Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

État (suite)

Dans les sociétés antiques pratiquant la démocratie directe, la plupart des fonctions gouvernementales étaient assurées à tour de rôle et pour une brève durée par tous les citoyens ; l’identification entre l’État et la communauté des citoyens allait alors de soi ; mais cette communauté des citoyens ne constituait généralement qu’un noyau actif d’une collectivité plus large comprenant les esclaves, les travailleurs manuels et les peuples conquis, ne disposant pas de la citoyenneté et ne pouvant guère s’identifier à l’État. Cette identification entre les membres de la communauté et l’État est d’autant plus difficilement réalisable que les dimensions de la communauté sont plus grandes : au-delà d’une certaine taille de la communauté, la démocratie directe n’est plus possible. Elle n’est pas davantage pensable lorsque l’unité nationale s’est réalisée autour d’un chef plus ou moins prestigieux après une longue période d’anarchie féodale. L’État, fédéral ou unitaire, apparaît vite comme une contrainte imposée de l’extérieur à la communauté concernée.

Quelles que soient les règles que s’est données pour mieux survivre la collectivité nationale, celles-ci pèsent sur les groupes d’intérêts particuliers et sur les individus, qui, cependant, sont de plus en plus enclins à faire appel à l’État comme à une assurance au patrimoine inépuisable : ainsi, les membres des communautés nationales réalisent de plus en plus rarement que l’État, c’est eux-mêmes ; bien au contraire, pour eux, l’État, c’est les autres. En fait, en langage courant, on distingue entre la nation ou le peuple, d’une part, et l’État ou les gouvernants, d’autre part.

L’objet même de l’État est d’assurer la cohésion et la survie d’une communauté nationale. D’une manière générale, les pouvoirs reconnus aux gouvernants pour assurer cette cohésion et cette survie ont toujours été très larges (l’État est souvent qualifié d’interventionniste ou — dans la période contemporaine — de dirigiste) ; cependant, il est arrivé à diverses périodes, sous la pression de certaines catégories sociales, que ces pouvoirs ont été strictement limités à des domaines spécifiques : défense nationale, ordre public, arbitrage entre les intérêts privés (l’État est alors qualifié de libéral). En pareil cas, les structures étatiques peuvent être considérées comme se trouvant placées au service plus ou moins exclusif d’une partie seulement des membres de la communauté, bien que, parfois, on puisse admettre, ayant joué au moins pendant un certain temps, une certaine identification entre les intérêts privés, directement servis par les gouvernants, et l’intérêt national (situation, en France, sous le gouvernement de Juillet et le second Empire au moment du démarrage de l’industrie).


L’État en droit interne


L’État dans ses rapports avec les collectivités territoriales subordonnées

L’État possède la souveraineté, c’est-à-dire le pouvoir de vouloir et le pouvoir de commander, ces deux pouvoirs n’étant subordonnés à aucun autre. D’une manière générale, les spécialistes du droit public considèrent cependant que le pouvoir de commander de l’État n’est pas illimité et qu’il existe un domaine lui échappant ; pour les uns, ce domaine est celui des droits individuels naturels (mais quels sont-ils ?) ; pour d’autres — Duguit* par exemple —, le domaine échappant à l’action de l’État est déterminé par le principe de la solidarité sociale (l’expression est bien vague) ; pour d’autres enfin, tels Ihering et Georg Jellinek, ce domaine est déterminé par l’État lui-même en vertu de son autolimitation. Ce domaine varie donc suivant les concepts dominants de chaque lieu et de chaque temps.

Quoi qu’il en soit, l’État se distingue des collectivités* territoriales qui le composent en ce que ces dernières ne possèdent pas la souveraineté, puisque c’est l’État lui-même qui fixe les limites à leur pouvoir de commander.

Les rapports entre l’État et les autres collectivités territoriales peuvent être d’ordres divers.

• Il y a État unitaire centralisé lorsque l’autonomie des collectivités territoriales est réduite ; la plupart des actes les concernant sont le fait d’agents de l’État ou ne peuvent être accomplis qu’avec l’accord tacite ou exprès d’agents de l’État. C’est la situation qui se présente en France depuis le xviie s., bien qu’une certaine tendance à la décentralisation s’y soit manifestée récemment, dès les années 60 notamment.

• Il y a État unitaire décentralisé lorsque de nombreux actes concernant telle ou telle collectivité territoriale émanent des propres dirigeants de cette collectivité sans intervention directe des agents de l’État. C’est la situation qui se présente en Grande-Bretagne et — tout récemment — en Italie.

• Il y a État fédéral lorsque certaines collectivités locales disposent, sur leur territoire et dans certains domaines, d’une souveraineté relative et constituent en quelque sorte des États partiellement autonomes. L’autonomie de chacun des États fédérés varie beaucoup d’une fédération à une autre ; elle semble tendre à se réduire progressivement partout. L’Allemagne fédérale, la Suisse, les États-Unis d’Amérique constituent trois types différents d’États fédéraux.


L’organisation politique des États

Dans chaque État, on distingue trois fonctions élémentaires : la fonction gouvernementale, la fonction législative et la fonction judiciaire. Les modes de recrutement des agents exerçant ces diverses fonctions et leurs rapports entre eux sont déterminés par la constitution que chaque État s’est donnée. Mais les caractéristiques fondamentales du système politique appliqué dans tel ou tel État dépendent souvent moins des textes constitutionnels que de l’usage qui en est fait, de la « dynamique » propre du système.

La distinction formelle entre la monarchie et la république est aujourd’hui bien dépassée. Elle concerne, au fond, la qualification de la personne (ou du groupe de personnes) chargée de représenter l’État souverain dans ses relations avec les autres États souverains : monarque (roi, empereur, régent, etc.), en principe héréditaire, exerçant ses fonctions sa vie durant, qu’il accède au pouvoir par la succession (Louis XVIII), l’élection (Louis-Philippe Ier) ou le plébiscite (Napoléon III) ; président de la République, élu pour une durée limitée (généralement rééligible une ou plusieurs fois) ; présidium composé d’un petit nombre de personnes désignées pour un temps également limité, mais ne se survivant, pratiquement, jamais elles-mêmes par la voie de l’hérédité.