturés : « du berceau au cercueil », les sudistes sont à la merci des Yankees. Par plus d’un trait, le Sud ressemble à une société coloniale. Les planteurs, qui imposent leur pouvoir politique et leur primauté sociale, contribuent à renforcer l’esprit régional — on dit aussi « sectionnel » — du Sud, donc à l’opposer au Nord.


Le problème de l’abolition de l’esclavage

Le débat sur l’esclavage accentue les divisions sectionnelles et finit par assimiler les sudistes aux esclavagistes, les nordistes aux abolitionnistes.

Grâce à l’industrie et au commerce, le Nord-Est a donné naissance à une classe moyenne qui lit beaucoup, notamment des journaux. C’est à New York, par exemple, qu’apparaissent les pionniers de la grande presse (Sun, Herald, Tribune, Times). Les contacts avec l’Europe sont étroits, en particulier avec l’Angleterre, où, en 1833, l’esclavage aux colonies a été interdit. Enfin, la Nouvelle-Angleterre, patrie du transcendantalisme, qui réclame de l’homme un effort incessant de perfectionnement intellectuel et moral, est influencée par le libéralisme et le romantisme de l’époque. William Ellery Channing (1780-1842) fonde l’unitarisme, qui, en rébellion contre l’orthodoxie calviniste, exalte la perfectibilité de l’homme, la raison, le libre-arbitre, la responsabilité morale de l’individu. William Miller (1782-1849) crée la secte des adventistes. Joseph Smith (1805-1844) publie en 1830 le Livre de Mormon et commence avec ses disciples une pérégrination qui se terminera, après sa mort et sous le commandement de Brigham Young (1801-1877), en Utah. Et que de bonnes causes défendues dans le Nord-Est ! Réforme de l’enseignement, des prisons, des asiles pour malades mentaux ; lutte contre l’intempérance, pour l’émancipation des femmes, pour la reconnaissance des syndicats : organisations pour promouvoir la paix universelle ou pour réaliser tout de suite la société idéale, autant d’« -ismes » qui attirent d’énergiques réformistes.

L’abolitionnisme est l’une de ces nobles causes. En réalité, il se divise en trois tendances. Les radicaux sont représentés par William Lloyd Garrison (1805-1879), qui fonde en 1831 un journal, The Liberator, et, l’année suivante, la Société antiesclavagiste de la Nouvelle-Angleterre ; en 1833, Garrison met sur pied la Société américaine contre l’esclavage. À ses yeux, l’esclavage est un mal qui s’oppose aux principes du christianisme et à la Déclaration d’indépendance ; la Constitution, qui résulte d’un compromis et reconnaît implicitement l’inégalité des hommes, ne vaut rien : Garrison la brûle en public. Il réclame l’abolition immédiate et sans compensation de l’esclavage, mais il n’est pas précis sur le sort des Noirs devenus libres.

Les modérés se regroupent autour de Theodore Dwight Weld (1803-1895) et se retrouvent au collège Oberlin, dans l’Ohio, avec Lyman Beecher (1775-1863). Ils sont partisans d’une émancipation graduelle et désirent ne pas sortir du cadre de la Constitution. Enfin, les conservateurs sont hostiles à l’expansion de l’esclavage. Pour eux, le Sud fait ce qu’il veut : il peut conserver son institution particulière. Mais l’Ouest ne doit pas être livré aux planteurs ; il faut donc y interdire l’esclavage : un « sol libre » sera plus accessible aux colons du Nord. Lincoln, par exemple, appartient à cette tendance.

Les abolitionnistes utilisent comme moyens d’action les journaux, les brochures, les romans (la Case de l’oncle Tom paraît en feuilletons en 1851-52). Une aide est apportée aux esclaves fugitifs : le « chemin de fer souterrain » est constitué d’une série de refuges qui permettent aux fugitifs de gagner le Canada.

Mais bien des gens du Nord détestent les abolitionnistes. Garrison a failli être lynché dans les rues de Boston en 1835 ; la plupart des Églises ont condamné la campagne en faveur de l’émancipation. Et, en 1850, les sociétés abolitionnistes revendiquent 150 000 membres (soit environ 400 à 500 militants).

Le Sud, pourtant, ne cesse d’exagérer le danger qui, croit-il, menace son genre de vie. C’est qu’il n’y a pas, dans cette section, de classe moyenne, faute de révolution industrielle. Le coton domine les conversations. Les contacts avec le monde extérieur deviennent plus rares. En un certain sens, le Sud aussi a mauvaise conscience : dans l’esclavage il voit un mal, mais un mal nécessaire et provisoire. En 1816, la Société américaine de colonisation se donne pour but de financer le retour des Noirs en Afrique, car il n’est pas pensable, à l’époque, que les esclaves émancipés s’intègrent dans la société blanche. En 1831, une convention débattait en Virginie de la possibilité d’une émancipation. Mais les perspectives changent alors soudainement. D’une part, le coton devient le pactole des planteurs. D’autre part, en 1831, éclate la révolte de Nat Turner (1800-1831) — ce n’est pas la première révolte servile dans le Sud, mais elle déclenche une immense peur parce qu’elle menace tous les maîtres, bons et mauvais.

Alors, on renforce les Codes noirs. Des patrouilles sont organisées pour empêcher les déplacements suspects de Noirs. Les manumissions sont strictement réglementées. Il est interdit d’enseigner aux Noirs l’écriture et la lecture. Les textes abolitionnistes ne sont pas diffusés. Une sorte de terreur s’installe, et les mal-pensants sont pourchassés.

Enfin, pour répondre aux arguments des abolitionnistes, apparaît une défense théorique et philosophique de l’esclavage : la pratique est admise par les Écritures et reste indispensable à la prospérité du Sud ; le Noir est un être biologiquement inférieur : « Il porte pour toujours la marque indélébile de sa condition inférieure. »

Cela ne signifie pas que la ségrégation soit adoptée dans la vie quotidienne, sauf dans de grandes villes comme La Nouvelle-Orléans. Par contre, elle est très répandue dans le Nord, où l’esclavage a été graduellement aboli. De fait, le Sud croit défendre son honneur et sa survie.