épicurisme (suite)
La morale, ou « la théorie des plaisirs »
S’il est vrai que l’âme n’est, comme le corps, qu’un composé d’atomes, la terreur des hommes à l’égard de la mort n’est pas moins absurde que la crainte des dieux. Dans le désarroi qui accompagne la décadence politique de la cité grecque, la tâche des philosophes fut alors de définir le « souverain bien » et d’élaborer une haute conception du bonheur. Nonobstant l’incompréhension que suscita la doctrine, l’épicurisme n’est rien d’autre qu’une morale rationnelle du plaisir. Ce dernier se produit de lui-même lorsque, par le jeu des organes naturels, l’équilibre physiologique est établi dans un être vivant. Le plaisir est une limite qui ne peut être dépassée sans se transformer immédiatement en douleur. Le plaisir est donc un bien par lui-même, mais un bien fragile, précaire, toujours menacé par une rupture d’harmonie. D’où un véritable calcul des plaisirs et une discipline ascétique que s’impose l’épicurien : se suffire à soi-même, se contenter de peu, se moquer du destin deviennent les préceptes fondamentaux.
Comment, pratiquement, réaliser cet idéal ? En suivant la nature, d’une part, et en opérant un choix raisonné parmi les désirs. On distingue, parmi ceux-ci, les désirs naturels et nécessaires, les naturels et non nécessaires, enfin ceux qui ne sont ni naturels ni nécessaires. Les derniers sont à proscrire, les deuxièmes à éviter, les premiers à satisfaire pleinement et joyeusement : il s’agit des plaisirs corporels élémentaires.
On voit combien le caractère sobre et sévère de la doctrine d’Épicure ne peut être confondu avec la morale hédoniste, professée par Aristippe de Cyrène, Eudoxe de Cnide et, plus tard, le cynique Hégésias. L’hédonisme ne considère que l’intensité du plaisir et de la douleur et non les différences qualitatives qui peuvent exister entre eux. Épicure ne cherche qu’un plaisir calme et stable, une sérénité d’âme, l’« ataraxie », forme de la sagesse et le plus grand des biens.
Parmi les écoles contemporaines, c’est avec l’école stoïcienne que la comparaison est le plus féconde.
L’épicurisme n’est pas l’hédonisme
« Nous disons que le plaisir est le commencement et la fin de la vie heureuse [...] ; le plaisir est notre bien principal et inné, mais nous ne recherchons pas tout plaisir. » (Lettre à Ménécée.)
« La limite de la grandeur des plaisirs est l’élimination de tout ce qui provoque la douleur. » (Épicure, III.)
« Aucun plaisir n’est en soi un mal, mais certaines choses capables d’engendrer des plaisirs apportent avec elles plus de maux que de plaisirs. » (Épicure, VIII.)
Disciples et successeurs
Métrodore, Polyen, Leontion, Colotès, Idoménée et Hermarque, le premier successeur d’Épicure, méritent d’être cités.
Seul Lucrèce* se fit l’apôtre, auprès des Romains, de la doctrine d’Épicure, en un poème, le De natura rerum. Lucrèce y poursuit l’entreprise de libération spirituelle amorcée par son maître. Des divergences, toutefois, apparaissent : tandis que la morale d’Épicure peut être décrite comme un réalisme désenchanté mais plutôt optimiste, la vision du monde lucrétienne est fondamentalement pessimiste : l’Univers et la vie sont dépourvus de sens, au point que la volonté de mettre l’homme en possession du bonheur se heurte au sentiment d’impuissance à réaliser ce dessein.
Influence de la doctrine
Vaincu par saint Augustin*, le pyrrhonisme et le scepticisme* jusqu’à Montaigne, l’épicurisme renaît dans la première moitié du xviie s., en France et en Angleterre. On en trouve des échos chez Gassendi, Hobbes, La Rochefoucauld, Helvétius, d’Holbach, Bentham, Stuart Mill, Spencer et Darwin.
M. D.
➙ Matérialisme.
P. Nizan, les Matérialistes de l’Antiquité, Démocrite, Épicure, Lucrèce (Éd. sociales, 1936 ; nouv. éd., Maspéro, 1968). / A. Cresson, Épicure, sa vie, son œuvre (P. U. F., 1940 ; nouv. éd., 1958). / A. J. Festugière, Épicure et ses dieux (P. U. F., 1946 ; 2e éd., 1968). / J. Fallot, le Plaisir et la mort dans la philosophie d’Épicure (Julliard, 1951). / J. Brun, l’Épicurisme (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1959 ; 5e éd., 1974) ; Épicure et les épicuriens (P. U. F., 1961 ; 2e éd., 1966). / P. Boyancé, Lucrèce et l’épicurisme (P. U. F., 1963) ; Épicure (P. U. F., 1969).