Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

environnement

Dans le sens restreint qui nous intéresse ici, l’environnement n’est pas une donnée de la nature, de l’histoire ou de l’urbanisme, mais une création de l’artiste : celui-ci propose des lieux privilégiés, car agencés par sa volonté, qui entourent le spectateur, le conditionnent ou suscitent chez lui certaines réactions.



Introduction

Cette notion d’environnement n’est pas étrangère à l’art du passé (grottes, jardins et parcs, fontaines). Des techniques telles que la fresque, le vitrail, la sculpture monumentale, quand elles jouent symphoniquement avec l’architecture comme à l’époque gothique ou baroque, créent des espaces qui englobent le spectateur dans une série de perspectives habilement ménagées et se modifiant au long du parcours. Un déambulatoire d’église gothique baigne dans la lumière tamisée des vitraux et offre une vision toujours différente des voûtes et des piliers du chœur. De même pour l’habillage dynamique des stucs, des peintures, du mobilier dans une église rococo. L’architecture, quand elle n’est pas combinaison de volumes — sensible surtout dans l’aspect extérieur —, est agencement d’espaces — sensible surtout à l’intérieur — et création d’environnement avec l’aide des peintres, des sculpteurs, voire des scénographes au xviiie s.

Aujourd’hui, la notion d’environnement créé par l’artiste n’est plus liée à l’architecture : elle est en train de conquérir une autonomie et une importance toujours plus grandes dans l’activité artistique. Le terme apparaît partout, mais recouvre les productions les plus diverses, souvent d’intentions radicalement différentes. Des causes générales sont à l’origine de cette prolifération : les divers genres traditionnels, peinture, sculpture, architecture, décoration (devenue design), ont perdu leur existence autonome et, de ces interférences, sont nés des produits artistiques nouveaux : objets, environnements, actions, etc. D’autre part, l’art ne répond plus uniquement au souci de ménager un tête-à-tête au spectateur isolé : il veut descendre dans la rue, se mêler à la vie quotidienne, s’adresser à tous, initiés ou non. Enfin, l’apparition de l’environnement comme moyen d’expression ne s’est pas faite brusquement. Des précédents sont décelables au cours des dernières années, qui permettent d’indiquer quelques directions dans une matière imprécise et fluante.


L’assemblage*

Collage en trois dimensions, combinaison d’objets préexistants créant un super-objet à signification propre, il aboutit aux œuvres de Edward Kienholz (né aux États-Unis en 1927), de Tetsumi Kudo (né au Japon en 1935), de Kurt Stenvert (né en 1920 en Autriche), aux chameaux de Nancy Graves (née en 1939 aux États-Unis) ou aux Migof de Bernard Schultze (né en Allemagne en 1916) ; mais le pas décisif vers l’environnement est fait lorsque les objets cessent d’être agglomérés pour être disposés comme dans un tableau vivant ou une vitrine de magasin. La Plage de Martial Raysse (né en France en 1936), la Chambre de Claes Oldenburg (né en Suède en 1929), certains Segal (George Segal, né aux États-Unis en 1924), certains agencements de Gino Marotta (né en Italie en 1935) peuvent illustrer les différentes possibilités de cette orientation que Kienholz exploite au mieux avec le salon Roxy’s et surtout le bar Beanery : le spectateur est enfermé dans un espace confiné où sont mêlés objets assemblés et objets disposés.


Le happening*

Il pourrait être défini comme un environnement en ébullition. De nombreux objets, pneus de Kaprow, estrades, cloisons légères, déterminent un lieu, plus près de l’atelier que du théâtre. Le spectateur devient lui-même matière première, élément essentiel de l’œuvre, qui est aléatoire — car le synopsis doit admettre toutes les interventions et actions des participants — et éphémère, car ne survivant pas au temps de son déroulement (groupe japonais Gutaï* ; Allan Kaprow, né aux États-Unis en 1927 ; Jim Dine, né aux États-Unis en 1935 ; Oldenburg ; Jean-Jacques Lebel, né en France en 1936). Plus concertée dans son déroulement, cette tendance rejoint le théâtre, le cérémonial (Antoni Miralda, né en Espagne en 1942), ou l’« action » de l’artiste isolé (Wolf Vostell, né en Allemagne en 1932).


Les chambres et les cages

À côté des lieux aménagés, voici ceux entièrement créés par l’artiste. Les précédents sont très divers : les pièces qu’habitait Mondrian*, le Proun de Lissitsky* ne sont pas de la décoration, n’adaptent pas un style aux exigences de la vie pratique, mais transposent dans une autre dimension les recherches de l’artiste. De même, dans un registre différent, le Merzbau de Schwitters* à Hanovre, malheureusement détruit. Des artistes aussi différents que Dubuffet*, Fontana*, Tinguely*, Niki de Saint-Phalle (née en France en 1930) font preuve du même désir d’amener leurs sculptures et peintures à des dimensions monumentales englobant le spectateur. D’autres, tels Lucas Samaras (né en Grèce en 1936), Luc Peire (né en Belgique en 1916) ou Yayoi Kusama (née au Japon en 1929), construisent des chambres aux parois de glace ; Ferdinand Spindl (né en Allemagne en 1913), des grottes d’épongés ; Mario Ceroli (né en Italie en 1938), des cages en grillage. Ces créations de lieux étranges, qui ne sont faits pour rien d’autre que la contemplation ou le jeu, se sont multipliées. Elles rejoignent souvent les recherches de l’architecture (pavillon français de la Biennale de Venise 1970 par l’équipe de Claude Parent) ou celles du design d’avant-garde (Joe Colombo, Italie, 1930-1971), et peuvent déboucher sur le décor et le mobilier urbains (mise en couleurs des édifices, espaces de jeux, etc.) : elles relèvent alors d’une acception plus large du concept d’environnement.


La sculpture habitacle ou praticable

Les sculpteurs modernes, tels Gabo et Pevsner*, ont découvert les possibilités du vide comme moyen d’expression. Tatline* avait rêvé d’amplifier certaines œuvres à l’échelle d’une architecture, comme dans son monument pour la IIIe Internationale (1920). Certains artistes ont des ambitions semblables : projets de Francesco Marino Di Teana (né en Italie en 1920), réalisations à Mexico de Mathias Goeritz (né en Allemagne en 1915). Les grands mobiles de Calder*, à Montréal ou à Spolète, sont sculptures de loin, mais agencements d’espace vus entre les supports. Étienne-Martin* rêve de la caverne ou de la tente du nomade dans ses demeures. Gérard Singer (né en France en 1929) propose des lieux imaginaires, topographies en plastique bleu ou blanc aux étranges érosions ; quant aux « pénétrables » de Soto*, ils absorbent complètement les assistants dans un jeu de verticales en Nylon ou en tiges métalliques.