Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

enfer (suite)

Selon les livres des morts égyptiens, les âmes des justes sont appelées à mener une seconde vie, semblable à la première. Elles occupent la région inférieure, que le dieu du Soleil, Rê, parcourt pendant la nuit. Cette espérance d’une survie était célébrée dans des rites funéraires importants et multiples, dont les pyramides nous ont légué les secrets. À la Basse Époque, le culte d’Osiris cristallisa peu à peu cette attente. Osiris est le dieu qui rythme la vie et la mort. Après une mort tragique dans le sable brûlant, son corps est dispersé en morceaux mais reconstitué par Isis, laquelle conçoit son enfant Horus d’Osiris mort. Osiris revient à la vie sous l’impulsion unitive du moi ainsi manifestée. Les fêtes d’Osiris à Abydos (Haute-Égypte) étaient fondées sur la recherche du cadavre dispersé d’Osiris, puis consistaient à recevoir dans la joie sa bénédiction pour le voyage dans l’au-delà. On connaît ce rite par Apulée, qui, dans ses Métamorphoses, a décrit avec ferveur le « voyage anticipé » d’un sectateur d’Isis. Sénèque, qui a tourné ces cérémonies en dérision dans l’Apocolocynthosis, est le témoin d’un âge sceptique à l’égard de cette mythologie.


L’Hadès dans la religion grecque

D’après le témoignage d’Homère, les anciens Grecs croyaient qu’il existait un paradis pour les héros, les îles Fortunées, et un lieu de ténèbres et de torpeur pour les autres hommes, l’Hadès, situé au centre de la Terre. Les morts ne pouvaient s’éveiller de leur sommeil et retrouver la mémoire qu’en buvant le sang des victimes offertes en sacrifice en leur nom par les vivants. Il n’y avait pas de différence de sort entre les bons et les coupables : l’Hadès n’était pas conçu comme un lieu de récompense ou de punition. L’existence larvaire des morts était considérée comme neutre, ni heureuse ni malheureuse, mais, pour en bénéficier, il fallait toutefois avoir reçu des funérailles.

Au chant XI de l’Odyssée, Ulysse procède à une incantation invitant les morts à remonter de l’Hadès. L’idée se fait jour à cet endroit que l’Hadès est un lieu de récompense pour les bons et de supplice pour les méchants. Les ombres anémiées y sont susceptibles de réveil et s’animent lorsque les hommes prient pour elles ; mais Tantale y est consumé d’une soif invincible, et Sisyphe condamné à hisser un rocher au sommet d’une montagne. Ces conceptions révèlent une influence de l’orphisme, qui, développant une perception d’ordre éthique et l’espérance d’un bonheur dans l’au-delà, en vint à considérer l’âme humaine comme immortelle et à professer une différence de sort après la mort : dans l’autre monde, une coupe enchanteresse est promise aux bons, tandis qu’un bourbier menace les pécheurs. Platon est aussi le témoin de cette tradition d’une double condition après la mort (République, II, 363 b-d ; Phédon, 69 c). On en vint ainsi à admettre deux séjours distincts dans l’au-delà, les champs Élysées pour les bons, le Tartare pour les incurables. Les lamelles d’or orphico-pythagoriciennes découvertes en Crète et en Italie vers 1890 nous ont fait connaître les conseils qui étaient adressés aux défunts pour que leurs âmes s’orientent au moment voulu vers la lumière et la paix. Elles révèlent que l’âme était appelée à subir une véritable initiation, et que la source fraîche et désaltérante du paradis n’était découverte que par celles qui savaient se plonger dans le « lac de la Mémoire ». La mort est comprise alors comme une épreuve purifiante que l’âme doit traverser.

Ces conceptions n’excluent d’ailleurs pas un « circuit des naissances » et une transmigration des âmes. Elles s’en accommodent même assez bien dans la mesure où elles impliquent un effort accompli par les âmes dans l’au-delà pour se purifier et guérir. Dès lors, le lieu des morts remonte à la surface de la terre et se rapproche du séjour des vivants.

À la fin du monde antique, ces données s’épurent et se précisent : le paradis et l’enfer ne sont plus conçus comme deux régions terrestres contiguës, mais comme tout à fait divins et éloignés dans l’espace, donc opposés dans leur conception. L’idée de l’enfer est liée alors à celle d’obscurité, et on le situe quelque part aux confins de la Terre, tandis que l’idée du paradis est liée à celle de lumière, et on le situe dans le ciel.

L’imagination populaire a, par la suite, enrichi le thème de l’enfer au moyen de descriptions évocatrices. L’Hadès était supposé entouré de quatre fleuves, le Styx, le Cocyte, l’Achéron et le Pyriphlégéthon. Les morts, pour franchir le Styx, devaient emprunter la barque du nocher Charon. L’Hadès était divisé en trois quartiers, soit, par exemple pour Lucien et Virgile, celui des bons, celui des méchants et celui de ceux qui ne méritent ni récompense ni punition. Cette tripartition se retrouvera dans l’œuvre de Dante*, sous des noms chrétiens : ciel, enfer, purgatoire.


Le séjour des morts dans la tradition judéo-chrétienne


Le « shéol » dans l’Ancien Testament

Le peuple hébreu concevait la survie des morts comme une ombre d’existence, sans couleur et sans joie. Le « shéol » est une fosse où règne l’obscurité et d’où l’on ne revient pas ; on ne peut y louer Dieu (Isaïe, xxxviii, 18) ; c’est le lieu de l’abandon total. Cependant, le domaine des morts n’est pas celui du démon : les morts sont rassemblés en une cité où se trouvent déjà réunis les patriarches et les prophètes, où l’on est « couché avec les pères » (Genèse, xlvii, 30), donc dans la paix (Genèse, xv, 15) et dans l’attente d’un libérateur. Le Léviathan (Isaïe, xxvii, 1), qui figure la puissance cosmique, n’est pas le maître du « shéol », mais il faudra qu’il soit frappé en son temps par Dieu lui-même pour que puissent s’ouvrir les portes du « shéol ». Le peuple hébreu vivait ainsi dans l’attente du jour où le vivant affirmerait sa puissance en brisant les « portes d’airain » (Psaumes, cvii, 10-16).