Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

ésotérisme (suite)

Au ive s. av. J.-C., chez Platon comme chez Aristote, le terme ne distingue que les doctrines. Il existait, semble-t-il, une double philosophie platonicienne. Le premier aspect de celle-ci était exotérique et exposé dans les dialogues connus, sous une forme principalement dialectique et accessible à tous, comme une philosophie des « idées ». Le second aspect, ésotérique, plus abstrait et dogmatique, constituait une philosophie d’inspiration pythagoricienne et un système des nombres. Aristote a divisé lui-même ses ouvrages en « acroamatiques » ou « ésotériques » et en « exotériques ». Ses commentateurs admettent que cette différence ne porte ni sur les questions posées, ni sur les réponses, mais plutôt sur la forme et sur les procédés d’argumentation et d’exposition.


Ésotérisme et herméneutique

Dans l’histoire des religions qui possèdent des livres saints, et en particulier dans l’histoire du christianisme et de l’islamisme, la plupart des conflits apparus entre les sectes ont été provoqués par l’opposition ou par les divergences entre les interprétations ésotériques ou exotériques des écritures sacrées, c’est-à-dire par les conflits des herméneutiques.

Dès la gnose contemporaine des premières générations de l’islām, on attribuait au Prophète le ḥadīth suivant : « Le Coran a un sens exotérique et un sens ésotérique. À son tour, ce sens ésotérique a un sens ésotérique et ainsi de suite jusqu’à sept sens ésotériques. »

Cette pluralité de sens « spirituels » cachés sous le sens « littéral » avait nécessairement pour conséquence une diversité du mode d’être du « vrai fidèle », selon qu’il était initié ou non à cette communication « intérieure » et « intime » avec l’enseignement du Prophète.

L’affirmation de l’existence de cet ésotérisme suffisait donc à mettre en cause l’unité de l’enseignement religieux, ses critères et ses méthodes didactiques, en même temps qu’elle constituait un obstacle assez évident à la propagation populaire et universelle de la foi. En d’autres termes, le conflit des herméneutiques portait moins sur les textes que sur l’autorité religieuse et civile des herméneutes, et l’on comprend mieux ainsi toute la violence des réactions du littéralisme sunnite contre l’ésotérisme chī‘ite et ismaélien. De même, on connaît, dans le christianisme, de nombreux exemples de la lutte menée par l’Église contre toute tendance à la recherche des sens ésotériques de l’enseignement évangélique et l’on sait avec quelle méfiance furent toujours accueillies les interprétations de l’Apocalypse par des mystiques et par des théologiens imprudents.

Il n’en demeure pas moins que les deux grandes catégories d’attributs qui se rapportent respectivement à la divinité, Deus absconditus, « Dieu caché », et Deus revelatus, « Dieu révélé », ont pour conséquence logique et nécessaire la convergence et l’accord de ce qui est caché et de ce qui est révélé, de l’ésotérique et de l’exotérique, dans la Parole divine elle-même, comme dans l’univers créé, l’un et l’autre constituant en tant qu’unité vivante le « Mystère des mystères ». Dans ces conditions exclure l’ésotérisme de l’interprétation des écritures sacrées n’est pas moins grave que de lui signifier qu’il doit renoncer à toute étude des lois de la nature et de la société.

À l’origine de ces deux interdits dogmatiques se trouve la même opposition à la liberté spirituelle, la même volonté de maintenir une autorité contestée. Il convient, cependant, de rappeler qu’en maintes civilisations et en d’autres religions, notamment en Inde, en Chine et au Japon, l’ésotérisme et l’exotérisme ne se sont pas opposés dans le brahmanisme ni dans le bouddhisme.

De toute antiquité, en Inde par exemple, l’enseignement donné dans les āśrama, ou « ermitages » (du sanskrit śrama, effort dans les exercices religieux), était ésotérique et initiatique. Les livres « forestiers » d’où dérivent les Upanishad ont pris naissance dans ces lieux de méditation et de travail, à l’écart de l’agitation et du bruit des foules. Dans la tradition bouddhique, l’aśram désignait une retraite, à quelque distance d’un village, où s’isolait un sage pour y résider et y méditer, entouré de quelques disciples. En une autre acception, le terme d’aśram s’applique non plus à un lieu géographique, mais à une étape spirituelle dans la vie des initiés de l’un des ordres supérieurs, les dvija (ou « deux fois nés »).

Selon toute vraisemblance, la vie des premiers pythagoriciens comme celle des ermites chrétiens de la Thébaïde et de la Gaule devaient se rapprocher beaucoup de ces lointaines traditions indo-européennes. Pendant des siècles, la vie monastique a conservé en Occident, avec le souvenir de ses origines érémitiques, la mémoire de la gnose chrétienne et de son enseignement ésotérique à une élite spirituelle.

R. A.

➙ Alchimie / Franc-maçonnerie / Initiation / Magie / Mystère.

 H. Diels, Doxographi Graeci (Berlin, 1879 ; 2e éd., 1929). / A. Aall, Der Logos. Geschichte seiner Entwicklung in der griechischen Philosophie und der christlichen Litteratur (Leipzig, 1896-1899 ; 2 vol.). / L. Renou, la Civilisation de l’Inde ancienne (Flammarion, 1950). / L. Benoist, l’Ésotérisme (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1963 ; 3e éd., 1970). / H. Corbin, l’Homme de lumière dans le soufisme iranien (Libr. de Médicis, 1971).

espace (perception de l’)

Percevoir l’espace, c’est être capable de situer les objets les uns par rapport aux autres, d’apprécier les relations qu’ils entretiennent entre eux et la façon dont ils se situent par rapport à nous.


Il s’agit donc de percevoir les directions, d’évaluer des distances et des grandeurs.

La géométrie euclidienne définit l’espace par rapport à trois axes rectangulaires ; plus tard, la géométrie topologique, la géométrie projective, la géométrie affine ainsi que toutes les géométries non euclidiennes donnèrent leur propre définition de l’espace sans qu’aucune ne satisfasse complètement le psychologue. Celui-ci est, en effet, tenté d’utiliser le terme d’espace psychologique, mais également celui d’espace auditif, celui d’espace visuel, etc., qui, prenant comme référence le sujet, sont à la fois plus variés et plus dynamiques.