Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

entreprise (suite)

La liberté du chef d’entreprise de fixer le sens de sa gestion et de structurer l’entreprise d’une manière telle qu’il croit devoir le faire a été affirmée d’une manière quasi constante par la jurisprudence : l’employeur est juge de la gestion. En termes d’administration de l’entreprise, il serait, pourrait-on dire, habilité à assumer la fonction « gestion du personnel » — dans le cadre de ses libres décisions — comme il le ferait en matière financière ou en matière commerciale. Si, récemment, des décisions de juridictions françaises ont semblé infléchir le principe — en condamnant des employeurs à indemniser des travailleurs congédiés à la suite de fautes de gestion ayant entraîné des fermetures d’usines —, la Cour de cassation, par contre, affirme le principe de la liberté du chef d’entreprise, qui est le seul à assumer, en fin de compte, la responsabilité de ses actes « managériels » et de leur répercussion sur l’emploi assumé par l’entreprise.


Le pouvoir « exécutif »

• Le principe : le pouvoir de commander. Le chef d’entreprise dispose d’un pouvoir de commandement lui permettant de formuler des injonctions, des ordres touchant au travail dans l’entreprise : son rôle est en cela comparable à celui d’un supérieur hiérarchique dans une administration publique. Le style est ici la décision unilatérale, voire l’instruction, mais ayant pratiquement un caractère obligatoire. On pourrait dire qu’il s’agit (si l’on utilise le langage des spécialistes du droit public) d’un « pouvoir discrétionnaire », guère d’une « compétence liée ». Certaines frontières existent néanmoins, qu’il convient de noter.

• Les frontières. Le pouvoir de commandement du chef d’entreprise ne peut s’exercer que dans le cadre général de la légalité, tracé par les lois et règlements en vigueur au moment où s’exerce le pouvoir. Un ordre qui serait contraire à la loi, à un décret, voire aux principes généraux du droit, n’obligerait ainsi aucunement celui qui le recevrait. La convention collective, par ailleurs, source juridique capitale en matière de droit du travail, constitue souvent une limitation sensible de l’activité hiérarchique du chef d’entreprise. (V. travail.)


Le pouvoir « législatif » : le règlement intérieur de l’entreprise

Il serait pratiquement impossible à une direction de déterminer quotidiennement dans le détail les modalités concrètes d’exécution du travail à faire assurer par les salariés dans les entreprises et les établissements employant un personnel nombreux. L’employeur est ainsi amené, en fait, à élaborer un règlement intérieur, véritable charte régissant certains aspects du travail dans la firme. Ce règlement intérieur — texte durable à portée générale — jouera le rôle de constitution ou, tout au moins, de législation à l’intérieur de l’entreprise.

Il peut édicter des règles de discipline, d’hygiène, de sécurité du travail, déterminer les horaires de celui-ci. Comme il peut entraîner des abus (aggraver, a posteriori, les conditions qui avaient été prévues lors de l’embauche par le contrat de travail ou, surtout, prévoir des sanctions contre les salariés), le législateur, d’une part, encadre le contenu des règlements — interdisant d’y prescrire certaines dispositions — et, par ailleurs, prévoit les modalités d’élaboration du règlement lui-même.

L’article 22, a, livre premier, du Code du travail français, modifié par l’ordonnance du 2 novembre 1945, impose l’établissement d’un règlement intérieur pour les entreprises employant habituellement au moins 20 travailleurs.

Certaines dispositions du règlement sont obligatoires, notamment celles qui concernent l’hygiène, comme la limitation ou l’interdiction de consommation de boissons alcoolisées. D’autres sont, par contre, prohibées, comme étant contraires à l’ordre public ou à une ou à des conventions collectives.

Le règlement doit être soumis à l’avis du comité d’entreprise (s’il existe) ou à l’avis des délégués du personnel. Il doit, de plus, être communiqué à l’inspecteur du travail, qui exerce sur ses dispositions un contrôle de conformité à la légalité : un recours pour excès de pouvoir peut être exercé contre la décision de l’inspecteur du travail. Enfin, le texte du règlement doit être déposé au secrétariat du conseil des prud’hommes (ou, à défaut, au greffe du tribunal d’instance) et affiché d’une manière lisible sur les lieux du travail et dans les locaux d’embauchage.


Le pouvoir « judiciaire » : les attributions disciplinaires du chef d’entreprise

Ce quatrième pouvoir semble s’analyser comme la conséquence des autres : le commandement, s’il n’est pas assorti de sanctions infligées à l’encontre de l’inexécution ou de la mauvaise exécution des ordres reçus, est pratiquement impossible à exercer. Le caractère particulièrement grave, pour le travailleur, de sanctions qui pourraient être injustement exercées à son égard a amené cependant le législateur à contrôler très particulièrement ce pouvoir dans l’entreprise. Il fait donc l’objet de limitations spécifiques.

Le « catalogue » des fautes et, par voie de conséquence, des sanctions à appliquer est plus délicat à établir en la matière qu’en droit pénal : les conventions collectives, cependant, exercent une action normalisatrice en ce domaine. Les peines frappant le travailleur dans son emploi étant de loin les plus redoutables, le congédiement fait l’objet, notamment, de dispositions particulières.

Les amendes — peines pécuniaires — ne peuvent, quant à elles, être prononcées qu’en application du règlement intérieur (lui-même n’ayant pu les prévoir qu’avec l’autorisation de l’inspecteur divisionnaire du travail) ; elles ne peuvent que sanctionner des écarts de comportements en matière de discipline, d’hygiène, de sécurité ; le taux et le montant en sont limités, leur produit va à la caisse de secours du personnel et non plus, comme jadis, à l’entreprise elle-même.