Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

estampe (suite)

La gravure à l’eau-forte

Cette technique date du début du xvie s. Le dessin est tracé à la pointe sur une plaque de cuivre enduite d’un vernis inattaquable à l’acide — celui-ci ne creusant le cuivre qu’aux endroits où la pointe a entamé le vernis. On peut répéter plusieurs fois les opérations de vernissage et de morsure à l’acide, et annuler ou atténuer les creux résultant de cette morsure avec le grattoir et le brunissoir. Ainsi a-t-on différents « états » successifs d’une même estampe. L’eau-forte a un aspect moins rigoureux que le burin ; elle demande moins d’habitude technique tout en traduisant fidèlement les intentions de l’artiste ; aussi de nombreux peintres la pratiquent-ils comme un second moyen d’expression.

Il est fréquent de retoucher au burin une estampe obtenue à l’eau-forte, et l’amalgame des deux techniques empêche bien souvent de reconnaître dans une même œuvre la part de chacune d’elles. Ajoutons qu’une pointe sèche parfaitement ébarbée ressemble à une eau-forte.

L’aquatinte, dite aussi « gravure en manière de lavis » en raison de l’effet produit

Elle fut inventée concurremment par plusieurs artistes français vers le milieu du xviiie s. On répand sur le cuivre une poudre de résine que l’on fixe par chauffage : l’action de l’acide produit une infinité de petits creux (entre les grains de résine) qui retiendront l’encre ; des blancs peuvent être réservés au vernis. Pour varier les valeurs, on répète à volonté les immersions dans l’acide, préparées par de nouveaux vernissages et saupoudrages.

L’aquatinte en couleurs s’obtient en général soit avec deux planches, l’une pour le trait et les ombres, l’autre pour les couleurs passées « à la poupée », soit avec une planche pour chaque couleur primaire, plus le noir, l’impression successive des planches se faisant « au repérage ».

Le vernis mou, ou gravure en manière de crayon

Dans ce procédé, le dessin est réalisé au crayon sur un papier à grain fin. Celui-ci est posé sur la plaque de métal préalablement recouverte d’un vernis peu adhésif à base de suif. Sous la pression du crayon, le vernis colle au papier et se détache du métal lorsqu’on retire la feuille. Le tracé mis à nu est ensuite livré à l’acide. Légèrement grenu, il donne l’équivalent d’un dessin au crayon gras. Le vernis mou fut utilisé à partir de la fin du xviiie s.


Le xviiie siècle

La prééminence de l’école française franchit un nouveau pas au xviiie s., où Paris devient l’école de gravure de l’Europe. La diversité des techniques, le nombre des artistes, l’adaptation parfaite de leur art au goût de la fin de l’Ancien Régime — c’est-à-dire à celui de la société « cultivée » de l’Europe entière — expliquent cette domination française. Toutefois, avec l’habileté des graveurs croît la tentation de la facilité, et l’on trouve parmi eux moins de personnalités marquantes qu’au siècle précédent. La vie et la justesse des scènes parisiennes de Gabriel de Saint-Aubin* restent exceptionnelles, comme la liberté des Bacchanales exécutées par Fragonard* en Italie.

L’estampe, s’appliquant très souvent aux scènes de genre, aux tableaux de mœurs, pénètre vraiment dans la vie quotidienne, décorant la moindre demeure. La virtuosité s’exerce également dans la vignette d’illustration et dans les nombreuses variations apportées aux techniques de base de la taille-douce : ainsi l’aquatinte en couleurs est représentée par Jean François Janinet (1752-1814) et par le primesautier Philibert Louis Debucourt (1755-1832). Un fait remarquable est le début de la spéculation sur l’estampe, dont le commerce est mené par de fins connaisseurs, historiens d’art ou graveurs eux-mêmes. Le plus célèbre d’entre eux est Pierre Jean Mariette (1694-1774), collectionneur et écrivain, dont l’Abecedario fait le point des connaissances de son temps en histoire de l’art.

L’estampe de reproduction est pratiquée à une grande échelle. Pierre Crozat, grand collectionneur, eut l’idée de faire graver les dessins qu’il possédait, les faisant accompagner de notices par Mariette. Puis Jean de Julienne, ami de Watteau*, fit graver l’œuvre de celui-ci après sa mort. La personnalité des graveurs, ici, s’efface devant le brio du modèle. Il en est de même lorsque est reproduite l’œuvre de Chardin* ou de Boucher* (qui, graveur également, réalisa une partie importante du « Recueil Julienne » d’après Watteau). Citons Charles Nicolas Cochin le Père (1688-1754), qui dirigea l’élaboration du « Recueil Julienne », Laurent Cars (1699-1771), Bernard Lépicié (1698-1755) et, pour la « manière de crayon », Gilles Demarteau (1722-1776), de Liège. Suprêmement habiles, en particulier dans le rendu des lumières, ces graveurs suivirent les conseils techniques de Cochin, auteur d’un traité de gravure que sa minutie a fait comparer à un livre de cuisine.

Le goût des petites dimensions se manifeste particulièrement dans l’illustration du livre. Le format in-12 triomphe de 1750 à 1780 environ, avec une illustration soigneusement intégrée au texte. Jean Michel Moreau le Jeune (1741-1814) illustre les œuvres de Rousseau ; Hubert François Bourguignon, dit Gravelot (1699-1773), Charles Eisen (1720-1778), Pierre Philippe Choffard (1730-1809) font preuve d’un talent un peu sec et facile dans les Contes de La Fontaine, la Nouvelle Héloïse, les Baisers de Dorat. Choffard triomphe dans l’estampe utilitaire : invitations, ex-libris, entrées de bal, etc. Illustrateur, mais aussi dessinateur et graveur des Menus-Plaisirs, Charles Nicolas Cochin le Fils (1715-1790) laisse une suite remarquable sur les fêtes de la Cour de 1739 à 1749.

Pour apprécier de nouveaux courants de pensée, à cette époque comme à la Renaissance, il n’est pas inutile de considérer l’estampe plus modeste, souvent anonyme. Ainsi l’on voit, dès 1770, apparaître un sens nouveau de la nature. Si Jean-Jacques de Boissieu (1736-1810) peut être considéré comme un excellent graveur — il est l’auteur d’une centaine de paysages où de vrais paysans voisinent avec des ruines antiques importées dans de paisibles campagnes françaises —, combien d’artistes moins connus ont orchestré la même formule ! D’autres thèmes apparaissent au gré des modes, celle du paysage alpestre ou celle de l’exotisme. Enfin, l’estampe participe à l’information scientifique, en particulier dans l’illustration de l’Encyclopédie.