Ensor (James) (suite)
L’incompréhension du public et de la critique fut si durable qu’elle incita cet artiste hypersensible et ombrageux à renoncer partiellement à son art et à se réfugier dans une misanthropie sarcastique que reflètent ses écrits polémiques, foisonnants de néologismes et de redondances ubuesques. De 1900 à 1939, année de ses dernières peintures, son œuvre, malgré quelques réussites (Saint Antoine turlupiné, coll. privée), prolonge sans vigueur les trouvailles précédentes.
Dans ses dessins et ses gravures alternent l’expressionnisme lyrique (la Vive et Triomphante Entrée du Christ à Jérusalem, 1885, fusain), les paysages lumineusement poétiques (Grande Vue de Mariakerke, 1887, eau-forte ; le Grand Bassin d’Ostende, 1888, eau-forte), les caricatures rabelaisiennes (la Bataille des éperons d’or, 1895, eau-forte).
Les poètes furent les premiers à déceler son génie : les symbolistes* lui consacrent un numéro de la Plume en 1899, et Verhaeren une biographie en 1908. À partir des années 20, Ensor est célébré, fêté, et le roi de Belgique lui donne le titre de baron. Chacun s’aperçoit enfin que le prodigieux répertoire onirique et plastique du maître annonce aussi bien les audaces d’Emil Nolde (qui vint le voir en 1911) que telles provocations de dada ou telles inventions de Klee. Comme Alfred Jarry, Ensor devance le xxe s., mais sans la cruauté de l’écrivain, car disait-il, « en broyant du noir, j’ai vu du rose ».
S. M.
P. Fierens, James Ensor (Hypérion, 1943). / P. Haesaerts, James Ensor (Elsevier, Bruxelles, 1957). / J. Damase, l’Œuvre gravé de James Ensor (Motte, Genève, 1967). / F. C. Legrand, Ensor, cet inconnu (Renaissance du livre, Bruxelles, 1971).