Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Espagne (suite)

Les architectes de Tolède*, qui paraissent avoir été un certain maître Martin, puis Petrus Petri (Pedro Pérez), empruntèrent à Bourges et au Mans le parti général du chevet, un double déambulatoire étage entourant le chœur et l’abside, mais sans qu’on y retrouve le mouvement ascensionnel des modèles. La cathédrale de Burgos, dont la première pierre fut posée par l’évêque Mauricio le 20 juillet 1221, est un pur produit d’importation en dehors des éléments décoratifs de son triforium et des remaniements ultérieurs. Quant à la cathédrale de Léon, commencée vers 1255, c’est une réduction de la cathédrale de Reims.

Comme leurs antécédents français, les cathédrales castillanes du xiiie s. s’accompagnent d’un riche décor sculpté, disposé aux mêmes endroits sensibles et ayant la même signification iconographique. Les plus anciens témoignages s’en trouvent dans la cathédrale de Burgos, sur les deux portails ouverts aux extrémités du transept. Celui du midi, dit « du Sarmental », est l’œuvre d’excellents artistes venus du chantier d’Amiens. Doué d’une remarquable vitalité, l’atelier de Burgos continua à enrichir au cours du xiiie s. l’intérieur de l’édifice, ainsi que le cloître qui lui fut adjoint. À León, l’exécution du décor fut lente et irrégulière. Tolède, enfin, n’atteignit jamais au haut niveau artistique des deux cathédrales précédentes.

En Catalogne*, l’art gothique évolua d’une manière autonome, aussi original dans le traitement de l’édifice à collatéraux — cathédrale et église de Santa María del Mar à Barcelone* — que dans les soins apportés à la nef unique.

L’ouverture à l’extérieur demeure de règle dans l’histoire de la peinture. Celle-ci se trouve conditionnée par un jeu d’influences qui accorde successivement à deux pays, la France et l’Italie, un rôle de magistère. Dans un premier temps pénètre un style qui dominait en France depuis le milieu du xiiie s. Il se caractérise par la préférence accordée à la ligne et au ton local. Sous des aspects relativement simples, cet art dissimule un raffinement extrême. Il apparaît d’abord dans l’atelier d’enluminure que le roi Alphonse X le Sage (1252-1284) établit à sa cour : on compte parmi les chefs-d’œuvre de cette production le livre des Cantigas de Santa María, poèmes composés en galicien par le Roi Savant.

Dans les pays de la Méditerranée, l’adoption du style gothique fut contrecarrée par l’intervention précoce de l’Italie. On connaît l’importance, tant sur le plan de l’iconographie que sur celui du style, des peintures murales de la chapelle San Miguel au couvent des clarisses de Pedralbes, dans le nord-ouest de Barcelone. En 1346, Ferrer Bassa (v. 1285-1348) y apparaît à la convergence de deux directions : la voie difficile proposée par Giotto et l’orientation siennoise, apparemment plus aisée. Cette dernière devait l’emporter dans la seconde moitié du xive s. avec le triomphe du retable.

À la fin du xive et au début du xve s. apparaît en peinture une manière élégante et séduisante, désignée du nom de « style gothique* international » : l’Europe entière contribua à son élaboration. Il exprime avec bonheur les goûts de la société courtoise et chevaleresque de l’époque, ainsi que ses rêves d’évasion. Pendant la durée de deux générations, Valence fut un creuset où se mêlèrent les apports d’un italianisme délicat et l’expressionnisme germanique. Barcelone, également fécondée par le style international, produisit à la même époque une suite de talents d’où émergent la personnalité de Lluís Borrassà (v. 1360-1424/25) et celle de Bernat Martorell († 1452).

L’Espagne « européenne » dont nous évoquons l’évolution à l’époque gothique n’est pas toute l’Espagne. À côté d’elle subsiste le royaume indépendant de Grenade, avec son art hispano-moresque. Il existe enfin un troisième domaine artistique, moins connu peut-être, mais non moins original, celui du mudéjar.

La victoire chrétienne de Las Navas de Tolosa n’avait pas sonné le glas des influences musulmanes dans les terres reconquises par la croix. Des communautés musulmanes importantes s’étaient maintenues en Castille, en Aragon et dans le pays de Valence. Leur action relaya et développa en profondeur celle qu’exerça le royaume de Grenade.

On doit distinguer deux aspects dans le style mudéjar. Parfois, il s’agit de constructions raffinées, exécutées pour le compte de souverains chrétiens par des artistes appelés de Grenade : ainsi la résidence du roi de Castille Pierre Ier le Cruel (1350-1369) dans l’Alcázar de Séville ; on peut rattacher à cette architecture délicate les deux anciennes synagogues de Tolède, Santa María la Blanca et Nuestra Señora del Tránsito, qui évoquent la place de choix tenue dans le royaume de Castille par la communauté israélite jusqu’à l’avènement des « Rois Nouveaux » (1369).

Dans l’immense majorité des cas, cependant, le mudéjar évoque des édifices moins racés. Il est lié à des techniques populaires dont les musulmans gardaient un monopole quasi absolu : construction en brique, décor mural en plâtre sculpté et en mosaïques de terre émaillée (azulejos), manière originale de traiter les plafonds (artesonados). L’architecture mudéjar s’est considérablement développée à Tolède avec l’érection de très nombreuses églises monastiques et paroissiales. Le mudéjar aragonais, plus évolué que le tolédan, est célèbre par ses clochers-minarets, bâtis sur plan carré ou polygonal.

Les divers courants ayant traversé et vivifié l’art espagnol se fondent en définitive dans une brillante synthèse à l’automne du Moyen Âge, au moment où les Rois Catholiques réalisent l’unité du pays. On reconnaît dans l’architecture et la sculpture de cette époque, et jusqu’à un certain point dans la peinture, les caractères de l’art de l’Europe occidentale fréquemment désigné du nom de « gothique tardif ». À cette notion correspond une conception particulière de l’espace architectural, qui n’est plus fractionné et compartimenté comme il l’était dans les cathédrales de type français, mais qui va au contraire vers son unité, suivant en cela la voie ouverte, dès la fin du xiiie s., par le gothique catalan. Simultanément, le mouvement vertical, caractéristique de l’art des cathédrales, et la tension qu’il engendre s’atténuent ; parfois même, ils sont supprimés. C’est le règne de la « détente ».