Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

enseignants (les) (suite)

Bref, le Moyen Âge est l’époque où naissent un certain nombre d’institutions et d’idées clés de l’enseignement moderne : on y voit apparaître l’institution de l’enseignement secondaire, préludant à l’enseignement supérieur (droit, médecine, théologie). On y voit aussi apparaître la notion que l’enseignement secondaire doit viser davantage à la formation qu’à la communication de savoirs particuliers. En corollaire, l’enseignement secondaire se caractérise par son formalisme. Le formalisme de la grammaire ou de la dialectique est remplacé à la Renaissance par un autre formalisme, que Durkheim qualifie de littéraire et dont l’enseignement des Jésuites, à l’époque classique, est caractéristique. Les langues anciennes sont alors conçues, de la même façon que la grammaire au temps de Charlemagne, comme un moyen de formation privilégié. Par l’étude de ces langues, il n’est pas question d’aboutir à une connaissance des civilisations classiques, mais de rechercher des modèles universels de la nature humaine. Cette orientation de l’enseignement sera illustrée par les caractères particuliers du théâtre classique français.

C’est ce formalisme issu du Moyen Âge qui explique en grande partie, selon Durkheim, que les sciences de la nature, dont les progrès avaient été considérables au xviie et au xviiie s., durent attendre la Révolution française pour être véritablement introduites dans l’enseignement secondaire. En Allemagne, la Réforme de Luther avait constitué un barrage au formalisme littéraire dérivé de Rabelais et surtout d’Érasme. De sorte que les sciences de la nature furent intégrées dans les Realschulen bien avant qu’elles ne le soient dans les écoles centrales, puis dans les lycées français.

Ces origines historiques lointaines expliquent de nombreux traits de l’enseignement secondaire actuel : la querelle du latin fait apparaître le caractère toujours vivant du formalisme littéraire. Elles expliquent aussi en partie la situation de crise dans laquelle les enseignants du second degré ont le sentiment d’être plongés depuis quelques années. Tant que le recrutement social des élèves au niveau de l’enseignement secondaire était élevé, un enseignement de type formaliste ne soulevait pas de graves difficultés : l’enseignement secondaire avait alors plutôt une fonction de socialisation que de préparation à la vie professionnelle. Les jeunes gens auxquels il s’adressait visaient des emplois de niveau moyen-supérieur ou supérieur qu’ils ne pouvaient, de toute manière, remplir avant un certain âge. Dans la plupart des cas, le caractère élevé du recrutement social des lycées faisait que les élèves étaient soutenus économiquement par leurs familles et pouvaient rejeter les problèmes de l’insertion professionnelle dans un avenir plus ou moins éloigné.


Les mutations contemporaines de l’enseignement secondaire

Aujourd’hui, cette situation s’est considérablement modifiée. Bien que le recrutement social de l’enseignement secondaire long (lycées) reste en moyenne beaucoup plus élevé que celui de l’enseignement secondaire court, il a beaucoup baissé par rapport à ce qu’il était il y a seulement une dizaine d’années, et cela par le simple effet de l’augmentation considérable des taux de scolarisation. Les élèves issus des classes moyennes-basses constituent désormais la majorité du public des lycées.

Ce changement dans la composition du public des élèves entraîne d’importantes conséquences et conduira peut-être à une mutation du rôle social de l’enseignement au niveau de l’enseignement secondaire, qui rompra avec une tradition remontant au Moyen Âge. La première de ces conséquences réside dans le changement de la fonction fondamentale de l’enseignement secondaire. Alors que, jusqu’à il y a peu d’années, cette fonction était essentiellement de socialisation, elle devient une fonction de préparation à la vie professionnelle : l’élève du secondaire vient de moins en moins rechercher une formation visant à le confirmer dans une position sociale qui lui est conférée par sa famille ; il veut acquérir des connaissances susceptibles de lui permettre de se situer au niveau désirable dans le marché de l’emploi.

Ce changement explique probablement les signes de tension qu’on observe un peu partout dans l’enseignement secondaire : on accuse l’école d’être isolée de la vie ; on conteste l’idée de culture générale. Cela amène à se demander si un enseignement de type formaliste peut se maintenir lorsqu’il s’adresse non plus seulement à une élite sociale, mais à d’importantes fractions de la population.

Cette tension est d’autant plus importante qu’il est difficile d’admettre qu’elle puisse se résoudre facilement. Même si l’on envisage délibérément l’enseignement comme une préparation à la vie professionnelle, il faut que les connaissances transmises au niveau de l’enseignement secondaire soient suffisamment larges pour permettre à l’élève d’effectuer le meilleur choix en fonction de ses possibilités et pour ne pas fermer trop tôt l’éventail des possibilités. Mais comment trouver le juste équilibre entre la « culture générale », nécessairement formaliste, et la préparation professionnelle ?

On peut dire que l’évolution récente a placé l’enseignant, au niveau du secondaire, dans une situation d’ambiguïté structurelle. Peut-être cela explique-t-il et les attaques dont il est souvent l’objet de la part de la société et les difficultés psychologiques qu’il rencontre dans l’accomplissement de son rôle.

Ces difficultés sont encore accrues par le fait que la multiplication du nombre des enseignants est corrélative d’une baisse de prestige probable de la profession, qu’on peut mesurer par exemple par la répugnance des étudiants d’origine sociale élevée à embrasser la carrière enseignante, ainsi que d’une féminisation croissante du corps enseignant.


L’enseignement supérieur

L’autre niveau de l’enseignement qui est bouleversé par les changements sociaux de notre époque est celui de l’enseignement supérieur. Le troisième ordre d’enseignement, l’enseignement primaire, est, pour sa part, moins affecté par ces changements du fait que les taux de scolarisation à ce niveau n’évoluent plus, dans les pays développés du moins, depuis d’assez nombreuses années déjà.