Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Espagne (suite)

Le milieu naturel


Un bastion peu accessible

La péninsule Ibérique a souvent été comparée à une citadelle : ceinturés de montagnes, les hauts plateaux castillans, les plus vastes d’Europe, et le bassin de l’Èbre sont en effet d’un accès difficile. En dehors de la plaine andalouse, largement ouverte sur l’Atlantique, les plaines sont rares, de petites dimensions et cantonnées au voisinage du littoral. On comprend, dans ces conditions, que l’Espagne se place au second rang européen derrière la Suisse pour son altitude moyenne, deux fois plus élevée que celle de la France, bien que ses plus hauts sommets n’atteignent pas 3 500 m.

L’aspect de bastion s’explique par la présence d’un bloc rigide, grossièrement quadrangulaire, qui constitue l’armature du relief de toute la Péninsule : la Meseta. Il s’agit d’un fragment de socle hercynien, demeuré vraisemblablement émergé pour la plus grande part au cours des ères secondaire et tertiaire et qui affleure largement dans l’ouest du pays. Raboté par l’érosion durant des millions d’années, il offre des paysages d’une grande monotonie : le moutonnement infini de croupes schisteuses et granitiques sombres n’est dominé que par quelques chicots quartzitiques particulièrement résistants (Estrémadure) et creusé de gorges sauvages par les rivières les plus importantes. Vers l’est, en Vieille- comme en Nouvelle-Castille, le socle disparaît sous une couverture tertiaire. Demeurée pratiquement intacte dans la Manche, où la platitude est remarquable, la plate-forme rigide des calcaires lacustres qui la couronne a été entaillée de vallées à corniches par les réseaux du Duero et du Tage : ce sont les « páramos », secs et austères, que limite à l’ouest un coteau sinueux à l’avant duquel se détachent quelques buttes témoins. Là où les calcaires ont disparu, de molles collines taillées dans des marnes d’une blancheur aveuglante sous le soleil composent le paysage de « campiña ».

La Meseta est divisée en deux parties par la cordillère centrale Ibérique. Formée d’une série de massifs disposés en coulisse, celle-ci s’allonge de l’O.-S.-O. à l’E.-N.-E. et culmine à 2 661 m dans la sierra de Gredos. Bien que les plus hauts sommets aient été façonnés par les glaciers quaternaires, les parties culminantes conservent la trace incontestable d’un aplanissement ancien. La cordillère centrale est en effet un fragment de socle soulevé par failles au Tertiaire.

De la même façon, le puissant bourrelet des monts Cantabriques, qui isole la Vieille-Castille du golfe de Gascogne, résulte d’un jeu de failles tertiaires, combinées vers l’est à une composante tangentielle d’autant plus notable que le socle, formé de terrains sédimentaires primaires, est plus souple. Lithologiquement contrasté, ce matériel a été violemment disséqué par des cours d’eau torrentiels dévalant vers la mer Cantabrique. Guère de traces d’aplanissement dans ces montagnes sauvages, dont le massif des Picos de Europa est l’un des plus beaux exemples : puissante masse calcaire profondément karstifiée, coupée de cañons impressionnants, il dresse ses cimes déchiquetées par les glaciers quaternaires à 2 648 m. Vers l’ouest, au contraire, au fur et à mesure que le socle devient plus rigide et le relief moins énergique, le paysage de plate-forme est de nouveau dominant : en Galice et aux confins du León, des bombements et des failles orthogonales (dont certaines ont joué tardivement) interfèrent pour individualiser une marqueterie de massifs et de bassins à travers lesquels le río Miño et son affluent le Sil se fraient difficilement un passage.

La partie méridionale de la Meseta a connu des déformations tertiaires beaucoup plus modestes. Les chaînons appalachiens des monts de Tolède et des sierras qui les prolongent à l’ouest résultent sans doute d’une reprise d’érosion consécutive au rejeu tertiaire de failles anciennes, mais certains ne sont que de simples reliefs résiduels. Quant à la sierra Morena, qui borde la Meseta au sud, elle n’est qu’un bourrelet insignifiant né d’un bombement dissymétrique de faible amplitude et dont l’énergie de relief est due aux gorges profondes qu’y ont creusées les affluents de la rive droite du Guadalquivir.

Cependant, quelle que soit leur importance, tous les reliefs qui se dressent à la surface de la Meseta ont en commun la raideur de leurs flancs, contrastant singulièrement avec les immenses platitudes qui se développent à leur pied. Ce trait de paysage est hérité du façonnement du modelé dans l’ambiance climatique subaride qui régnait à la fin du Tertiaire : de vastes pédiments ont mordu sur les reliefs, qui ont pris l’allure d’inselbergs. Au début du Quaternaire, les débris livrés par ces reliefs ont été étalés en de puissants cônes de piémont, dont les argiles rouges qui enrobent des blocs grossiers (rañas) empourprent le paysage. Le creusement des vallées, à niveaux de terrasses étages pour les plus importantes, n’a souvent guère altéré ces traits, qui ont fait écrire que les Castilles avaient déjà figure de cuvettes africaines.

Sur sa bordure orientale, la Meseta est longée du N.-O. au S.-E. par la chaîne Ibérique. Relief bien médiocre que ces montagnes qui, vues de quelque point haut, se présentent comme un immense plateau de moins de 1 500 m d’altitude sur lequel quelques dômes dépassant 2 000 m (Moncayo, 2 313 m) semblent posés. Née sur l’emplacement d’un sillon sédimentaire secondaire, cette chaîne de plissement tertiaire a été presque intégralement nivelée dans le prolongement des páramos mésétains. Si des chaînons s’y individualisent, c’est grâce à l’excavation des roches tendres, d’ailleurs peu épaisses, plus qu’aux déformations récentes, qui sont restées limitées. Ainsi, quoique se rattachant à un domaine structural entièrement différent, la chaîne Ibérique fait encore partie intégrante de la Meseta par ses paysages de plate-forme.

C’est également vrai du bassin de l’Èbre, qui correspond à un fragment de socle triangulaire tardivement effondré et fossilisé sous d’épais dépôts continentaux tertiaires. L’Èbre et ses affluents ont largement érodé la dalle de calcaires lacustres qui couronnait la série et qui ne subsiste plus qu’en tables résiduelles, les « muelas ». Dans les marnes gypsifères sous-jacentes, ils ont modelé d’amples terrasses et glacis d’érosion étagés qui inscrivent leur profil rigide sur l’horizon. Le déblaiement est ici beaucoup plus avancé que dans les Castilles, car la cordillère Catalane ne constitue pas un obstacle notable au creusement de l’Èbre, qui la traverse à la faveur d’effondrements transversaux.