Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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enseignants (les) (suite)

L’existence même d’un enseignement supérieur dans un cadre universitaire est en France un phénomène relativement récent. Le décret de mars 1808 organisant l’Université impériale créa bien, à côté des anciennes écoles de médecine et de droit, transformées en facultés, les facultés des lettres et des sciences. Mais la raison d’être de ces dernières facultés se bornait à la collation des grades, et notamment celui du baccalauréat. L’enseignement supérieur littéraire était donc inexistant. Quant à l’enseignement supérieur scientifique, il était donné au Muséum ou à l’École polytechnique. C’est seulement avec la IIIe République, par la création, en 1877, de bourses de licence et de maîtrises de conférences, puis, à partir de 1880, par les décrets fixant la forme des licences et autres grades universitaires, par le décret du 28 décembre 1885 organisant les facultés et par les nombreuses constructions universitaires entreprises à cette époque, que l’enseignement supérieur eut véritablement une existence institutionnelle.

Sous la Restauration, la monarchie de Juillet et le second Empire, les maîtres de l’Université comprenaient donc un nombre restreint d’esprits brillants (A. F. Villemain, F. Guizot par exemple), dont les cours s’adressaient en fait à un public intellectuel ou mondain plutôt qu’à des étudiants, puisqu’il n’existait guère d’étudiants avant 1877. Ce n’est que sous la IIIre République qu’apparaît la fonction, telle que nous la connaissons actuellement, de professeur de faculté ou d’université.

Dans le domaine de l’enseignement supérieur, l’évolution a été plus rapide encore au cours des dix dernières années que dans l’enseignement secondaire. Entre 1950-51 et 1965-66, le nombre des inscriptions en première année d’université est multiplié par 10,5 en Suède, par 10 au Canada, environ par 7 en Turquie, en France et en Norvège, environ par 6 en Yougoslavie, en Belgique, en Autriche, au Danemark, en Allemagne, aux États-Unis et par 4 ou 5 au Portugal, en Suisse, en Angleterre, en Irlande, en Espagne et en Italie. Cette explosion des effectifs, que n’a guère affectée la création — qui s’est généralisée dans un grand nombre de pays — d’un enseignement supérieur court, d’orientation plus professionnelle et technique, a eu d’abord un certain nombre de conséquences, de nature quasi mécanique, sur la structure du corps enseignant. Ainsi, les nécessités de l’encadrement ont entraîné une augmentation considérable de ce corps et, en même temps, une déformation de la pyramide hiérarchique, de plus en plus élargie à la base. Le nombre des professeurs et des maîtres de conférences passe en France de 3 152 (46 p. 100) en 1956-57 à 4 903 (33 p. 100) en 1963-64, tandis que celui des maîtres assistants passe de 2 479 (44 p. 100) à 10 195 (67 p. 100) pendant la même période. L’évolution est comparable, quoique moins marquée, en Allemagne, où le nombre des étudiants reste sensiblement plus faible qu’en France.

Corrélativement, l’explosion universitaire a également engendré un rajeunissement, sans doute considérable, du corps enseignant au niveau de l’enseignement supérieur.

Mais cette explosion a eu d’autres conséquences. La plupart des pays européens étant caractérisés, à l’exception de la Grande-Bretagne, par un système de recrutement non sélectif et laissant à l’étudiant l’entière liberté de son orientation, les facultés ont souvent, par la force des choses, perdu leur caractère d’écoles supérieures de formation professionnelle. Ainsi, le débouché normal des étudiants des facultés françaises des lettres et des sciences était, jusqu’à il y a à peine plus d’une dizaine d’années, celui de l’enseignement. Aujourd’hui, les professions se sont diversifiées et multipliées en fonction du développement technique. Ce facteur, ajouté à l’augmentation du nombre des étudiants, fait que ces facultés se sont, si l’on peut dire, « déprofessionnalisées » : elles ne conduisent plus à des professions déterminées.

Ce phénomène engendre des difficultés analogues à celles qu’on observe au niveau de l’enseignement secondaire : les étudiants sont, en moyenne, de niveau social plus bas aujourd’hui qu’il y a dix ans. Leurs attentes sont, en conséquence, plus « professionnelles ». Corrélativement, la vocation professionnelle de l’enseignement supérieur tend à se dissoudre.

Cette contradiction engendre une insatisfaction profonde des étudiants, en même temps qu’elle place les maîtres de l’enseignement supérieur en une situation conflictuelle et psychologiquement incertaine. Ces tensions se traduisent par les difficultés éprouvées à définir les finalités de l’enseignement supérieur et par une multiplication quelquefois anarchique des innovations.

La structure de l’enseignement supérieur américain préfigure peut-être une évolution nécessaire vers une différenciation des établissements d’enseignement supérieur. Le système américain se caractérise en effet, d’une part, par l’existence d’institutions de niveau plus ou moins élevé (junior colleges, four-year colleges, graduate faculties) et, d’autre part, par l’existence d’une grande diversité dans la qualité des établissements. Corrélativement, l’auto-orientation libérale de l’étudiant, qui caractérise dans une large mesure les systèmes européens, a été remplacée par un système d’orientation plus ou moins complexe et plus ou moins directif, assumé par l’enseignement supérieur lui-même. Ces différences entre le système américain et les systèmes européens s’expliquent en grande partie par le fait que le taux de scolarisation au niveau de l’enseignement supérieur est beaucoup plus élevé aux États-Unis qu’en Europe. Elles ont pour conséquence que les maîtres de l’enseignement supérieur assument des rôles beaucoup plus diversifiés aux États-Unis : l’enseignement des « junior colleges » est proche de l’enseignement secondaire, tandis que l’enseignement « post graduate » des grandes universités est un enseignement de recherche de très haut niveau. En même temps, l’abandon du système de l’orientation libérale confère à l’enseignant une fonction d’orientation qui modifie considérablement le rôle du maître traditionnel de l’enseignement supérieur.